Les berbères sont-ils les premiers habitants de l'Afrique du nord ?
Question d'origine :
Est-ce que les berbères sont les premiers habitants de l'Afrique du nord ?
Réponse du Guichet
Les Berbères ou Imazighen (Amazigh au singulier, « homme libre » en berbère) constituent le peuple autochtone de l'Afrique du Nord. Les premières traces d'activité hominidée remontent toutefois au Paléolithique.
Bonjour,
L’origine anthropologique des Berbères, peuple autochtone d'Afrique du Nord, doit être recherchée dans les temps préhistoriques. En effet, les véritables racines du peuple berbère datent des périodes Mésolithique et Néolithique.
Mais les premières traces d'une existence humaine en Afrique du Nord remontent au Paléolithique avec les activités et cultures atériennes, ibéromaurusiennes puis capsiennes.
Le regretté Gabriel Camps, anthropologue et historien, a retracé les origines préhistoriques de l‘Afrique du Nord. On peut en faire le résumé suivant :
- 30,000 ans av. J.-C., l’Atérien (Paléolithique supérieur), dans le nord-ouest de l’Afrique. “L’homme atérien était bien un homo sapiens sapiens, plus archaïque que l’homme de Cro-Magnon”. (p.53)
- Environ 10,000 ans av. J.-C., l’Ibéromaurusien (homme de Mechta el-Arbi, un cromagnoïde, succède au précédent.
- Vers 8,000 ans av. J.-C., le Capsien protoméditerranéen, nouvel arrivant. “On voit apparaître, dans la partie orientale du Maghreb, un nouveau type d’Homo sapiens qui a déjà les caractères de certaines populations méditerranéennes actuelles”. […]
“Manifestement, l’homme de Mechta el-Arbi n’a pu donner naissance aux hommes protoméditerranéens”. À ce moment précis de la Préhistoire, il y a donc rencontre entre deux groupes d’origine différente : l’homme atérien local, resté longtemps isolé par la désertification du Sahara, et le Capsien, arrivé par vagues successives du Proche-Orient dans la partie ouest de l’Afrique du Nord. Or, cet Ibéromaurusien va s’établir de manière permanente en Libye, en Tunisie et dans l’est de l’Algérie. Grâce au détroit de Sicile, il va avoir des relations avec Malte et les îles italiennes du sud (Sicile, Sardaigne, Pantelleria, Lampedusa, etc.). Dans le sud de la Libye, au Fezzan, il sera à l’origine de la civilisation des Garamantes. Les Grecs lui donneront le nom de Libyque. Plus tard encore, cette région deviendra la Numidie, berceau du peuple Amazigh grâce aux échanges propices à l’évolution du savoir et des techniques.
“Nous tenons, avec les Protoméditerranéens capsiens, les premiers Maghrébins que l’on peut, sans imprudence, placer en tête de la lignée berbère. Cela se situe il y a quelques 9 000 ans !” Et comme s’il fallait bien mettre les points sur les i, G. Camps ajoute la remarque suivante: “Cette arrivée est si ancienne qu’il n’est pas exagéré de qualifier leurs descendants de vrais autochtones.”
source : La présence des premiers hommes en Afrique du Nord / Bassem ABDI.
Dans un article signé Ahmed Boukous, intitulé "Une langue, des communautés" (L'Histoire - Collections, no. 79 - Dossier, lundi 1 janvier 2018), l'archéologue Bernard Nantet explique :
Les Premières traces
L'apparition des Berbères, en Afrique du Nord et dans l'Ouest saharien, a été précédée d'une longue période soumise aux pulsations climatiques du Sahara. Celles-ci, faites tour à tour de phases arides et humides, ont poussé les êtres qui ont vécu sur ses marges à évoluer et à s'adapter. Entre 30 000 ans et 60 000 ans, il y a eu une période particulièrement humide durant laquelle l'Afrique du Nord et le Sahara jusqu'au Niger est peuplé par les Atériens (de Bir el-Ater, en Algérie), une population qui fabrique des outils de pierre élaborés, munis d'un pédoncule permettant un emmanchement.
Les Atériens disparaissent, il y a plus de 20 000 ans, quand le désert étend ses dunes jusqu'au nord de Dakar. Le retour à un climat tempéré est relativement rapide quand le Gulf Stream se remet en place. Le désert prend alors l'aspect d'une vaste savane parsemée de lacs et s'engage dans son âge d'or (9 000 à 2 000 ans avant notre ère), avec une grande faune (éléphants, girafes, antilopes), puis des pasteurs conduisant des troupeaux de bovins. Entre-temps, une nouvelle population, les Ibéromaurusiens (20 000 à 9 000 ans avant notre ère), s'est établie au bord de la Méditerranée. Elle se nourrit notamment de coquillages et de crustacés. Leurs successeurs, les Capsiens (de Gafsa, en Tunisie), inhumaient leurs morts, utilisaient un outillage de pierre rudimentaire, broyaient de l'ocre à des fins d'ornementation corporelle. Ils gravaient des animaux et des signes géométriques sur des oeufs d'autruche.
Des préhistoriens pensent que ces populations ont une origine orientale mais qu'on peut qualifier leurs descendants d'autochtones. Ces Paléo-Berbères auraient pu aussi, par ailleurs, avoir eu une influence sur l'art rupestre saharien en gestation.
Les animaux domestiques, tels que les chèvres et les moutons, ainsi que les plantes cultivées commencent à arriver dans le nord il y a 5 000 ans depuis l'est, mais aussi depuis l'autre rive méditerranéenne (décor cardial, dolmens, obsidienne).
A la fin du IIe millénaire avant notre ère (Age des métaux), des chevaux attelés à des chars font leur apparition sur des fresques retrouvées dans le désert, notamment au Tassili dans le sud-est de l'Algérie. Au Ve siècle av. J.-C. encore, Hérodote décrit ces Garamantes montés « sur des chariots attelés de quatre chevaux pourchassant les Éthiopiens troglodytes ». Mais le cheval ne reste pas longtemps maître du Sahara. En plus de la sécheresse de l'air et du sol qui a raison de sa constitution, il trouve un adversaire de taille dans le dromadaire. Celui-ci assure à ses possesseurs berbères la maîtrise des espaces désertiques et le contrôle des zones de plus en plus réduites habitées par les sédentaires.
La civilisation berbère est bien à l'origine du peuplement de l'Afrique du Nord :
Les études génétiques (Lucotte et Mercier, 2003) permettent d’affirmer que le fond ancien de peuplement de toute l’Afrique du Nord, de l’Égypte au Maroc, est berbère (cartes pages IX et X).
La recherche de l’origine – ou des origines – des Berbères a donné lieu à de nombreux débats liés à des moments de la connaissance historique. Tour à tour, certains ont voulu voir en eux des Européens aventurés en terre d’Afrique, des Orientaux ayant migré depuis le croissant fertile et même des survivants de l’Atlantide. Aujourd’hui, par-delà mythes et idées reçues, et même si de nombreuses zones d’ombre subsistent encore, des certitudes existent.
Grâce aux progrès faits dans deux grands domaines de recherche qui sont la linguistique et la génétique, nous en savons en effet un peu plus sur les premiers Berbères :
1- La génétique a permis d’établir l’unité originelle des Berbères et a montré que le fond de peuplement berbère n’a été que peu pénétré par les Arabes. [...]2- La langue berbère fait partie de la famille afrasienne. Or, l’Afrasien est la langue mère de l’égyptien, du couchitique, du sémitique (dont l’arabe et l’hébreu), du tchadique, du berbère et de l’omotique.
source : Histoire de l'Afrique du Nord : Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc : des origines à nos jours / Bernard Lugan
Nous vous invitons à lire ce livre dans son intégralité.
Pour aller plus loin :
- Les Berbères : mémoire et identité / Gabriel Camps
- Les Berbères / L'Histoire - collections N°78 daté janvier-mars 2018
- G. Camps, « Ibéromaurusien », Encyclopédie berbère, 23 | 2000, document I08
- Salem Chaker, « Origine(s) berbère(s) : Linguistique et préhistoire », Encyclopédie berbère, 35 | 2013, document O26
- Jorge Onrubia-Pintado, “Origines berbères : Néolithisation et berbérisation”, Encyclopédie berbère, 35 | 2013, document O27
Nous vous invitons par ailleurs à consulter l'ensemble des vidéos provenant d'un colloque du Collège de France intitulé Préhistoire et évolution humaine au Maghreb.
Quelques exemples : La civilisation atérienne au Maroc (région de Rabat-Témara) / Mohamed Abdeljalil El Hajraoui et Roland Nespoulet ; et Origine et évolution de l'Ibéromaurusien au Maghreb / Abdeljalil Bouzouggar, Louise Humphrey et Nick Barton
Bonne journée.