Comment expliquer la relation en dents de scie entre la France et l'Algérie ?
Question d'origine :
Pourquoi ya toujours des haut et des bas entre la France et l'Algérie ?
Réponse du Guichet

Effectivement, les relations franco-algériennes ont toujours été tumultueuses. Qu'elles s'expliquent par le passé colonial ou par un contexte contemporain politique, économique ou judiciaire défavorable, ces tensions semblent confirmer le diagnostic posé en 1974 par l'ancien président Boumediene qui affirmait que les relations entre les deux pays ne pouvaient pas être banales. Nous vous proposons ici quelques pistes de réflexion et une bibliographie pour aller plus loin.
Bonjour,
La situation actuelle est plutôt bien décrite par Frédéric Bobin dans son article Entre la France et l’Algérie, la malédiction des détentes éphémères daté de ce jour :
Le yoyo entre la France et l’Algérie n’en finit plus, au risque de l’étourdissement. L’accalmie succède à la tempête avant un nouvel orage, lequel se soldera par une énième éclaircie. Un dérèglement diplomatique à la mesure de la complexité croissante d’une relation franco-algérienne en proie à des forces contraires – centrifuges comme centripètes – démunies de tout cadre solide pour les canaliser.
L'auteur revient sur l'origine des tensions récentes et avance quelques raisons relatives à ces allers-retours incessants dans l'amitié franco-algérienne :
Alger a en effet décidé dimanche 13 avril d’expulser une douzaine d’agents de l’ambassade de France en représailles au placement en détention provisoire par un juge français la veille d’un agent du consulat algérien de Créteil (Val-de-Marne). Ce dernier figure parmi les trois personnes mises en examen dans le cadre de l’enquête sur l’enlèvement et la séquestration – durant vingt-sept heures – d’un influenceur opposant, Amir Boukhors, faits survenus les 29 et 30 avril 2024 entre le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne. L’opération aurait été montée, selon M. Boukhors, dans le but de l’intimider et le dissuader de poursuivre ses révélations sur les turpitudes de certains clans du régime algérien.
[...]
Dans ces conditions, on voit mal comment la détente permise par la visite du 6 avril de M. Barrot à Alger pourrait se prolonger. Est-ce le retour à la case départ, celle de la crise déclenchée l’été 2024 par le geste d’Emannuel Macron reconnaissant la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental ?
Ce revirement diplomatique promarocain de Paris avait ouvert une fracture entre les deux pays qu’avait ensuite aggravée une cascade d’incidents enflammant les passions : arrestation à la mi-novembre à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal pour ses propos sur la frontière entre l’Algérie et le Maroc ; refus du gouvernement algérien de récupérer certains de ses ressortissants expulsés du territoire français, etc. Un tel degré d’animosité avait rarement été atteint depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Une « période de tension inédite », avait dû lui-même reconnaître M. Barrot lors de sa visite d’« apaisement » à Alger.
Pourquoi donc ces oscillations permanentes entre les deux capitales ? Pourquoi cette incapacité à stabiliser la relation, à inscrire les séquences de réchauffement dans la durée ? Un premier élément de réponse tient dans la nature multiforme de ce lien franco-algérien qui le rend comparable à nul autre. Fruit d’une imbrication entre mémoire coloniale, héritages migratoires, passerelles économiques, intérêts stratégiques et convulsions identitaires de chaque côté, la connexion entre la France et l’Algérie est par essence compliquée à réguler.
La difficulté n’est pas, en elle-même, insurmontable. Le véritable défi tient plutôt dans l’impossible alignement des différents canaux qui irriguent la relation bilatérale. Ou plus précisément dans l’absence de synchronie entre les différents agendas politiques, stratégiques et judiciaires. Quand la France est prête au dialogue, l’Algérie est absorbée par d’autres impératifs, et réciproquement. Et quand bien même les diplomates sont au diapason, les logiques partisanes de chaque pays poussent en sens contraire. Sans compter les incidents sécuritaires ou les vicissitudes judiciaires qui précipitent les embardées.
C’est un peu la malédiction du contretemps. [...]
Entre les deux pays, jamais les planètes n’ont été réellement alignées pour donner leur chance aux séquences de détente. Jamais les processus politiques n’ont pu être sanctuarisés par rapport à des arbitrages géopolitiques défavorables, aux accidents sécuritaires, aux calendriers judiciaires ou aux surenchères de politique intérieure. A chaque fois, ces aléas ont fait voler en éclat les velléités de normalisation.
Sans doute cette vulnérabilité aux chocs exogènes illustre-t-elle la fragilité d’une relation manquant cruellement de forces de rappel. Pourtant, la rupture demeure inenvisageable au regard de l’interpénétration des deux sociétés. Entre impossible harmonie et improbable séparation, le lien entre la France et l’Algérie n’en finit pas de tanguer à fleur de houle, vertige assuré.
Déjà, en septembre 2024, lorsque Emmanuel Macron a dit apporter son soutien au plan d'autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara occidental, Alger avait riposté en retirant son ambassadeur à Paris. Frédéric Bobin commentait dans l'article intitulé Entre la France et l’Algérie, l’histoire d’une éternelle rechute :
Bref, une énième rechute dans une relation tourmentée et foncièrement cyclique, scandée par une alternance d’embellies et de fâcheries. L’héritage du contentieux colonial se mêle aux soubresauts propres à la vie politique, algérienne comme française, ainsi qu’aux dilemmes de la géopolitique maghrébine pour imposer une volatilité à un lien qui n’a jamais pu être ordinaire. « Les relations entre la France et l’Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales » , avait déjà diagnostiqué, en 1974, l’ancien président Houari Boumediene (1965-1978). On en est toujours là.
Avec trois crises en trois ans – les précédentes ont éclaté en octobre 2021 et en février 2023 –, la cadence est toutefois quelque peu préoccupante. D’autant que l’Algérie n’a jamais eu à l’Elysée un interlocuteur aussi bien disposé à son égard. M. Macron a en effet fait preuve d’un « investissement considérable » sur la mémoire de la guerre d’Algérie, dont il souhaitait « clôturer le deuil »,décryptent l’historien Sébastien Ledoux et le politiste Paul Max Morin dans L’Algérie de Macron. Les impasses d’une politique mémorielle(Presses universitaires de France, 296 pages, 20 euros). La mission réparatrice qu’il s’était fixée sur ce legs douloureux relevait à ses yeux du « statut » de la percée de Jacques Chirac sur la Shoah, lors de sa fameuse déclaration de 1995 sur la rafle du Vél’ d’Hiv’ reconnaissant pour la première fois la responsabilité de l’Etat français dans la déportation et l’extermination des juifs.
[...]
« L’Algérie est crisogène » , se lasse-t-on à Paris. Les plus optimistes arguent que la relation n’est pas nécessairement plus fluide avec d’autres Etats – l’Italie, les Etats-Unis… – et que les blocages sont souvent plus liés à une paralysie devenue systémique, et aggravée par le Hirak et ses purges internes, qu’à une hostilité politique foncière et irrémédiable. Dans leur livre Le Mal algérien (Bouquins, 2023), Jean-Louis Levet et Paul Tolila, deux experts ayant effectué des missions en Algérie, décrivent bien « le chaos administratif » régnant dans le pays, où la logique prébendière (autour de la manne des hydrocarbures) et les règlements de comptes qu’elle induit nourrissent une « schizophrénie » à grande échelle.
Voici une bibliographie pour approfondir le sujet :
- France-Algérie, le double aveuglement : réseaux, immigration, diplomatie : qui tient qui ? / Driencourt, Xavier, un livre à paraitre en mai 2025
Une analyse des relations complexes entre la France et l'Algérie. L'ancien ambassadeur de France en Algérie examine la crise des relations franco-algériennes, depuis la reconnaissance par la France, en 2024, de la marocanité du Sahara occidental.
- L'énigme algérienne : chroniques d'une ambassade à Alger : 2008-2012, 2017-2020 / Driencourt, Xavier, 2024
Ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, l'auteur explique la complexité du pays et de ce que les Algériens appellent le système. Il évoque les difficultés de la relation franco-algérienne et les rapports ambivalents que la classe politique française entretient avec Alger tout en mettant en lumière les liens culturels, économiques et familiaux entre les deux pays.
- Comment la France a (encore) perdu l'Algérie / Mélanie Matarese, 2024
Partant de la relation entre la France et l'Algérie, l'auteure analyse l'ensemble de la politique étrangère de l'Hexagone au prisme du rejet de la France et de sa langue en Afrique depuis sa longue décolonisation. Elle propose ensuite des solutions à mettre en place pour des échanges apaisés et constructifs.
- L'Algérie et la France ou La fracture identitaire : du drame colonial à la reconquête territoriale / Khelouz, Nacer, 2024
Analyse de l'origine et de l'expression des crispations identitaires entre l'Algérie et la France, de la colonisation française à la stigmatisation des immigrés d'origine algérienne, instrumentalisée par l'extrême droite française.
- France-Algérie, 60 ans d'histoires secrètes : 1962-2022 / Naoufel Brahimi El Mili
L'histoire des relations tumultueuses entre la France et l'Algérie depuis les accords d'Evian. Edition mise à jour augmentée d'un chapitre sur la crise diplomatique d'octobre 2021.
- Paris Alger : une histoire passionnelle / Christophe Dubois, Marie-Christine Tabet, 2015
Une étude sur les relations existant entre la France et l'Algérie depuis la colonisation de cette dernière en 1830, en passant par la guerre d'indépendance, les divers flux migratoires. Les journalistes postulent la nécessité pour la France du début du XXIe siècle de collaborer plus étroitement avec l'Algérie, notamment en termes de sécurité publique et de partenariats économiques.
- Les guerres sans fin : un historien, la France et l'Algérie / Benjamin Stora, 2008
L'historien analyse les rapports entre l'Algérie et la France depuis la guerre d'indépendance, à partir du vécu des principaux groupes engagés dans le conflit et de son expérience personnelle.
Quelques articles récents sur la situation actuelle :
- Crise entre l'Algérie et la France : on vous explique la polémique autour de l'influenceur Amir DZ, à l'origine de nouvelles tensions diplomatiques / France Info - AFP - 14/04/2025
- Crise entre la France et l'Algérie : le ton monte d'un cran entre les deux pays / France Info - 14/04/2025
- Dossier Relations entre la France et l’Algérie : tout comprendre à la crise diplomatique / Dossier Le Figaro
- Dossier Algérie du journal Le Monde
- Dossier Algérie du journal Libération
Bonne journée.