Pourquoi l'acidification des océans augmente-t-elle avec le changement climatique ?
Question d'origine :
Bonjour,
j'ai une question concernant l'évolution du taux de dioxyde de carbone dans l'océan en lien avec le changement climatique. De ce que j'en comprends: - lorsque la température de l'eau augmente, le dioxyde de carbone se dissout moins bien, donc il tend à passer dans l'atmosphère, ce qui fait baisser son taux dans l'eau; - mais, lorsque la température augmente, l'acidification de l'océan augmente, car le taux de dioxyde de carbone dans l'eau augmente. Comment expliquer ce paradoxe: pourquoi l'acidification augmente-t-elle avec la température, si le dioxyde de carbone est moins présent dans l'eau car moins apte à se dissoudre?
Merci d'avance Sophie L
Réponse du Guichet
Le réchauffement et l'acidification des océans sont des phénomènes complexes, que les scientifiques ne cessent d'étudier pour essayer d'en comprendre les ressorts. Leur immensité et la diversité rend leur compréhension d'autant plus complexe.
Bonjour,
Comme l’explique précisément cet article de l’encyclopédie Universalis, l’acidification des océans est provoquée par l'excès d'absorption de Co2 :
Par sa capacité à dissoudre les gaz atmosphériques responsables de l'effet de serre, l'océan joue un rôle essentiel dans la régulation du climat. Toutefois, l'absorption de l'excès de dioxyde de carbone (CO2) rejeté par les activités humaines (anthropiques) depuis 1850 perturbe la chimie de l'océan mondial. Elle se traduit par une diminution sensible du pH (potentiel hydrogène) de l'eau, c'est-à-dire une acidification de l'océan. Ce phénomène menace potentiellement les organismes qui possèdent un squelette ou une coquille calcaire. En effet, le calcaire est instable en milieu acide et se dissout. Ces organismes sont-ils condamnés à disparaître? Certaines espèces sont-elles capables de s'adapter aux variations de l'environnement?
L'océan, un régulateur de la teneur en dioxyde de carbone de l'atmosphère
L'eau de mer solubilise les gaz de l'atmosphère, et plus particulièrement le CO2. Au total, l'océan mondial contient soixante-cinq fois plus de carbone sous forme de CO2 que l'atmosphère. C'est donc lui qui contrôle la composition de l'atmosphère en CO2 et non l'inverse. Depuis 1850, il a absorbé environ le tiers des flux de CO2 émis par les activités humaines. Le CO2 étant un gaz impliqué dans l'effet de serre, si l'océan n'existait pas, le réchauffement de la Terre serait donc beaucoup plus important que celui que nous connaissons. Cependant, ce processus présente un effet collatéral négatif: l'eau de mer enrichie en CO2 «s'acidifie». Le pH (calculé par le logarithme décimal de l'inverse de la concentration en ions hydrogène H+) est le paramètre qui qualifie l'acidité d'une solution : celle-ci est neutre lorsque le pH est égal à 7, acide lorsqu'il est inférieur à cette valeur et basique lorsqu'il est supérieur. Depuis l'ère industrielle, le pH de l'océan, basique, est passé de 8,2 à 8,1. Cette baisse de 0,1unité correspond à une augmentation de l'acidité de l'ordre de 25 p.100. En se fondant sur le scénario le plus pessimiste du G.I.E.C. (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), mais qui, hélas, n'est pas improbable, on peut prévoir une décroissance du pH de l'eau de mer de 0,35 unité à la fin du XXe siècle.
Et en effet, comme indiqué dans l'article de la plateforme Ocean et climat, L'océan, pompe à carbone plus l’eau est chaude, moins le CO2 est dissout par les océans et donc plus rejeté dans l’atmosphère.
Le réchauffement des eaux par exemple réduit le puits de carbone océanique : une augmentation de 2 ou 3 °C de la température des eaux de surface diminue la solubilité du CO2 de quelques pourcents, et donc la capacité de l’océan à absorber le gaz carbonique.
Si l’on en vient au paradoxe sur lequel vous vous interrogez et que nous comprenons ainsi :
«Pourquoi le réchauffement des océans entraîne-t-il encore leur acidification alors que ce réchauffement diminue la capacité de l’océan à absorber le gaz carbonique, ce dernier étant la source de leur acidification?»
Et c'est vrai que les projections du GIEC à l’horizon 2100 semblent aller dans le sens de ce «paradoxe», à savoir augmentation de l’acidité, augmentation de la température des mers et moindre absorption du C02 par celles-ci:
Température et acidité de l’océan en 2100 suivant les scénarios
L’état futur de l’océan dépend du volume de CO2 qui sera rejeté dans les décennies à venir, illustré par deux scénarios, l’un optimiste, le RCP2.6 (réduction drastique des émissions), et l’autre pessimiste, le RCP8.5 (augmentation continue des émissions, suivant la tendance actuelle). La température de l’eau superficielle et le pH augmenteraient respectivement de 0.71° et 0.07 unités pH dans le 1er cas et de 2.73° et 0.33 unités pH dans le 2è [4, p 4722-3], soit une acidité augmentée de 170% par rapport à 1850 dans ce dernier cas.
Source : Réseau action climat "Acidification et réchauffement des océans : des dangers qui se démultiplient"
Malgré nos recherches, nous n’avons pas vraiment de réponse claire et simple à vous donner. Les processus en œuvre sont multiples et très complexes et les scientifiques eux-mêmes semblent chaque jour en découvrir un peu plus sur ces différents phénomènes.
Mais en faisant une compilation de nos recherches, on peut peut-être déduire qu'une des raisons de ce «paradoxe» s’explique, entre autres, par l’immensité des océans (70% de notre planète). Et que de fait, leur réchauffement ainsi que leur acidification sont loin d’être homogènes. Pour faire simple, on peut supposer que par endroit il se réchauffera mais à d’autres les eaux de surface resteront suffisamment froides pour continuer à capter le carbone anthropique, continuant ainsi leur acidification.
C’est un peu ce qui est expliqué dans cet article Changements dans la chimie de la mer que vous trouverez sur le site du gouvernement canadien :
Les répercussions de l’acidification des océans peuvent être plus variables, tant à l’échelon temporel qu’à l’échelon spatial, dans les zones côtières où d’autres facteurs peuvent contribuer encore plus à la réduction du pH. Certains processus océanographiques physiques, comme les remontées d’eau, le débit des rivières, le ruissellement des éléments nutritifs et le rejet des eaux usées sont des exemples de facteurs contributifs. Ces derniers peuvent contribuer à abaisser encore plus le pH. Dans certaines régions, il peut même être inférieur au niveau de référence mondial reflétant l’augmentation de CO2en soi.
Et de continuer :
Moteurs de l’acidification dans les trois océans du Canada
Les trois océans du Canada sont particulièrement vulnérables aux effets de l’acidification des océans, car le CO2est plus facilement absorbé dans les eaux froides. Dans ces eaux, la solubilité des coquilles constituées de carbonate de calcium est plus élevée, ce qui rend celles-ci plus sensibles aux effets corrosifs de l’acidification des océans.
D’autres facteurs pourraient également avoir une incidence sur l’étendue et le rythme auquel l’océan s’acidifie dans une région donnée. Les moteurs en jeu sont distincts dans chacun des trois océans du Canada.
Les trois océans qui bordent le Canada sont l’Océan Arctique, l’Océan Pacifique et l’Océan Atlantique. Vous pourrez lire dans ce même article ce qui contribue de manière plus spécifique à l’acidification de ces trois zones qui entourent le Canada.
Toujours dans cette idée d’hétérogénéité du réchauffement et de l’acidification des mers, ce paragraphe sur la mer Méditerranée (connue pour être une des zones du globe qui se réchauffe le plus vite) issu de l’article évoqué plus haut sur le site du Réseau action climat est assez parlant :
Une accélération de l’acidification en Méditerranée
Les données recueillies à 1 mètre sous la surface en Méditerranée, à la station de Villefranche-sur-mer entre 2007 et 2015, indiquent une diminution significative du pH de 0,0028 unité par an, soit sept fois plus rapide que sa diminution de 0,1 en 250 ans (0,1/250 = 0,0004), avec une accélération de l’augmentation de sa température de 0,072°C par an. Ceci alors que la concentration de CO2 atmosphérique augmente de plus en plus, son accroissement de 3,3 ppm [403,3 – 400 ppm] entre 2015 et 2016 étant son maximum jamais enregistré [C2, page 7]. Les chercheurs montrent, dans un article paru en 2017, que la modification du pH est à 60% liée à la quantité de CO2 et à 40% à la température de l’eau [3].
Vous noterez qu’il est précisé que : «Les chercheurs montrent, dans un article paru en 2017, que la modification du pH est à 60% liée à la quantité de CO2 et à 40% à la température de l’eau.»
N’hésitez pas à consulter l’article scientifique écrit en anglais (en lien ci-dessus) dont est issu ce constat pour mieux en comprendre les mécanismes. Peut-être y trouverez-vous des explications plus précises à votre questionnement. Pour notre part nous ne maitrisons pas suffisamment l’anglais pour vous en faire un retour.
Enfin, peut-être y a-t-il un lien avec un principe chimique simple et bien connu : une eau qui se réchauffe est aussi une eau qui s’acidifie. Même si cela reste faible et qu’à l’échelle planétaire ce moteur d’acidification est sans doute très très marginal.
Bonne journée
Pour aller plus loin