Comment aurait évolué l'humanité si la Terre était dépourvue de fer ?
Question d'origine :
Bonjour à toute l'équipe !
Ma question est la suivante : comment aurait évolué l'humanité si la Terre était dépourvue de fer ? Et quels palliatifs à ce métal aurait-elle utilisé ?
Merci d'avance !
Réponse du Guichet
En dehors de la plume d'un grand écrivain de science-fiction, impossible d'envisager les multiples chamboulements civilisationnels qu'engendrerait l'absence de fer dans la structure géologique terrestre. Les conséquences d'une telle carence sont abyssales et leurs répercussion rhizomiques. Pour obtenir des avancées technologiques d'un "même ordre", il aurait probablement fallu miser davantage sur le titane ou l’aluminium.
Bonjour,
Comment discuter les possibilités d'un monde sans fer, sans évoquer en amont la rencontre de l'homme et ce minerai ?
Ce que les historiens ont appelé âge du fer est une période archéologique qui correspond à la seconde partie de la Protohistoire. Elle fait suite à l'âge du bronze et aurait débuté en Anatolie en - 1200 av J-C (voir cette frise chronologique sur le site de l'INRAP). Son déploiement et son extension ne sont pas uniformes dans le temps. Ces deux époques varient dans leurs chronologies selon les zones géographiques ou les aires culturelles observées.
La première source de fer utilisée par les humains était contenue dans les restes de météorites tombées sur Terre ! Facilement accessible sans creusement de mines, et allié de nickel ou de cobalt, ce fer était doté de très bonnes propriétés mécaniques. Il était utilisé pour fabriquer des armes ou construire des objets rituels. Même si le volume total était famélique, il permit surtout de faire connaître les attributs de ce métal bien avant sa généralisation grâce à l'extraction de minerais et les débuts de la métallurgie.
La métallurgie prend aussi son essor dans plusieurs endroits à la fois et à des époques distinctes. On en retrouve la trace dès le VIème millénaire avant notre ère, mais sans produire pour autant de changement drastique sur la conduite des sociétés du Néolithique. En effet, les erreurs nécessaires d'apprentissage, l'absence de connaissances fondamentales en la matière ou encore une transmission orale des savoirs ont demandé un temps considérable pour que ces techniques soient parfaitement maitrisées. A l'âge de pierre succède donc peu à peu l'âge des métaux (bronze, fer), mais il faut bien comprendre que ces concepts historiques se superposent plus qu'ils s'annulent et cela, sans évoluer de manière homogène dans l'espace. Dans les faits, selon les lieux et et les époques, la pierre, le cuivre, le bronze ou le fer étaient tous utilisés simultanément selon leurs propriétés, leurs disponibilités ou en fonction de la vitalité des échanges inter-sociétaux.
L'un des premiers alliages domestiqués par les hommes fut le fer, notamment en raison de sa grande disponibilité et de son point de fusion "accessible" pour sa transformation (1538°). Il aura nécessité plusieurs phases technologiques, liées à la sophistication des fours et leur capacité à chauffer le métal à plus haute température afin que le meilleur puisse être tiré de cet alliage. Des premiers bas fourneaux, aux hauts fourneaux et au moulage du fer en Chine à partir du VIème siècle avant notre ère, les techniques de fabrication se sont sophistiquées jusqu'à produire de l'armement, des bijoux, des objets de décoration etc. toujours plus complexes. Le blog Metalblog, "le blog des experts de la métallurgie", dans un article passionnant La métallurgie du laiton et du fer au néolithique, rapporte notamment cet épisode, en lien avec la confection des premiers objets en fonte :
Le fer, issu d’une loupe obtenue au bas fourneau, est alors fondu dans des fours assez semblables au cubilot. Lorsque le fer chaud entre au contact avec le charbon de bois, il absorbe le carbone contenu dans le combustible jusqu’à s’en saturer. On obtient alors de la fonte, plus facile à fondre que le fer, homogène et débarrassée des impuretés présentes dans la loupe. Les européens ne maitriseront cette technologie du haut fourneau qu’au XIV siècle et ne produiront au néolithique que des pièces en fer forgé et non pas par moulage, contrairement aux Chinois
Source : La métallurgie du laiton et du fer au néolithique.
Des anthropologues s'accordent et concèdent (en partie) à cette avancée un impact considérable sur l'organisation des structures humaines. Par ce biais l'armement est meilleur et les chefs de guerre s'endurcissent. L'outillage se perfectionne, décuplant les forces de travail et donc le rendement agricole. Et une production et une économie agraire mieux structurées libéreraient ainsi les individus du travail des champs, de la chasse ou de la cueillette, pour basculer dans une société de spécialisation grâce au déploiement de l'artisanat et d'activités non productrices (commerce, armée, administration etc.). Un processus qui serait, logiquement, concomitant de premières formes de sédentarisation et d'urbanisation croissante des sociétés humaines.
A ce stade les chaînes d'imbrication sont immenses, tant on s’aperçoit des dépendances respectives et des liens de causalité entre technologies et avancements sociétaux. D'ailleurs, les meilleurs spécialistes du néolithique s’écharpent encore sur l'interprétation à donner aux trajectoires des sociétés humaines. Le poids de l'agriculture (et donc des outils) en particulier est sujet à controverses et met en confrontation différents courants de pensée anthropologiques. D'une part ceux qui arguent qu'il n'existe aucune "histoire naturelle", c'est à dire une histoire dans laquelle l'agriculture serait un mal nécessaire, ayant mécaniquement fait basculer le monde dans la sédentarisation, la complexification et la hiérarchisation sociale et les défenseurs d'une vision "évolutionniste" des sociétés humaines.
A ce sujet le géographe américain Jared Diamond et son livre De l'inégalité parmi les sociétés (Gallimard, 2000) et l'anthropologue anglais David Graeber, dans un ouvrage coécrit avec David Wengrow Au commencement était... (Les liens qui libèrent, 2021), synthétisent à merveille cette querelle sur les origines des inégalités et des rapports de domination au sein des sociétés humaines. Voir l'article du Monde : « Au commencement était… » : une « anti-histoire » de l’humanité (novembre 2023).
Si chez les spécialistes l'encre coule et les débats sont intenses, nos modestes connaissances sur la rencontre du fer et des hommes ne font pas une base solide pour la rédaction d'un bon roman d'uchronie. Si la théorie du chaos explique en langage mathématique qu'une modification infime des conditions initiales d'un exercice théorique entraine des évolutions rapidement divergentes au résultat anticipé, un cheminement identique s'applique très certainement à l'évolution des sociétés humaines. Dans le langage courant, on parle "d'effet papillon", et ce fameux "battement d'ailes d'un papillon au Brésil" qui pourrait provoquer avec le temps une tornade au Texas. Mais alors dans le cas du fer, on parle d'un sacré papillon, gigantesque même.
L'acier, fabriqué à partir de minerai de fer et de minerai de charbon n'aurait pu exister. Il est le quatrième élément chimique le plus représenté dans la croute terrestre (deuxième métal après l’aluminium) et il représenterait de nos jours 90% de la production de métal raffiné dans le monde. Notre corps également se compose de fer (mais sous forme d'atomes) puisqu'un corps humain adulte en contient entre 2,5 et 4,5 g, celui-ci est nécessaire à la formation des globules rouges, qui transportent l'oxygène dans le sang (mineraly.fr). Partant de ce principe, une disparition du fer des ressources terrestres, et donc des êtres vivants qui l'habitent, affecterait nécessairement la composition des corps humains ce qui, en retour aurait une incidence sur la manière dont ces derniers vivent et occupent le monde.
A plus petit niveau, une simple redistribution des ressources en fer aurait déjà des conséquences inenvisageables et imprévisibles sur la conduite de l'humanité. L'Australie, qui est aujourd'hui l'une des grandes puissances de la planète, doit une partie de son développement de ces 50 dernières années à l'abondance de ce minerai sur son territoire (30% des ressources mondiales)... Et jusqu'à aujourd'hui la Chine, extrêmement dépendante, continue d'en faire un élément stratégique majeure de son économie et de sa diplomatie (voir cette tribune de Yves Jegourel publiée au Monde en 2020). Un revirement de la sa répartition géologique et c'est toute la destinée de pays entiers qui est modifiée.
Sans le fer, l'acier ou la fonte, quelques métaux pourraient potentiellement le remplacer dans certaines applications mais qu'aucun ne le puisse complètement en raison de ses propriétés uniques et de son abondance naturelle. L'aluminium pourrait être une alternative viable dans certains cas. Il est plus léger et résiste bien à la corrosion, contrairement au fer qui rouille facilement. Il est aussi abondant dans la croûte terrestre, comme nous venons de le voir, et relativement facile à extraire. Le titane aussi pourrait faire l'affaire, grâce à sa résistance comparable à l'acier et ses propriétés anticorrosion,il serait toutefois plus cher à extraire.
Mais comme la nature a horreur du vide, il est tout à parier qu'une carence en fer aurait donné naissance à un autre minerai aux propriétés similaires. En nous projetant dans le futur cette fois, ces questions de matériaux de substitut se poseront nécessairement. Dans un monde aux ressources par essences limitées, l'état des réserves des ressources minérales naturelles est scruté avec attention et les chercheurs anticipent déjà leur extinction (prévue à l'horizon 2087 pour le fer).
Vous l'aurez compris l'art du non advenu est un langage difficile pour le Guichet du Savoir qui s'appuie pour faire son office sur les sciences de l'information et des ressources documentaires concrètes. Un travail de narration rétroactive de l'histoire de l'Humanité, sans présence de fer, serait un beau sujet à soumettre à des écrivains de science-fiction !
Pour notre part, nous vous conseillons la lecture de ces ressources, que nous avons, pour certaines, pu consulter :
-
« L’uchronie joue avec le temps et pose la question du sens de l’Histoire »
-
Le guide de l'uchronie / B. Campeis & K. Gobled (ActuSF, 2024)
-
Matériau : le fer dans la construction (Bibliothèque nationale de France)
-
Quelle différence entre le fer, la fonte et l'acier ? Futura Sciences
-
La métallurgie du laiton et du fer au néolithique (Metalblog)
Bonne journée,