Quels articles parlent du rôle de notre voix intérieure lorsque l'on danse ?
Question d'origine :
Bonjour
Auriez-vous des articles et recherches qui mentionnent le rôle et les différentes formes que peuvent prendre "la voix intérieure" ou "la petite voix dans la tete" qui commente nos actions ou autres dans un monologue intérieur.
Existe-il des choses concernant notamment chez les danseurs ?
Que se joue-t-il intérieurement quand un danseur entre en mouvement ?
Qu'y a-t-il en jeu intérieurement au moment de servir une interprétation du geste ?
Merci
Réponse du Guichet
La "petite voix dans la tête" est étudiée par les scientifiques, linguistes en tête, sous le nom d'endophasie. Quelques ouvrages très intéressants et accessibles ont été récemment consacrés à ce sujet, pourtant encore peu courant dans la recherche. En revanche, son rôle dans la danse ne semble pas avoir été encore systématiquement étudié.
Bonjour,
Et bonne année ! Le Guichet du Savoir vous remercie de votre fidélité en 2024 - nous vous saurions toutefois gré de vous limiter à l'avenir une question par message, conformément à nos conditions d'utilisation.
La vie des voix intérieures qui nous parcourent est connue des scientifiques sous le nom d'endophasie. Définie par le CNRTL comme une "Formulation verbale interne de la pensée non exprimée, avec représentation mentale de sa propre voix", celle-ci jouit d'une définition un peu plus détaillée dans le Wiktionnaire :
endophasie \ɑ̃.dɔ.fa.zi\ féminin
- (Didactique) Manifestation du langage humain qui n’est perceptible que par le locuteur lui-même.
De quelque façon qu’on la conçoive, l’endophasie s’inscrit dans la parole plutôt que dans la langue.— (Gabriel Bergougnioux, Les trois sources de la théorie de l’endophasie : phonologie, psychologie et clinique, dans la revue Histoire Épistémologie Langage, 32/2, 2010, page 10) Tenter de comprendre en savant ce phénomène de la parole intérieure, de l’endophasie comme on dit, c’est affronter les problèmes centraux de la linguistique en privilégiant l’écoute.— (Jean-Claude Chevalier, La parole intérieure, dans la revue Modèles linguistiques n°3, 2010, page 123) Ne se limitant pas au monologue intérieur, l’endophasie nous dit Hélène Lœvenbruck est "du langage sous des formes parfois différentes de celles qu’on peut avoir lorsqu’on parle à voix haute". L’endophasie n’est ainsi rien d’anormal a priori. Selon Hélène Loevenbruck, "c’est une particularité de l’être humain d’avoir cette conversation interne". Cependant, ajoute-t-elle, parfois, "ça peut dérailler". Il est des cas où l’endophasie devient un symptôme de troubles.— (Olivia Gesbert et Hélène Lœvenbruck, Petite voix intérieure : qui me parle ?, émission La Grande table, www.radiofrance.fr/franceculture, 12 mai 2022)
La Bibliothèque de Lyon possède quelques ouvrages sur le sujet :
Le moyen de parler [Livre] / Gabriel Bergounioux
Propose un parcours à travers des recherches philosophiques, psychanalytiques, psychologiques et linguistiques afin de montrer comment chacune de ces disciplines se partage la question de l'analyse de l'endophasie, c'est-à-dire du discours intérieur propre à chaque être humain, symbole de son existence.
Quelqu'un à qui parler [Livre] : une histoire de la voix intérieure / Victor Rosenthal
Valorisée par les Anciens, ignorée des Modernes, la voix intérieure est cette voix intime qui m'interpelle, me parle, me susurre ou me crie à l'oreille. Elle m'accable, me réconforte, commente ce qui advient ou me fait la lecture. Elle n'est pas seulement là pour m'encombrer de sa compagnie : elle confère à la vie humaine une profondeur délibérative et un recul face au cours du monde. L'idée même d'une intériorité psychique est en effet tributaire de la possibilité de s'entretenir à tout instant avec soi-même. Nul besoin de faire appel à une substance métaphysique (âme, esprit, psychisme) pour jouir d'une vie intérieure : j'entretiens un rapport social avec moi-même et je dois vivre sous la pression de l'autre voix. Confidente par excellence et critique sans pitié, singulier reflet de l'intime d'un être social, la voix intérieure habite autant qu'elle accompagne.
Paroles intérieures de migrantes [Livre] / Catherine Paulin et Stéphanie Smadja ; avec la participation de Jeanine Rochefort ; cartes d'Eugène Smadja
En restituant ces voix étouffées, le but n'était pas de les entendre ou de leur fournir l'asile, l'hospitalité chaleureuse qu'elles espéraient trouver ; il s'agissait surtout d'étudier comment l'esprit humain se parle à lui-même dans des situations tragiques : dans quelles conditions et comment peut-on réellement, malgré les traumatismes, s'ouvrir à l'autre ? Comment l'autre, l'étrange ou l'étranger, influe-t-il sur la représentation de soi ? Comment perçoit-on intérieurement les obstacles à l'intégration, et comment arrive-t-on à les surmonter ?
Le mystère des voix intérieures [Livre] / Hélène Loevenbruck
S'appuyant sur plusieurs disciplines mais également sur de nombreux exemples tirés d'oeuvres littéraires, de films ou de chansons, l'auteure livre une étude fouillée sur le monologue intérieur ou endophasie. Elle questionne les limites qui séparent la voix intérieure considérée comme normale et des déviations telles que les hallucinations ou les paroles obsédantes. ©Electre 2022
Les auteurs et autrices de ces ouvrages sont reconnu-es dans les milieux de la linguistique. Nous vous proposons toutefois d'approcher l'endophasie à travers l'ouvrage très clair et attrayant d'Hélène Loevenbruck, et de son entretien à l'émission La Grande table, sur France culture, diffusée le 12 mai 2022 :
C'est une particularité des êtres d'avoir ces conversations internes parce qu'on a, nous les humains, cette capacité de s'inhiber et de pouvoir avoir des comportements imaginés. Et parmi ces comportements imaginés on a l'acte de se parler, ou l'acte de parler à autrui qui peut devenir inhibé et se faire dans notre tête. C'est donc tout à fait normal. C'est très utile. Ça peut dérailler parfois, c'est pour cela que c'est intéressant de mieux comprendre, d'un point de vue médical, comment cela fonctionne, parce qu'il y a des cas où l'endophasie est un dysfonctionnement, devient une cause de trouble ou en tout cas un symptôme de trouble.
Historiquement, Loevenbruck indique que l'idée de "flux" ou "flot de conscience", avec une idée de "coulée" faite d'enchaînements sémantiques, n'est pas neuve, puisque le philosophe écossais Alexander Bain qui l'a mise en lumière dès 1855, avant qu'elle soit reprise par le psychologue William James dans son Précis de psychologie en 1892 (sous le nom de stream of though, courant de pensée). Au tournant du XXè siècle, des romancier tels qu'Edouard Dujardin, Virginia Woolf et James Joyce lui offrirent une grande postérité littéraire.
Mais à quoi sert ce flux, qui peut prendre des formes diverses, parfois condensées, parfois délayées, est capable de monologue et de dialogues imaginaires, mais obéit à une logique tout à fait différente de celle qui gouverne nos conversations avec autrui ? Selon la linguiste, le langage intérieur nous aide à "creuser, à reformuler certaines idées, à les déployer". Les mots étant des outils dans notre compréhension du monde, il contribue à l'ordonner à travers des catégories, contribuant à l'efficacité de notre pensée. Comme les autres formes de langage, il a une fonction communicative (dialoguer avec les autres) et une fonction cognitive (penser), mais également "une troisième fonction, qui est méta-cognitive : elle permet de se penser, de se donner une conscience de soi, de se réguler, de se motiver..." Toutes ces fonctions nous aident à nous construire, mais également à nous juger moralement et à nous relier à notre histoire.
Nous vous laissons écouter l'entretien en entier pour découvrir quelques points encore mystérieux mais fascinants des voix intérieures, notamment leur rapport avec nos accents, les langues que nous parlant ou leur rôle dans la lecture.
N'hésitez pas à découvrir également la conférence de l'autrice sur la chaîne YouTube de la Maison des sciences de l'homme Alpes ou son entretien sur les site d'Echosciences Grenoble.
Notons enfin que depuis 2010, l'Université Paris Cité (Cerilac) s'est dotée du programme interdisciplinaire Monologuer, entièrement consacré à l'endophasie et qui s'est dotée d'une collection pour ses publications (principalement dévolue à l'oeuvre de sa coordinatrice Stéphanie Smadja) mais également d'une compagnie de recherche-création en théâtre-danse, les Endonautes.
Nous n'avons trouvé aucune étude spécifique sur l'implication de l'endophasie dans la pratique de la danse. Ce qui n'est pas très étonnant, d'une part parce que l'endophasie n'est pas un champ d'étude très fréquenté, mais aussi parce qu'elle intéresse actuellement surtout des linguistes, lesquels n'ont pas encore massivement approché les rivages de la danse... on trouve toutefois quelques articles sur les aspects cognitifs - relatifs aux mécanismes de la pensée - de la danse :
Marielle Cadopi, La motricité du danseur : approche cognitive, Bulletin de psychologie, 2005/1 (Numéro 475), p. 29-37.
Alix Seigneuric, Hakima Megherbi, La cognition incarnée : une entrée dans la danse, Enfances & Psy, 2023/4 (N° 98), p. 79-90.*
Marielle Cadopi, Sportif et danseur : représentations pour l'action chez de jeunes pratiquants, Enfance, 1994 (2-3) pp. 247-263
José Gil, La danse, le corps, l’inconscient, Terrain, 2000, n°35
C'est peu, mais nous vous invitions à poursuivre vos recherches sur des bases de données et moteurs spécialisés tels qu'OpenEdition ou Google scholar.
Bonne journée.
Complément(s) de réponse
Bonjour,
Stéphanie Smadja, que nous avions sollicité suite à votre question sur les voix intérieure et la danse, nous a fait la réponse suivante, pour laquelle nous la remercions vivement :
Nous n’avons pas encore publié sur la danse. En revanche, j’ai moi-même travaillé plusieurs années avec une danseuse et je dirige un master 2 précisément sur ce sujet (danse et langage intérieur). N’hésitez pas à conseiller à cet usager de contacter directement mon équipe.
Chaleureusement,
Stéphanie Smadja
Maître de conférences HDR, UFR LAC, UniversitéParis Cité
Vice-Doyenne Valorisation de la Recherche, Plateformes de Recherche, Faculté Sociétés & Humanités (Bureau 205, 2 rue Vallette 75005 Paris)
Coordinatrice du Programme Monologuer :https://u-paris.fr/cerilac/monologuer/(Bureau 779 C, Aile C,Bât. des Grands Moulins, 5 rue Thomas Mann 75013Paris)
Directrice de la collection «Monologuer» (ÉditionsHermann)
Revoici donc les Contacts de l'unité de recherche Monologuer :
Responsable : Stéphanie Smadja
contact@monologuer.eu
stephanie.smadja@u-paris.fr
Adresse : 5 rue Thomas Mann, 75013
Bâtiment Grands Moulins, Aile C, bureau 779, 7ème étage
Bonne journée.