Je suis thérapeute et j'aimerais expliquer à quel point l'imagination est une ressource importante en thérapie
Question d'origine :
Bonjour,
Je suis thérapeute et j'aimerais expliquer -avec des fondements scientifiques- aux personnes que j'accompagne à quel point l'imagination est une ressource importante en thérapie.
Je sais qu'un souvenir 'imaginé' provoque presque les mêmes modifications synaptiques qu'un souvenir réellement vécu. Ex.: lorsqu'on s'imagine sur une plage et qu'on 'active' nos modalités visuelles, auditives et olfactives, on se sent bien comme si on y était. Comment est-ce possible?
Une psychologue praticienne en hypnose m'a expliqué succintement un jour que notre cortex sait que nous n'avons pas vécu le souvenir, mais ses effets bénéfiques sont bien réels, dus à une substance blanche qui elle, ne fait pas la différence entre le réel et le vécu.
Pouvez-vous SVP m'éclairer sur ce point? M'expliquer le processus physiologique et les effets psychologiques et probablement d'autres, en lien avec la mémoire... ?
J'ai en effet besoin de 'bases' solides, de références scientifiques car la psychologie, même si elle évolue avec l'avancée des neurosciences est encore considérée par certains comme une science molle.
Je vous remercie beaucoup pour le traitement de cette question.
Réponse du Guichet
Si nous comprenons bien votre question, vous vous interrogez sur les techniques d’imagerie mentale et/ou de visualisation. Comment notre cerveau fabrique ces images ? Quels sont leurs bienfaits avérés et validés par la science?
Le site de santé grand public Passeport santé définit la visualisation et l'imagerie mentale ainsi :
Visualisation et imagerie mentale, qu'est-ce que c'est ?
La visualisation et l’imagerie mentale sont deux techniques qui font toutes deux partie de ce qu’on appelle désormais la psychoneuroimmunologie, qui comprend des techniques comme la méditation, l’hypnose ou le biofeedback, avec lesquelles elles sont d’ailleurs souvent utilisées. Dans cette fiche, vous découvrirez ces techniques plus en détails, leurs spécificité, leur histoire, leur bienfaits, qui les pratique, comment effectuer une visualisation et enfin, quelles sont les contre-indications.
Les grands principes communs aux 2 disciplines
Apparentées à l’autohypnose, la visualisation et l’imagerie mentale sont des techniques qui visent à mettre en œuvre les ressources de l’esprit, de l’imagination et de l’intuition pour améliorer les performances et le mieux-être. Bien que les 2 termes soient souvent utilisés indistinctement, on s’accorde généralement sur la différence qui suit : dans la visualisation, on impose des images précises à l’esprit, tandis que l’imagerie cherche à faire émerger les représentations qui appartiennent à l’inconscient du sujet.
L'imagerie mentale : faire surgir des images produites par l'imagination
Ce qu’on appelle généralement l’imagerie mentale a comme fonction de faire surgir à l’esprit des images produites par l’imagination, l’intuition et l’inconscient, comme ce qui se passe dans le rêve. L’idée est de recourir à l’« intelligence » de l’inconscient et à la capacité de l’organisme de « savoir » ce qu’il vit et ce qui est bon pour lui. La plupart du temps, l’imagerie mentale se fait avec l’aide d’un intervenant qui peut guider le processus, et aider à en décoder le sens et à en tirer des applications concrètes.
Cette technique est utilisée dans différents contextes plus ou moins thérapeutiques : pour mieux connaître divers aspects de soi, pour stimuler la créativité dans tous les aspects de sa vie, pour comprendre les causes d’une maladie et trouver des moyens de se soigner. Afin d’atteindre l’état de détente mentale nécessaire à l’émergence d’images qui ne sont pas dictées par le conscient, il faut amorcer l’exercice par une période de relaxation plus ou moins importante et libérer l’esprit des préoccupations courantes. Ensuite, le sujet amorce une « aventure mentale » qui offre un contexte favorable et laisse des situations se concrétiser dans son esprit.
La visualisation : cette capacité à se représenter un objet
La visualisation est cette capacité mentale que nous avons de nous représenter un objet, un son, une situation, une émotion ou une sensation. Selon son intensité, cette représentation peut déclencher plus ou moins les mêmes effets physiologiques que le ferait la réalité. Quand, par exemple, on a très peur dans le noir, les manifestations corporelles de la peur sont pratiquement les mêmes que si un monstre nous menaçait vraiment. À l’opposé, penser à une situation agréable amène le corps dans un état réel de détente.
On se sert donc de la visualisation pour agir sur des comportements ou des processus physiologiques (pour accélérer la guérison, par exemple). Pour certains objectifs, les représentations mentales de la visualisation doivent être conformes à la réalité. C’est le cas quand une personne se prépare à accomplir une activité qui lui paraît risquée ou difficile, disons un plongeon du tremplin de 10 mètres. De manière systématique, le sujet se représente tous les éléments de l’activité : le lieu, l’attitude souhaitée, les détails précis de chaque élément du plongeon, les étapes telles qu’elles doivent se dérouler ainsi que le sujet lui-même en train de surmonter les difficultés. Répété de manière intensive, cet exercice aurait un effet conditionnant sur l’organisme, qui serait ainsi plus susceptible de se conformer au scénario prévu, durant le véritable plongeon.
Dans d’autres situations, il semble préférable que la visualisation se transporte sur le terrain de la métaphore. La visualisation curative utilise souvent cette approche : il s’agit de donner une forme symbolique à la maladie et à ce qui va la faire disparaître. Dans ce registre, il existe des visualisations positives et négatives. Prenons le cas d’une brûlure sur un bras. Une visualisation positive consisterait, par exemple, à imaginer un animal fantasmagorique et bienfaisant (seulement si le sujet aime les animaux) en train de lécher la plaie pour la faire disparaître. Ce pourrait aussi être de simplement se représenter soi-même avec le bras guéri, comme par magie. Une visualisation négative, d’autre part, pourrait avoir recours à une armée d’ouvriers qui, sans relâche, travailleraient à capturer les agents infectieux qui se créent dans la plaie et à les écraser pour les rendre inoffensifs.»
Source : Passeport santé
Dans l’article Un nouveau modèle des réseaux cérébraux de l’imagerie mentale visuelle de l’institut du cerveau, le neurologue Paolo Bartolomeo explique les processus cérébraux en œuvre lorsque nous parvenons «à voir une image dans nos pensées» :
Comment parvenons-nous à «voir» des images dans nos pensées? Si l’on vous parle du tableau Monna Lisa de Léonard de Vinci, vous pouvez surement le visualiser dans votre tête et vous souvenir du sourire énigmatique de la Joconde. Une étude récente de l’équipe de Paolo Bartolomeo, publiée dans Neuroscience & Biobehavioral Reviews, propose un nouveau modèle sur les bases cérébrales de cette capacité appelée imagerie mentale visuelle.
(…)
«La théorie dominante pour expliquer ce qu’il se passe dans notre cerveau lorsque nous créons de telles images est que nous faisons appel au même système que celui engagé pour la vraie vision: l’aire visuelle primaire située dans le cortex occipital, à l’arrière de notre cerveau. Des données viennent cependant remettre en cause ce dogme: des patients atteints d’une lésion au niveau du cortex occipital dont la vision est affectée, sont toujours capables d’imagerie mentale visuelle.
Ce cas était loin d’être unique. L’étude de nombreux patients suggérait que des lésions dans des régions visuelles de haut niveau au niveau du lobe temporale, dont le rôle est plutôt d’analyser les informations captées par le lobe occipital, étaient délétères pour l’imagerie mentale. Face à l’accumulation d’éléments qui remettaient en cause le modèle initial du rôle de l’aire visuel primaire dans l’imagerie mentale visuelle, l’équipe du Dr Paolo Bartolomeo a réanalysé 46 études réalisées sur le sujet en IRM fonctionnelle à la lumière de ces nouveaux éléments.
Ils mettent en évidence que le cortex occipital n’a aucune tendance à s’activer lors de l’imagerie mentale. Ce sont les régions fronto-pariétales qui sont plus particulièrement sollicitées, à la base de l’attention et de la mémoire de travail (qui nous permet de garder les informations à l’esprit pour les utiliser), ainsi qu’une région bien définie du gyrus fusiforme dans le lobe temporal gauche. Pour confirmer ce premier résultat, les chercheurs ont conduit une analyse bayésienne sur ces données. Cette méthode statistique permet d’affirmer que le résultat est bien négatif, ici que l’aire visuelle primaire ne s’active pas lorsque nous utilisons notre imagerie mentale visuelle.
«Face à ces résultats, nous proposons un nouveau modèle qui associent les réseaux fronto-pariétaux aux régions visuelles de haut niveau du cortex temporal ventral, centrées sur le gyrus fusiforme. Ce modèle mettrait pour la première fois d’accord les données obtenus chez les patients porteurs de lésions cérébrales et chez les sujets sains.» conclut Paolo Bartolomeo.
Ce modèle révisé de l’imagerie mentale visuelle doit à présent être vérifié par des études de neuroimagerie, basée sur l’IRM à ultra-haut-champ (7T), l’électroencéphalographie intracérébrale, et la comparaison avec des données de patients.
Quant aux rôles joués par l’imagerie mentale, voici ce qu’en disent des étudiantes en sciences cognitives de l’université de Bordeaux dans un travail qu'elles ont mené sur l'aphantasie :
«Débats entourant l'imagerie mentale
L’imagerie mentale visuelle est une capacité encore méconnue qui interroge et soulève le débat au sein de la communauté scientifique depuis des décennies, sur plusieurs plans (Keogh et al., 2017). Elle repose sur un ensemble de processus cognitifs et comporte de nombreuses caractéristiques. Ainsi approcher l’imagerie mentale visuelle avec une vue d’ensemble sur les débats actuels et passés traitant de ses différentes facettes permet de mettre en relief sa complexité et de clarifier notre manière de l’aborder.
(…)
En effet, plusieurs hypothèses suggèrent que l’imagerie mentale visuelle a pour fonction d’amplifier les émotions (Wicken et al., 2021) et serait un moyen stratégique pour retenir l’information (Keogh et al., 2021).
L’hypothèse d’amplificateur émotionnel est alimentée par des preuves physiologiques et comportementales étudiées. La présence en mémoire autobiographique de détails appartenant à la catégorie sémantique des émotions est amoindrie chez les personnes dépourvues d’imagerie mentale visuelle (Dawes et al., 2022). Cette diminution de la place des émotions en mémoire épisodique confirme la théorie d’amplificateur émotionnel.
D’un point de vue physiologique, un lien entre un manque d’imagerie mentale visuelle et une atténuation des émotions perçues sous des conditions impliquant l’imagerie mentale visuelle, est établi dans plusieurs études (Wicken et al, 2019 ; Wicken et al. 2021). Pour finir, de nombreux modèles de la cognition humaine proposent que lorsque les pensées prennent la forme d’images mentales c’est dans le but de relier nos pensées à nos émotions (Keogh et al., 2023).
A cette hypothèse s’ajoute celle attribuant un rôle stratégique de rétention en mémoire de l’information visuelle à l’imagerie mentale visuelle (Keogh et al., 2023). Par exemple, les personnes aphantasiques doivent avoir recours à d’autres stratagèmes afin de retenir l’information visuelle. Lorsque la population va faire une représentation visuelle mentale d’une image, les personnes sans imagerie mentale visuelle vont quant à elles encoder en mémoire l’image en utilisant des stratégies non visuelles en étiquetant ses composants (Keogh et al., 2021) ou encore en se basant sur l’imagerie spatiale, kinesthésique (Zeman et al., 2020). Cette démarche compensatoire nécessiterait la mobilisation de régions cérébrales supérieures pour représenter l’information visuelle chez les personnes aphantasiques plutôt que des régions sensorielles de plus bas niveau d’ordinaire impliquées lors de tâches d’imagerie mentale visuelle chez des individus contrôle (Keogh et al., 2021).
Bien que les rôles attribués à l’imagerie mentale visuelle ne soient encore qu’au stade d’hypothèses, ils restent très importants et mettent en avant l’ampleur qu’elle prend dans la cognition humaine au quotidien. Il est ainsi pertinent de s’interroger sur l’implication de la conscience dans cette capacité cognitive majeure. Cette question fut pendant longtemps sujet à débat, centrée autour du cas des personnes aphantasiques. Effectivement leur absence d’imagerie mentale donna naissance à plusieurs hypothèses : la première est qu’il est possible que les personnes aphantasiques n’aient pas la capacité de générer elles-mêmes des images mentales de manière volontaire et involontaire et la seconde hypothèse est de manière plus controversée que les personnes aphantasiques possèdent des représentation mentales visuelles ou encore images mentales mais n’y ont pas accès de façon introspective, consciente (Kwok et al., 2019 ; Monzel et al., 2021). Des travaux récents impliquant la tâche de rivalité binoculaire (Tâche de rivalité binoculaire) semblent valider l’hypothèse d’une absence d’imagerie mentale. Il est alors avancé en réponse à cet argument qu’il existe une imagerie visuelle volontaire lésée et involontaire intacte chez les personnes aphantasiques (Nanay, 2020). Cependant cette hypothèse est invalidée par le fait que les personnes qui ont une aphantasie congénitale restent capables de faire des tâches reposant sur l’imagerie visuelle volontaire avec succès (Jacob et al., 2018 ; Keogh et al., ; 2021, Milton et al., 2021 ; Pounder et al., 2022 et Zeman et al., 2012). De plus cette théorie n’explique pas les problèmes de mémoire épisodique et de projection dans le futur causées par l’aphantasie (Blomkvist, 2022).»
Source : Charline Montant, Université de Bordeaux
L’enseignant chercheur Ayemric Guillot de l’Université Claude Bernard à Lyon 1, travaille sur les bénéfices de la «représentation mentale» dans le cadre du développement des compétences, de l’amélioration des performances ou encore pour récupérer en cas de blessures.
Il explique son travail et ses recherches dans cette conférence TEDx.
Enfin nous avons trouvé peu de documents dans notre bibliothèque qui répondent scientifiquement à votre questionnement. Nous en retenons tout de même deux qui pourront peut-être en partie éclairer vos interrogations :
- Guérir grâce à la neuroplasticité
- Imagerie mentale, thérapie en miroir : applications en rééducation
Bonne journée
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