En périodes glaciaires l'Homme maitrisait-il le feu dans l'hémisphère nord ?
Question d'origine :
Bonjour,
Avant la domestication du feu par l'humain, peut-on penser que le feu était un phénomène extrêmement rare en général, voir inexistant dans l' hémisphère nord pendant toutes les périodes glaciaires? un homo habilis, par exemple, pouvait-il ne jamais voir de feu de toute sa vie?
Merci aux bibliothécaires du guichet du savoir pour ce service exceptionnel.
Réponse du Guichet
Les avis divergent et il ne sera pas possible de confirmer ou d'infirmer une thèse. Tout au plus les scientifiques constatent-ils une augmentation du nombre de foyers il y a 400 ou 300.000 ans.
Bonjour,
Les avis divergent et les fouilles archéologiques ont certes montré la présence de feu sans toutefois pouvoir en démontrer l'usage par l'homo habilis.
D'ailleurs, Vybarr Cregan-Reid écrit que "Le feu est un sujet brûlant en paléoanthropologie. Les experts en parvienne à s’accorder ni sur l’origine de cette découverte, ni sur la façon dont le feu s’étendit, ni sur son utilisation". (Source : Prêts pour l'Anthropocène? Comment notre corps s’adapte au monde qui change, 2020)
Sans pouvoir être affirmatifs, nous préférons donc vous divulguer quelques unes des hypothèses formulées jusqu'à présent.
Pour rappel, la généralisation du feu aurait eu lieu il y a 300 ou 400 000 ans comme le mentionne le site du Muséum national d'Histoire Naturelle :
La présence d’outils en silex chauffés, d’ossements brûlés, de charbons de bois et de traces de sol brûlé dans les sites préhistoriques montre que l’utilisation du feu se généralise à partir de - 400 000 ans et profite à tous les groupes humains depuis cette époque.
Paul Bert et Raphaël Blanchard dans Éléments de zoologie (2016) rapportent :
L’homme a certainement vécu à la période glaciaire, qui a servi de transition entre l’époque tertiaire et l’époque quaternaire : à Wookey, dans une grotte qui date de cette période, on a trouvé des ustensiles en silex, d’une nature particulière, qui démontrent l’existence de l’Homme. Vers la même époque, l’Homme vivait aussi en suède, comme l’atteste la découverte faite à Södertelje, non loin de Stockholm, d’une hutte en bois avec les fondations en pierre, qui, à l’époque glaciaire, se trouvait bâtie sur les bords même de la mer. L’Homme glaciaire connaissait bien le feu, car, dans l’intérieur de cette hutte, on a trouvé un foyer grossier où il y avait encore des charbons, et à côté se trouvaient quelques branches de sapin brisé, évidemment destinées à entretenir le feu.
Jacques Collina-Girard rappelle aussi l'ancienneté de l'usage du feu dans Le feu avant les allumettes. Expérimentation et mythes techniques (2016) :
Chronologiquement, l’emploi du feu paraît très ancien. Il est déjà systématique dans certains habitats attribués à l’Homo erectus. La date approximative de 400 000 avant notre ère est souvent avancée comme seuil chronologique approximatif pour la diffusion de son utilisation :
En l’état actuel de nos connaissances, les plus anciennes traces de feux intentionnels apparaissent dans le sud-est de la France (Grotte de l’Escale, grotte de l’Aldène) vers 600 000/650 000 avant le Présent. Les « foyers » ne sont alors pas structurés, mais simplement posés sur le sol ; les systèmes de combustion se structurent dès 450 000/500 000 ans : il apparaît alors des foyers construits de différents types qui limitent les emplacements des feux et facilitent la combustion (Bonifay, 1993 : 159).
Certains supposent une connaissance du feu plus ancienne, remontant aux premiers hominidés, vers 1,4 million d’années avant notre ère (Gowlett, 1985). G. Bosinski (1996) pense que la période allant de 1,5 à 1 million d’années correspond à l’apparition des premières traces de l’utilisation du feu. Malheureusement, les traces de feu sont discutables pour ces périodes très anciennes et ne font pas l’unanimité de tous les chercheurs, loin s’en faut (james, 1989, Perlés, 1977).S’il est difficile de cerner la date d’apparition du feu, il est encore moins évident de saisir le moment où l’on a maîtrisé sa production. Jusqu’à présent, en l’absence de données factuelles, les mythes ont constitué la seule réponse à ces questions. A la suite de Lucrèce et des auteurs latins, on a écrit que l’homme avait tout d’abord utilisé les feux naturels spontanés, de diverses origines (…) L’emprunt du feu aux volcans ou aux incendies allumés par la foudre n’est pas totalement à exclure. En revanche, l’idée que le frottement accidentel de deux branches d’arbres agitées par le vent puisse produire une inflammation spontanée nous semble peu réaliste quand on connaît les contraintes techniques pour rendre les systèmes d’allumage par frictions efficaces.
On a très généralement imaginé une longue période où on ne savait pas fabriquer le feu, qui était seulement conservé et entretenu dans des foyers par des tribus en constants déplacements (….) Appliquée à la Préhistoire, cette hypothèse reste cependant une simple supposition, difficile à étayer par des preuves objectives (…). La technologie préhistorique du bois nous est pratiquement inconnue, car cette matière résiste mal aux aléas de la fossilisation. Peut-être sera-t-il possible de remédier à cette lacune en fouillant des gisements exceptionnels là où cette matière est conservée. Les fouilles qui ont actuellement lieu en Catalogne espagnole, sous la direction d’Eudald carbonell, à l’abri Rommani ont, par exemple, déjà livré quantité de fragments ligneux en contexte néandertalien (LAUt, 1993). De le même manière, les sites du Paléolithique inférieur de Kàrlich en Allemagne ont livré quantité de vestiges ligneux (Bosinski, 1996). Les moyens utilisés par les « Primitifs » sont relativement limités, mais leur utilisation est suffisamment complexe pour que leur invention ne soit certainement pas le seul fait du hasard … …
Le site géo fait état d'un usage du feu plus ancien sur le continent africain puisque remontant à plus d'1,5 millions d'années :
Difficile à dater, elle s’est faite de manière progressive à plusieurs endroits à la fois. On sait qu’Homo erectus le domestiquait vers 400.000 ans avant notre ère, et qu’Homo sapiens a développé son usage.
Les plus anciennes traces de feu comme phénomène naturel remontent à plus d’1,5 millions d’années. Elles ont été découvertes en Afrique, en Éthiopie et au Kenya. Les chercheurs de tous horizons, physiciens, chimistes et paléoanthropologues travaillent main dans la main, et d’arrache-pied, afin de percer ce mystère si brûlant. Lesquels de nos lointains cousins utilisaient le feu ? Il est extrêmement difficile de distinguer un feu accidentel d’un feu maîtrisé.
( ...)
Dans une caverne d’Afrique du Sud, Homo erectus se serait réchauffé au coin du feu il y a 1 million d’années. C’est ce que prouveraient des fragments d’ossements et de cendres de substances végétales retrouvés à des endroits bien délimités dans la grotte de Wonderwerk (« miracle » en afrikaans) par une équipe d’anthropologues. Une théorie qui ne fait pas l’unanimité dans le milieu scientifique.
Des fouilles effectuées au Moyen-Orient, sur le site de Gesher Benot Ya’aqov en Israël, ont révélé les restes d’un foyer possiblement entretenu par l’Homme il y a plus de 790.000 ans. Mais comment en être sûr ? Homo erectus, Neandertal, Homo sapiens, tous auraient utilisé le feu. M
Mais aussi, comment savoir s’ils savaient le provoquer ou s’ils récupéraient le feu, à l’aide de branches ou de brindilles enflammées ?
Pour le paléoanthropologue au CNRS et au Muséum national d’Histoire naturelle Antoine Balzeau, « les comportements ne se fossilisent pas (..) il est toujours délicat de démontrer l’intentionnalité humaine. Ce que l’on sait, c’est qu’à partir de 400 ou 300.000 ans, il y a une vraie augmentation du nombre de foyers, qui étaient avant occasionnels. Ils se développent en Chine, au Proche-Orient, en Bretagne… »
En guise de conclusion, Denis Guthleben dans La fabuleuse histoire des inventions. De la maîtrise du feu à l'immortalité (2021) insiste sur le fait que le débat divise les scientifiques et que pour l'heure, si nous savons qu'il était utilisé il y a 400 000 ans, nous n'avons pas de connaissances suffisantes pour pour les années antérieures :
Toutefois, déterminer ce moment soulève des difficultés majeures. L'existence de foyers aménagés il y a 400 000 ans fournit des preuves incontestables, par exemple sur le site de Menez Dregan, à Plouhinec dans le Finistère (...) Mais avant cela ? Tout le problème réside dans l'interprétation des restes calcinés, graines, os, bois et autres débusqués à travers le monde : sont-ils le fruit d'incendies naturels ou de feux intentionnels ?
En 2004, des chercheurs israéliens ont publié dans la revue Science un article relatant la découverte d'indices de domestication vieux de 790 000 ans sur le site de gesher Benot Ya'aqov. Après avoir analysé des dizaines de milliers d'échantillons et constaté qu'une faible partie seulement présentait des traces de combustion sur des emplacements ciblés, ils ont écarté l'hypothèse naturelle. Plus récemment, en 2012, une équipe internationale a annoncé une trouvaille similaire dans les strates de Wonderwerk Cave, une grotte située en Afrique du Sud. Des techniques pointues de microspectrométrie ont notamment été utilisées, qui ont révélé la présence de fragments d'os et de cendres datés d'un millions d'années, que la pluie ou le vent n'auraient pas pu déposer là. Mais, dans un cas comme dans l'autre, ces hypothèses demeurant très controversées : une véritable guerre anime les scientifiques ...
Affaire à suivre ....