Quels sont les arguments de ceux qui estiment que les tests ADN généalogiques ne sont pas scientifiques ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Quels sont les arguments de ceux qui estiment que les tests ADN généalogiques ne sont pas scientifiques ?
Cordialement.
Réponse du Guichet

Certains scientifiques reprochent aux entreprises de généalogie génétique en ligne un flou dans l'interprétation de leurs tests, mélangeant les catégories de l'origine géographique et la proximité génétique, prenant peu en considération l'histoire et la réalité des mouvements de population et caricaturant quelque peu le fonctionnement de la transmission génétique. Mais également une certaine tendance à "oublier" de communiquer sur leur marge d'erreur.
Bonjour,
Pour comprendre ce que reproche une partie du monde scientifique aux kits génétiques de recherche d'origine, voyons d'abord comment ceux-ci fonctionne. Le média en ligne Slate a publié un article assez clair à ce sujet, Peut-on déterminer son origine ethnique avec un test ADN ? :
Leur principe est simple: certaines portions d'ADN peuvent être liées, avec plus ou moins de fiabilité, à des zones géographiques particulières. Par exemple, l'haplogroupe maternel H est très commun en Europe (40% environ des Européens le portent), et se retrouve également de manière moins fréquente en Asie et en Afrique, mais il est quasiment absent en Australie ou en Amérique.
Ce marqueur offre une indication, mais ne peut pas à lui seul permettre de déterminer d'où viennent les ancêtres d'une personne, d'autant plus que peu d'êtres humains ont tous leurs ancêtres originaires du même endroit et qu'un brassage génétique s'opère à chaque génération. En revanche, en combinant de nombreux marqueurs que l'on retrouve chez une personne, les entreprises les plus sérieuses de tests ADN peuvent obtenir un tableau bien plus précis.
Puces de génotypage
Elles utilisent pour cela des puces de génotypage, dont les plus récentes permettent de tester jusqu'à 770.000 points de génome simultanément, et des logiciels capables d'analyser de grandes quantités de données génétiques.
Il faut ensuite diviser les chromosomes en segments qui sont comparés un par un à une base de données de populations de référence pour chaque zone géographique pour déterminer de quelle population chaque segment provient le plus probablement. Si l'on détecte chez une personne de nombreux segments de chromosomes que l'on retrouve souvent en Afrique, alors elle a probablement des ancêtres africains.
La fiabilité des résultats dépend en grande partie de la manière dont sont déterminés les génomes des populations de référence. Les entreprises utilisent pour cela des génomes qu'elles ont elles-mêmes déjà analysés et recoupés avec des données issues de travaux généalogiques classiques sur les mêmes personnes. Par exemple, si l'on sait que vos quatre grands-parents sont nés dans le même pays, et qu'il s'agit d'un pays qui a connu peu d'immigration au cours des dernières générations, votre génome est candidat à l'inclusion dans le groupe de référence de ce pays.
Ces données sont ensuite recoupées avec celles de bases de données génétiques publiques comme Human Genome Diversity Project, HapMap ou le projet 1.000 Genomes pour obtenir des groupes de référence les plus précis possibles.
Le problème de ces recoupement de données, c'est que s'ils sont relativement fiables pour les très grands ensembles géographiques (l'Afrique, l'Europe...), ils perdent de leur précision dès qu'il s'agit d'aborder des échelles plus petites. De plus, l'histoire des migrations humaines est, selon les anthropologues, "bien trop complexe pour pouvoir savoir avec certitude que tel ou tel marqueur génétique correspond bien à telle population qui vivait il y a 10.000 ans à tel endroit." Par ailleurs, "Il n'existe pas de gène français ou éthiopien, seulement des marqueurs que l'on retrouve plus souvent chez les habitants de ces pays" : les nationalités sont des produits de l'histoire, pas de la génétique. Enfin, insiste l'article, les entreprises qui proposent ces tests "elles «oublient» presque toujours de communiquer sur la marge d'erreur de leurs calculs, qui peut facilement atteindre les 10 points".
L'article de Futura-sciences Noël : un test ADN sous le sapin, une bonne idée ? ajoute que "les résultats peuvent être décevants et varier d'un test à l'autre, car ils dépendent beaucoup de la base de données de comparaison."
Dans l'article de la RTS Les tests ADN grand public laissent certains experts dubitatifs, plusieurs spécialistes, tout en reconnaissant une certaine rigueur scientifique aux tests, insistent également sur la dépendance de ceux-ci aux bases de données utilisées, créant des disparités - ainsi, " les résultats seront plus fiables pour les îles britanniques que pour le Sahara". Mais surtout, c'est la conception même d'une population vue comme un tout stable qui pose problème :
En outre, certains généticiens remettent en question les données ADN de référence, considérées comme trop aléatoires. Puisqu'elles ne prennent pas en considération le mouvement des peuples, elles oublient en effet que ceux-ci ont pu se mélanger avec d'autres populations. "Lorsqu'on dit que votre ADN est originaire de telle ou telle ethnie, c'est considérer que ces populations ont une véritable existence unique et précise. Or, les généticiens et les anthropologues savent fort bien que cette classification de l'humanité en population est extrêmement floue", rapporte Pierre Darlu, anthropologue généticien au Musée de l'homme à Paris.
Enfin, nous vous conseillons de lire l'article paru dans The Conversation Que valent les tests ADN pour décrire nos origines ?. Celui-ci analyse très finement les méthodes utilisées et pointe un autre problème : la transmission de nos gènes ne se fait pas de façon linéaire et systématique. Au fil des générations, certains gènes hérités disparaissent naturellement de notre génome :
La transmission du patrimoine génétique peut être mal comprise du public : cette transmission est imparfaite et partielle. Contrairement à l’image savamment véhiculée par ces entreprises, le génome n’est pas un grand livre qui recenserait, à l’infini, les moindres détails des vicissitudes de nos aïeux. Pour nous en rendre compte, concentrons-nous un instant sur les chromosomes non sexuels. S’il est vrai que la moitié provient de la mère et l’autre du père, il est erroné de penser que les quatre grands-parents contribuent équitablement. En effet, leur patrimoine génétique est soumis à la roulette de la recombinaison génétique, ce mécanisme qui, par ailleurs, assure le brassage génétique. Kitty Cooper, joueuse de bridge américaine et généalogiste amateur, en fournit un exemple éloquent avec son analyse du génome de Brynne Gallup : le génome de la grand-mère maternelle, Karen, ne représente que 23,5 % du génome de Brynne quand celui de Brenda, la grand-mère paternelle, en représente 25,7 %. Les différences s’accentuent encore pour les arrière-grands-parents : Brynne ne doit que 9,8 % de son patrimoine génétique à Darrell, le père du père de son père, contre 14,5 % provenant de Gladene, la mère du père de son père. Par conséquent, les résultats des tests génétiques d’un frère et d’une sœur pourront présenter des différences substantielles et contre-intuitives.
Le détail de la mosaïque génétique démontre comment des segments entiers d’ADN terminent aux oubliettes : le chromosome 7 maternel est ainsi intégralement hérité de Harlan, le père de la mère de la mère de Brynne. Sur ce chromosome, la trace et l’histoire des trois autres arrière-grands-parents maternels est bel et bien perdue. Au fil des générations, les ancêtres finissent donc par quitter le patrimoine génétique, plus précisément, la moitié d’entre eux disparaît sur une dizaine de générations (250 ans).
La généalogie génétique ne peut donc prétendre rendre compte exhaustivement des racines de quelqu’un, seules seront présentes celles qui auront résisté aux caprices de la recombinaison.
L'article liste trois biais méthodologiques importants des entreprises de généalogie génétique : le lien suggéré entre "génétique, culture et géographie" est bien souvent suspect, et témoigne d'une confiance trop grande apportée au panel de référence ; le manque de transparence des entreprises sur leur marge d'erreur ; la confusion faite entre interprétation établie et interprétation la plus probable compte tenu du panel de référence - lequel est, comme on l'a vu plus haut, toujours sujet à caution.
Pour résumer : le manque de scientificité des entreprises ne concerne pas la fiabilité des tests effectués, mais leur interprétation et leur façon de communiquer, mélangeant des catégories comme l'origine géographique et la proximité génétique, prenant peu en considération l'histoire et la réalité des mouvements de population et caricaturant quelque peu le fonctionnement de la transmission génétique.
Bonne journée.