Pourquoi Lyon ne fait pas partie des villes Compagnons de la Libération ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi, malgré qu'elle soit capitale de la Résistance, Lyon ne fait pas partie des Villes Compagnons de la Libération ?
Réponse du Guichet
Bien que proclamée "capitale de la Résistance" par le Général de Gaulle en septembre 1944, la Ville de Lyon ne fait pas partie des cinq Villes auxquelles le titre de Compagnon de la Libération a été attribué. Selon divers spécialistes de l'histoire de la 2e guerre mondiale, les raisons seraient à chercher du côté de l'ambigüité du positionnement de certains des préfets ou magistrats lyonnais, du fait que Lyon est certes la capitale de la Résistance mais aussi la ville où la Milice a été créée. Enfin, Lyon a été très éprouvée en 1944 (bombardements, ponts détruits, déportation, massacres), les forces et les munitions lui manquent pour mener une ultime bataille qui marquerait sa libération.
Bonjour,
Le Musée de l’Ordre de la Libération, explique précisément à qui et pourquoi le titre de Compagnon de la Libération est attribué :
L’Ordre de la Libération est institué par le général de Gaulle en 1940 afin de récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se sont signalées dans l’œuvre de libération de la France et de son Empire.
Deuxième ordre national français après la Légion d’honneur, et deuxième chancellerie nationale, l’Ordre de la Libération ne comporte qu’un seul titre, celui de Compagnon de la Libération et un insigne unique, la croix de la Libération. Au total, 1 038 croix de la Libération ont été décernées à des personnes physiques, 18 à des unités militaires et 5 à des communes françaises : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’Île de Sein. Ce nombre restreint d’attribution donne à l’Ordre de la Libération un caractère exemplaire et fait de la croix de la Libération la distinction française la plus prestigieuse au titre de la Seconde Guerre mondiale.
Le musée détaille ensuite les critères d’admission :
Aucun critère d'âge, de sexe, de grade, d'origine, et même de nationalité, n'est exigé. C'est la valeur qui compte et la qualité exceptionnelle des services rendus, qui ne sont pas exclusivement des services combattants.
Source : Musée de l'Ordre de la Libération
On peut donc légitimement s’interroger sur l’absence de la ville de Lyon dans ce groupe de 5 villes, alors qu’en effet, elle a été proclamée « capitale de la Résistance » par le Général De Gaulle, en visite à Lyon le 14 septembre 1944.
Comment dire à Lyon toute l’émotion, toute la gratitude que je ressens dans cette capitale gauloise qui fut ensuite capitale de la Résistance et qui est aujourd’hui une très grande ville de notre France couverte de blessures, éclatante dans son honneur et emportée par son espérance… Je dis : couverte de blessures… Nous savons combien de nobles victimes ont été frappées dans votre ville par l’ennemi et quelquefois par les usurpateurs. Je dis l’honneur de Lyon. Voyons, il suffit qu’on regarde pour savoir de source sûre que ce peuple immense que vous êtes n’a jamais accepté la défaite… Je dis : l’espérance de Lyon… Ah ! Nous avons bien souffert… Et bien ! l’espérance de Lyon, qui est celle de la patrie, c’est que toutes ces épreuves-là n’aient pas été supportées en vain…
Source : Résistance et Contre-Résistance à Lyon et en Rhône-Alpes / Marcel Ruby, p. 527
Dans une interview disponible sur le site Montluc Mémoires multiples, Ugo Iannuci, figure du barreau lyonnais, décédé aujourd’hui, se montre assez mitigé quant à ce titre de «capitale de la Résistance». Pour lui, la réalité fut bien plus contrastée, «il retient surtout les atrocités, les massacres et les déportations massives commis par l'occupant, ses alliés français et la milice dans la région. Il évoque également l'ambiguïté des attitudes des Français. Le procureur Viout rappelle les positionnements tout à fait différents des préfets ou encore des magistrats dont les uns ont été des collaborateurs notoires et les autres des résistants. Si Lyon a été un haut lieu de la résistance, il rappelle également que Lyon est la ville où a été fondée la milice.».
Source: Lyon capitale de la Résistance ? Montluc Mémoires multiples
Un article du Point avance d’autres arguments. L’année 1944 a été particulièrement éprouvante pour la ville, les forces lui manquent pour livrer cette dernière bataille de manière éclatante :
Le 14 septembre 1944, le général de Gaulle, lors de sa tournée provinciale, intronise Lyon capitale de la Résistance au cours de son discours prononcé place des Terreaux. Pourtant, la ville, à la différence de Nantes et surtout des voisines Grenoble et Vassieux-en-Vercors, ne reçoit pas la médaille de l'ordre de la Libération.« Au-delà de la formule gaullienne,Lyon, élève appliquée, n'a pas eu la Libération dont elle rêvait », résume Isabelle Doré-Rivé, directrice du CHRD. La meilleure preuve ? Les forces résistantes - maquis, FFI, FTP de la vallée d'Azergues - et la 1ère DFL de l'armée de Lattre, dirigée par le général Diego Brosset, sont entrées sans combattre le 3 septembre au matin dans une ville déserte, qui a perdu tous ses ponts, à l'exception de la passerelle Saint-Vincent et du pont de l'Homme-de-la-Roche, sauvé par Joseph Laval, du groupe Combat, qui a fait mine de refaire ses lacets pour endommager les cordons de mise à feu. Tous les autres, fleurons d'une cité doublement fluviale, ont été détruits par les Allemands avant de vider les lieux. Plus gênant encore : Villeurbanne, elle, s'est insurgée, le 24 août, à l'instigation du bataillon Carmagnole des FTP-MOI, relayé par une rébellion populaire qui a vu les habitants édifier des barricades.
Chaos.
Mais cette relative indolence a quelques motifs sérieux. Depuis juin,Lyon est devenue le coeur de la répression allemande en France. Le chaos ferroviaire, issu des bombardements alliés préparatoires au Débarquement, oblige les Allemands à garder beaucoup de ses prisonniers à Lyon, qui n'est plus seulement une ville de transit vers Drancy ou Compiègne. Montluc déborde. Les prisons de Saint-Paul et Saint-Joseph sont réquisitionnées. De ces trois lieux vont être extraits régulièrement des détenus qu'on exécute ici et là : les premiers, au nombre de 19, sont tués le 9 juin à Communay. Les jours suivants, 19 autres sont liquidés à Limonest, 22 à Neuville-sur-Saône et encore 19 à Villeneuve-sur-Ain le 13 juin, ou le 16 juin, 28 détenus, dont Marc Bloch, à Saint-Didier-de-Formans. Ces massacres, qui se poursuivent en juillet, culmineront après le 17 août avec les exécutions massives de Bron (109 tués) et de Saint-Genis-Laval (environ 120). Cette dernière action a un retentissement particulier : le 23 août, le cardinal Gerlier a envoyé une lettre au patron de la Gestapo, Knab, où il écrit :« Ceux qui en portent la responsabilité sont à jamais déshonorés aux yeux de l'humanité. »Il célèbre lui-même les funérailles. La population lyonnaise a été également terrorisée par l'épisode du 27 juillet : après un attentat visant sur la place Bellecour le Moulin à Vent, restaurant fréquenté par la Gestapo, qui a emménagé au numéro 32, celle-ci a exécuté cinq détenus de Montluc qu'elle a laissés étendus sur le trottoir plusieurs heures avec interdiction de les recueillir.« Des femmes sanglotaient, des hommes regardaient, hébétés », écrit Michel Déon dans « Pages françaises ».[…]
Décimés.
Deux autres événements, concomitants, incitent Lyon à se tenir tranquille. Le 24 août, l'école Jean-Rostand, au croisement de la rue Tronchet et de la rue de la Tête-d'Or, reconvertie en hôpital militaire, est évacuée par l'occupant, qui, dans la débâcle, regroupe ses services sanitaires à la Croix-Rousse. Aussitôt, quelques membres français du personnel médical incitent la population à venir récupérer de la nourriture et du matériel. Informé, un détachement des troupes de l'air surgit de la caserne de la Part-Dieu par la rue Garibaldi et ouvre le feu. Le bilan est de 60 victimes civiles. Le même jour, l'insurrection de Villeurbanne est férocement réprimée. Par ailleurs, les principaux maquis de la région, dans l'Ain et le Vercors, viennent d'être décimés. Les forces sont faibles. Le 31 août, la puissante XIe Panzer, qui reflue en bon ordre, a ostensiblement traversé le centre-ville. Voilà pourquoi aussi Alban Vistel, patron des FFI pour la région de Lyon, et Yves Farge, nommé commissaire de la République, décident de ne pas infliger à Lyon de victimes supplémentaire.
Source: Lyon - Une étrange libération. François-Guillaume Lorrain. Le Point, 28 mars 1919. Disponible sur Europresse
Marcel Ruby, dans son livre Lyon et le Rhône pendant la guerre, donne une version similaire (p.190):
La libération
Mais que font les Résistants? Pourquoi n’ont-ils rien tenté pour mettre la ville en état d’insurrection (et pour sauver les ponts)?
En fait, tandis que les forces allemandes restent puissantes, Alban Vistel précise sans fard que les F.F.I. ne comptent que 500 hommes encadrés des secteurs M.U.R., quelques centaines d’hommes des Milices Patriotiques et «une masse pleine de bonne volonté»… mais désarmée. Car «tout ceci dispose en tout et pour tout de quelques dizaines de mitraillettes et pistolets». Dans Lyon, militairement, la Résistante est donc complètement impuissante.
En outre, elle vient de subir des coupes sombres. L’Etat-Major des F.T.P. a été arrêté à Saint-Clair. Le S.R. de R.1 a été anéanti à la suite de la trahison de Claire Hettiger. Enfin, Alban Vistel a été informé qu’en cas de soulèvement, tous les hommes de la cité seront arrêtés, rassemblés au Parc de la Tête d’Or, donc menacés d’exécution ou de déportation massive. Pour lui, il est évident que dans ces circonstances, tout recours à l’insurrection serait une erreur criminelle, dont la population civile ferait les frais.»
Source : Lyon et le département du Rhône dans la guerre. Marcel Ruby. Horvath, 1990.
Pour aller plus loin:
Libération de Lyon et de sa région. Fernand Rude. Hachette, 1974
Lyon 1940 1944: la guerre, l’occupation, la libération. Sabine Zeitoun, Dominique Foucher. Editions Ouest-France, Mémorial de Caen, Ville de Lyon, 1994.