A quel moment de la préhistoire, où, et pour quelles raisons, les hommes ont quitté les cavernes ?
Question d'origine :
Bonjour!
Pourriez-vous me préciser à quel moment de la préhistoire, où, et pour quelles raisons, les hommes ont quitté les cavernes qui leur servaient de lieu d’habitation pour se bâtir des "maisons" à l'extérieur.
Merci de votre réponse.
A l'occasion du 20e anniversaire du Guichet de Savoir, je voudrais remercier tous les collaborateurs à ce service exceptionnel. J'apprécie particulièrement le précision des réponses et le court délai de leur envoi.
R.
Réponse du Guichet

L'idée que nos ancêtres aient vécu au fond des cavernes est un cliché dépassé par les scientifiques : en effet, sauf exception, une grotte n'est pas une habitation commode pour un groupe d'hommes, et si ceux-ci se sont volontiers servis d'abris-sous-roches comme nous nous servons d'auvents, il y a presque deux millions d'années que nous construisons nos huttes ou nos cabanes. Ce qui nous a permis de nous installer dans de nombreuses zones totalement dépourvues de grottes.
Bonjour,
Vos mots nous vont droit au coeur ! Plus que jamais nous sommes ravi-es de recevoir chaque jour vos questions - encore plus lorsqu'il s'agit de plonger dans la vie de nos ancêtres sapiens.
Dans le Dictionnaire de la préhistoire édité par Universalis, on peut lire, à l'entrée "habitat paléolithique" :
L'image de l'homme préhistorique survivant dans un milieu hostile et cherchant refuge dans les profondeurs des cavernes s'intègre au lt des idées reçues qui n'ont plus maintenant cours que dans les bandes dessinées ou les romans de fiction. Elle résulte du fait que la plupart des découvertes anciennes ont eu lieu dans les grottes, systématiquement explorées par les premiers préhistoriens. Le développement ultérieur des recherches a montré que non seulement l'homme s'était établi au-delà des rares régions susceptibles de lui fournir des abris naturels, mais aussi que, lorsqu'il avait pu profiter de celles-ci, il avait choisi de préférence l'entrée des grottes ou le pied des falaises qui, en fait, servaient seulement de "double-toit" à sa véritable habitation.
La présence de grottes était donc moins importante que les ressources alimentaires. Et lorsque celles-ci étaient suffisantes, il semble que même le nomadisme n'était pas systématique. Toujours est-il que dès le paléolithique, l'homme était capable de construire son habitat. Des traces archéologiques en subsistent, comme des tracés au sol, même si dans la plupart des cas il s'avère difficile de se représenter la forme exacte des habitats, ceux-ci étant construits dans des" matériaux périssables (bois, peaux, écorce)".
Ces difficultés expliquent que l'étude systématique de l'habitat paléolithique ne soit pas antérieur aux années 1960, mais "les récentes découvertes ont permis d'établir que l'édification d'abris artificiels était à peu près aussi ancienne que l'homme lui-même." Ainsi, le premier représentant du genre Homo, Homo habilis, semble avoir déjà construit des abris de forme circulaire "de quatre mètres de diamètre" dans l'actuelle Tanzanie, il y a 1,8 million d'années !
La forme et les dimensions de ces abris où pouvaient s'effectuer toutes les activités de la vie sera conservée très longtemps, jusqu'à ce que, vers - 700 000 ans, "l'homme (déjà Homo Erectus) quitte les larges plages de la rivière pour s'installer dans des chenaux plus encaissés". Les zones d'activités se spécialisent alors : "le débitage de la pierre se fait à proximité des sources de matière première, le gros travail de boucherie, le dépeçage fin et le concassage des os pour en extraire la moelle ont lieu dans des zones distinctes de l'habitat". Avec l'utilisation du feu, vers - 350 000, des aménagements de plus en plus fixes sont réalisés.
En Europe, si les premiers habitats, toujours de forme circulaires, semble peu organisés, on commence à trouver des traces de structures vers - 380 000 ans à Terra Amata (Alpes-Maritimes) où "des trous de piquets délimitent des espaces elliptiques dans lesquels ont été trouvés des petits foyers installés soit à même le sol, soit sur un dallage ou dans une cuvette".
Cet article très bien fait continue les descriptions d'abris, généralement utilisant des perches pour leur structure. Nous vous laissons poursuivre sa lecture si vous en avez l'occasion.
Même son de cloche sur le site du Muséum national d'histoire naturelle :
Si on retrouve des ossements, des outils en silex, et des peintures dans les cavernes, c’est parce que les grottes constituent des milieux naturellement protégés et très propices à la conservation. Ce sont surtout nos ancêtres Homo sapiens qui se sont aventurés profondément dans les grottes et qui ont laissé des traces et des vestiges. C’est, par exemple, le cas des Hommes qui ont séjourné dans la grotte Chauvet en Ardèche (que l’ours des cavernes a d’ailleurs lui aussi fréquentée). Ces artistes ne vivaient pas dans la grotte, mais y sont restés le temps d’y réaliser leurs œuvres.
Alors, où vivaient les hommes préhistoriques ? Dans des campements de plein air, et parfois sous des abris rocheux naturels quand il y en avait. Dans les nombreuses régions du monde où il n’y a ni cavernes ni abris, du fait de la géologie de ces zones, l’homme a donc le plus souvent vécu… dehors !
On trouve également cette excellente synthèse sur hominides.com :
Cet habitat pouvait être de deux sortes, soit en plein air, soit sous abri. ces différents types d’occupation varient suivant le climat et le relief des lieux. En Afrique orientale (Olduvai par exemple) l’absence de grottes et d’abri sous roche a privilégié les campements de plein air. Dans les régions où il existait des abris rocheux les hominidés ont bien sûr profité de ses protections naturelles (Montaigu en Afrique du Sud, ou le Périgord en France).
Les traces laissées sont succinctes et se résument assez souvent à des vestiges osseux de dépeçage d’animaux, de pierres plus ou moins agencées (parfois en demi-cercles), de pavage, de trous de poteaux…
Contrairement à ce que l’on peut penser il n’existe pas de véritable évolution de l’habitat allant du simple au plus compliqué. Les hominidés ont profité de la typologie des lieux, de la faune, des conditions météorologiques. A chaque fois, ils se sont adaptés et ont créé un type d’habitat qui reste parfois très typé et régional.
Les sites ci-dessous, classés dans un ordre chronologique ne montrent donc pas une progression historique mais plutôt une réponse humaine adaptative à un milieu et des conditions donnés.Le plus ancien site d’habitat daté de 2,4 millions d’années.
Le plus ancien site présentant une surface d’habitat structurée se trouve dans le bassin du lac Turkana au Kenya. Découvert par Kay Behrensmeyer en 1969, il a été répertorié sous le code KBS. Daté de 2500 000 ans, il présente des ossements brisés d’animaux (poissons, gros herbivores..) ainsi que des restes de taille de chopper. Uniquement constitué d’une zone de « travail », ce bivouac provisoire ne présente aucune trace de recherche de protection de la part des hominidés.
Vous trouverez sur la même page de passionnantes reconstitutions d'habitations paléolithiques, notamment les "cabanes" de Terra Amata citées plus haut.
Mais d'où vient notre croyance en ce prétendu "âge des cavernes" ?
Selon 33 idées reçues sur la préhistoire d'Antoine Balzeau, illustré par Olivier-Marc Nadel,
l'image est en partie liée à une vision locale, celle de notre patrimoine français. De nombreuses régions du monde sont dépourvues de grottes. La zone qqui fut plusieurs fois le berceau de l'humanité, l'Afrique de l'Est, n'en compte pas ; pas le moindre Australopithèque, Homo habilis ou erectus retrouvé dans un boyau. Pour les périodes plus récentes, les Homo sapiens du Paléolithique supérieur ont largement colonisé les grandes plaines de l'Europe de l'Est et de la Russie. Pas une seule cavité à l'horizon pourtant. En France, ces Hommes ont souvent profité des abris-sous-roche ou des porches des grottes pour s'installer. C'était certainement confortable. Mais il y a aussi un biais dans le constat que nous connaissons de nombreux sites de ce type. Car en effet, ce sont ceux que nous retrouvons préférentiellement. Des sédiments collés contre une paroi ou à l'entrée d'une cavité sont mieux conservés que ceux des bordures de rivières. Pour les habitats en plein air, les traces sont ténues, car il n'y a souivent que peu de dépôts sédimentaires.
Si on a retrouvé plus de traces de présence humaine près des grottes, c'est donc simplement que ces traces s'y conservent mieux... mais aussi que c'est là que, pendant longtemps, on a préférentiellement cherché :
Les préhistoriens du début du XXè siècle ont par exemple sillonné toutes les cavités du Périgord à la recherche du moindre indice préhistorique, et ce fut la même histoire dans d'autres régions. [...] En revanche, les carriers qui prélevaient du sable dans les lits de rivière ou les entreprises de BTP qui creusaient des tranchées pour faire passer une route avaient peut-être moins d'intérêt pour les artefacts paléolithiques avant le développement de l'archéologie préventive.
Pour aller plus loin :
Nos premières fois [Livre]/ / Nicolas Teyssandier
L'homme et l'habitat [Livre] : l'invention de la maison durant la préhistoire / François R. Valla
Chasseurs-cueilleurs [Livre] : comment vivaient nos ancêtres du paléolithique supérieur / sous la direction de Sophie A. de Beaune
Les hommes de Lascaux [Livre] : civilisations paléolithiques en Europe / Marcel Otte, Pierre Noiret, Laurence Remacle
Sapiens [Livre] / François Bon ; avec la collaboration d'Isabelle Crèvecoeur ; dessins, Aurore Callias
Bonnes lectures !