Deux instruments de mesure médiévaux considérés comme réels par le grand public, parfois par certains spécialistes, sont pourtant des inventions du XXe siècle : la « quine des bâtisseurs » et ses cinq unités fictives, inventée en 1985 par l’abbé Jean Bétous ; et la « corde à treize nœuds », adaptation de théories contestées d’égyptologie et de symbolisme franc-maçon. L’article propose d’explorer les origines de ces outils fictifs et de comprendre les raisons de leur succès.
Question d'origine :
Bonjour , Que pouvez vous me dire sur la corde a noeuds des Francs Maçons?
Réponse du Guichet

La corde à treize noeuds est un symbole maçonnique dont les adeptes font remonter l'origine - pourtant non attestée - aux nécessités géométriques des bâtisseurs médiévaux. Parfois assimilée à la chaîne d'union ou confondue avec la houppe dentelée, elle ne semble pas très centrale dans les rites, car la plupart des ouvrages que nous avons pu consulter ne la mentionnent pas.
Bonjour,
Selon le Dictionnaire maçonnique [Livre] : le sens caché des rituels et de la symbolique maçonniques / Roger Richard,
La corde à noeuds est un instrument des Maîtres d'Oeuvre : il s'agit d'une corde portant treize noeuds équidistants, lesquels déterminent douze longueurs égales. En refermant la corde pour former un triangle dont les côtés ont respectivement trois, quatre et cinq fois la longueur, on obtient le triangle rectangle, donc l'angle droit, base des tracés des bâtisseurs.
En procédant de même avec trois fois quatre longueurs, on obtient un angle de 60°.
Selon le même ouvrage, la corde à noeuds est souvent confondue à tort avec la houppe dentelée. Par ailleurs, dans le Dictionnaire de la franc-maçonnerie / sous la direction de Daniel Ligou, que nous n'avons pu consulter car il est actuellement en prêt, un parallèle est dressé entre la corde à noeuds et la chaîne d'union :
Au sens propre, la Chaîne d'union est une corde qui entoure le Temple [...]. La Chaîne d'union ainsi tracée sur les murs du Temple comporte des nœuds qui symbolisent les 12 signes du zodiaque [...]. Mais le rituel maçonnique comporte également une Chaîne d'Union qui consiste à former un cercle [...] en se tenant mutuellement la main dégantée, le bras droit passé par-dessus le bras gauche [...]. Sa signification est alors identique à celle de la corde à nœuds : elle relie tous les éléments de ce microcosme qu'est une loge maçonnique »
Un ouvrage a été consacré à la corde à noeuds, le n°17 de la collection Les Symboles maçonniques, La corde des francs-maçons: Nœuds, métamorphoses et lacs d’amour, de Michel Lapidus. Nous ne le possédons malheureusement pas, mais de nombreux extraits sont consultables sur Google livres.
Le symbole de la corde à noeuds est présent dans peu de livres que nous ayons pu consulter. Le Dictionnaire des symboles maçonniques de Jean Ferré, pas plus que Les 100 mots de la franc-maçonnerie d'Alain Bauer et Roger Dachez ou L'origine des rites et symboles maçonniques de Guy Trevoux n'y consacrent d'entrée... il faut dire que la franc-maçonnerie s'est dotée d'un appareil symbolique très foisonnant. Nous nous en remettrons donc à l'article Corde à nœuds de Wikipédia, qui replace la symbolique de la corde à noeuds dans une tradition... probablement inventée de toutes pièces, faisant remonter la corde à noeuds au moyen-âge : selon "certains auteurs", donc, celle-ci "aurait été utilisée par les bâtisseurs du Moyen Âge qui auraient ainsi transmis leurs ordres de construction même aux ouvriers ne possédant que peu de connaissances dans les domaines de la lecture et du calcul. Cet outil aurait été l'instrument de mesure typique du maître d'œuvre avec la pige."
Selon l'Institut de recherche sur l'enseignement des mathématiques de Lyon, cette origine, outre qu'elle n'est pas attestée, présente des difficultés techniques :
D’une part, c’est difficile à faire ces nœuds à intervalles réguliers. Pourquoi pas une simple marque ? C’est en fait ce qui est attesté dans de nombreux écrits d’arpenteurs du Moyen-Âge ou de la renaissance : une corde de longueur adaptée à ce qu’on est en train de mesurer, est pliée de telle manière à construire ce triangle de côtés 3,4,5 dans une unité arbitraire.
Selon l’infographie historien Nicolas Gasseau, membre de l’unité mixte de recherche du CNRS, Artehis (Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés), c’est Louis Le Charpentier (un nom prédestiné) qui, dans Les mystères de la cathédrale de Chartres, écrit en 1966, en fait la première mention : les bâtisseurs, héritiers d’un savoir ancestral, n’avaient pas besoin de mathématiques car ils utilisaient "la corde à douze noeuds (douze noeuds, c’est à dire treize segments) des Druides". Certes, les Francs-Maçons font mention de cordes à nœuds de fraternité, mais plus comme des symboles comme les lacs d’amour.
Toutefois, l’usage d’une canne de 12 coudées ou d’une corde de 10 semble bien attestée en mésopotamie il y a 6000 ans comme l’indique cette thèse Concevoir et bâtir dans la Mésopotamie protohistorique : l’utilisation de schémas architecturaux au IVe millénaire av. J.-C. d’Astrid Emery, soutenue en 2007 à la Sorbonne. Cependant pas de cordes à 13 nœuds...
De même, la revue Ædificare - Revue internationale d’histoire de la construction a consacré un article dans un numéro de 2021 à La corde à treize nœuds et la quine des bâtisseurs - Aux origines de deux instruments mythiques. Le résumé disponible sur le site de l'éditeur replace cette croyance dans son contexte d'apparition :
Bonne journée.