Cette reliure contenant deux miniatures de Jean Jannon est-elle attribuable à Le Gascon ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pouvez-vous me dire si cette reliure contenant deux miniatures de Jean Jannon, Sedan, 1622 1623, est attribuable à Le Gascon (ou à quelqu'un d'autre) ?
Dimension des plats 10 x 5 cm.
Merci.
Réponse du Guichet
Cette reliure à décor dit "à l'éventail" ne nous paraît pas avoir été exécutée par le relieur parisien Le Gascon.
Bonjour,
Il nous paraît avant toute chose utile de préciser que la Bibliothèque municipale de Lyon n'a pas vocation à se substituer à l'expertise des libraires spécialisés en livres anciens habilités à déterminer, en fonction de leur compétence et de leur spécialisation, l'attribution d'une reliure à grand décor doré ainsi qu'une éventuelle estimation de la valeur marchande de l'ouvrage relié.
Avant de passer à l'examen de votre reliure, il nous paraît également important de rappeler quelques informations sur Le Gascon, prestigieux relieur parisien de la première moitié du XVIIe siècle, en activité de 1620 à 1653 au plus tard.
Fabienne Le Bars, experte en reliure à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France, lui accorde une notice détaillée dans le Dictionnaire encyclopédique du livre (t. 2, p. 718) : "L'attrait exercé par le seul nom de Le Gascon sur les bibliophiles et bibliographes du XIXe siècle est inversement proportionnel aux renseignements dont ils disposaient sur ce relieur, faiblesse documentaire qui [...] a donné lieu aux assertions les plus fantaisistes. Élevé au rang de mythe, Le Gascon s'est vu attribuer sans discernement des fanfares classiques du XVIe siècle comme de riches compositions filigranées du XVIIe siècle, notamment celles comportant des fers à profil de tête humaine (dits "à la petite tête"), où on a même voulu voir son portrait. Ces discours infondés ont été dénoncés dès 1893 par Ernest Thoinan, à qui revient le mérite d'avoir proposé la première étude rigoureuse sur le personnage, travaux repris et enrichis par Émile Dacier puis Raphaël Esmérian, dont la synthèse fait toujours autorité.
Les sources contemporaines recensées n'évoquent jamais ce relieur que sous le nom Le Gascon, peut-être un surnom trahissant son origine provinciale, et nous restons aujourd'hui totalement ignorants de l'état civil de ce relieur, comme des détails de sa vie privée et du déroulement de sa carrière".
Sa production était tenue en haute estime par de prestigieux bibliophiles de l'époque comme les frères Dupuy, Peiresc ou François-Auguste de Thou. "En faisant à juste titre observer que ces [...] personnes [étaient] liées à la Bibliothèque du Roi, R. Esmérian a émis l'hypothèse que Le Gascon était peut-être attaché au service de cette institution. Rien en revanche [...] ne permet d'appréhender la nature des décors réalisés par Le Gascon. Les attributions qui lui sont faites aujourd'hui reposent donc sur des comparaisons de fers d'autant plus sujettes à caution qu'elles tirent leur principe de l'examen de reliures tardivement prêtées à Le Gascon. [...] Loin du créateur inventif qu'on a longtemps voulu voir en lui, Le Gascon aurait [...] surtout bâti sa réputation sur le soin apporté à l'exécution de reliures à décor d'encadrements déclinant tous les modèles éprouvés du genre, reliures rendues remarquables par la perfection de leur corps d'ouvrage, la pureté de leur maroquins rouges à larges grains et l'utilisation de fers aux dessins finement gravés mais non filigranés. C'est d'ailleurs ce recours à des fers non filigranés, toujours élégamment distribués, qui caractérise au mieux la production de Le Gascon, y compris dans ses compositions les plus exceptionnelles. [...] Depuis le XIXe siècle, la locution genre Le Gascon désigne un type de reliures d'excellente facture ornées d'un décor filigrané du XVIIe siècle (ou imité des réalisations de cette époque), par analogie avec les créations supposées de ce relieur".
On voit à quel point il peut être aussi tentant qu'hasardeux de s'avancer à attribuer une reliure à ce maître artisan.
Quelques-unes de ses réalisations attestées sont reproduites et documentées dans l'ouvrage d'Isabelle de Conihout et Pascal Ract-Madoux, Reliures françaises du XVII siècle. Chefs-d'oeuvres du Musée Condé, Paris, Somogy, 2002.
Mais c'est surtout vers Raphaël Esmérian, cité par Fabienne Le Bars, qu'il convient de se tourner afin de comparer les fers utilisés par Le Gascon, et reproduits dans Bibliothèque Raphaël Esmérian. Deuxième partie. Douze tableaux synoptiques sur la reliure au XVIIe siècle (annexe A). L'examen des fers présents sur votre reliure ne semble pas mettre en évidence une correspondance avec ceux utilisés par Le Gascon, en particulier les quarts de rosace disposés en écoinçons. D'autre part, si votre ouvrage témoigne à l'évidence d'un soin manifeste accordé à la reliure et son décor, il ne paraît pas atteindre le degré de finesse et de perfection attaché aux productions de Le Gascon.
Nous sommes cependant condamnés à la prudence, tant cet avis fondé sur l'observation d'une seule photographie ne saurait, encore une fois, remplacer celui d'un expert rendu livre en main.
Bonne journée,