Que représente exactement le symbole yin yang du taoisme chinois ?
Question d'origine :
Que représente exactement le symbole yin yang du taoisme chinois? Peut-on dire que le yin yang chinois est moins manichéen que notre modèle spirituel occidental?
Réponse du Guichet
Le symbole Yin-Yang représente un concept de la philosophie taoïste. Yin-Yang est le nom donné en chinois au fonctionnement de tout le vivant. Il en personnifie la dialectique et insiste sur la complémentarité de toute chose plutot que sur sa dualité.
Bonjour,
La symbolique du Yin-Yang est figurée par un symbole aujourd'hui mondialement connu : le taijitu. Il représente deux virgules, l'une blanche l'autre noire qui s'emboîtent pour former un cercle. Le noir pour Yin, le blanc pour Yang. Un point noir est inséré dans la virgule blanche et inversement, non pas pour symboliser une dualité mais au contraire une complémentarité. Cette nuance vient rappeler que rien n'est jamais complètement Yin ou complètement Yang mais que tout contient une part de l'un et de l'autre. Plus largement Yin-Yang est le nom donné en chinois au fonctionnement de tout le vivant.
Vous retrouverez l'histoire des représentations de ce symbole dans cette précédente réponse du Fonds Chinois pour le Guichet du Savoir.
Le principe de polarité exprimé par Yin-Yang constitue la pierre angulaire de la pensée taoïste (doctrine fondée par Lao Tseu). Cette polarité n'exprime pas une conflictualité mais plutôt, comme nous le disions, une complémentarité : chaque chose implique son contraire qui lui donne sa signification (Symboles sacrés, peuples et mystères sous la direction de Robert Adkinson, La Martinière, 2009). En ce sens, attention à ne pas mettre de "et", inexistant en Chinois entre Yin-Yang ! Cela en piègerait totalement la compréhension en disloquant l'unité qu'il constitue (Yin Yang la dynamique du monde, Cyrille J-D Javary, Albin Michel, 2018). C'est un seul et même mot comme le sont par exemple "clair-obscure" ou "aigre-doux".
Plus précisément, ce symbole manifeste "l'interpénétration constante des polarités antagonistes complémentaires" (Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, L'Archipel, 2004), puisque le Yin et le Yang ne sont pas des entités en soi, mais un concept de division et de classification symbolique des éléments du monde (Les symboles pour les nuls, 2015). Le concept permet de tout englober, tout décrire, distribuant chaque chose d'un côté ou de l'autre pour mieux en révéler l'unité :
Yin représente l'obscur, ce que l'on ne voit pas, ce qui est froid et passif. Mais le Yin reçoit et donne la vie, c'est pourquoi il est associé à la féminité et la fécondité : la terre est Yin. La nuit, le froid, l'humidité, l'automne et l'hiver, le Nord et l'Ouest sont Yin.
Yang est associé au blanc, au soleil à la clarté à l'étincelle de la vie, à l'activité, au masculin. Le travail est Yang. Le feu, le chaud, le sec, le printemps et l'été, le Sud et l'Est sont Yang.
Les personnes, les signes astrologiques, les couleurs etc. absolument tout le monde vivant rentrerait dans l'une de ces catégories. Schématiquement le taijitu représente "le mécanisme interne de la dialectique perpétuelle qui met en œuvre le mouvement du monde" (Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, L'Archipel, 2004) Exemples : Homme - femme, jour - nuit, soleil - lune etc. Toute chose qui est à son contraire, mais ces entités sont inséparables et aucune ne prend le pas sur l'autre. Au contraire elles sont la condition sine qua non de leur existence respective. Exemple : L'hiver n'est pas "l'hiver", mais ce qui deviendra l'été avant de redevenir l'hiver...
Pour Cyrille Javary il serait toutefois toujours préférable d'utiliser des verbes d'action plutôt que des noms ou des adjectifs pour qualifier Yin-Yang et ainsi éviter de l'enfermer dans des séries d'attributs ou d'états pour devenir, ce qu'il est dans l'esprit chinois : des modes d'agir (p.19) :
Yin est ce qui stabilise, nourrit et transforme ; Yang ce qui dynamise, donc pousse à changer, mais aussi protège et donc stabilise d'une manière différente ; Yin ce qui défend, Yang ce qui attaque ; Yin ce qui s'étend dans le temps, Yang ce qui se déploie dans l'espace ; Yin ce qui mène à terme et Yang ce qui enclenche ; Yin ce qui restaure les forces et Yang ce qui les dépense ; Yin ce qui intériorise et Yang ce qui extériorise, etc. Yang invite au déploiement et Yin au repliement, en raison de la dynamique centrifuge qui anime celui-ci et de la dynamique centripète qui meut celui-là.
Dans la mythologie chinoise Yin-Yang est à l'origine de l'Univers. Mais ils sont aussi des éléments de distanciation entre les deux principales religions du pays :
le Yin et le Yang sont nés du chaos lorsque l'univers fut créé pour la première fois et on croit qu'ils existent en harmonie au centre de la Terre. Pendant la création, ils atteignirent un équilibre parfait dans l'œuf cosmique ce qui permit la naissance de Pangu (ou P'an ku), le premier humain. En outre, les premiers dieux Fuxi, Nuwa et Shennong naquirent du Yin et du Yang. Dans la religion chinoise, les taoïstes favorisent le Yin tandis que les confucianistes favorisent le Yang en accord avec l'objectif premier de leurs philosophies respectives. Les taoïstes mettent l'accent sur la réclusion tandis que les confucianistes croient en l'importance de l'engagement dans la vie.
Source : Yin et Yang - Worldhistory.org
La quête de l'harmonie est l'un des axes centraux de la spiritualité taoïste. C'est une recherche d'équilibre, de juste milieu. Loin d'être une théorie abstraite, les taoïstes expérimentent le Yin-Yang au quotidien. C'est la quête d'une paix intérieure qui permettrait de vivre sa vie le plus harmonieusement possible grâce à une dialectique vertueuse qui invite à la complétude et à la pleine expression de son être.
La spiritualité occidentale n'est pas unifiée et il serait difficile de dresser un parallèle avec Yin-Yang. En revanche Yin-Yang semble bouleverser les habitudes de la philosophie occidentale en la mettant face à ses contradictions. Contradictions dont la principale serait...la contradiction. Petit extrait du dernier chapitre du livre de Cyrille J-D Javary :
Yin-Yang permet de rendre fécondes les contradictions contre lesquelles nous butons chaque jour. La contradiction est l'objet de détestation pour la pensée occidentale : depuis les Grecs jusqu'à Heidegger, elle a empoisonné les philosophes qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour la réduire, sans véritablement y parvenir. Qu'elle souligne une incohérence (un raisonnement contradictoire), une opposition ( contredire une information), un dilemme (les exigences contradictoires du développement durable), la contradiction est toujours perçue comme une impasse stérile, un échec de la pensée. Yin Yang permet de considérer ces contradictions de manière plus efficace. Il ne s'agit pas de se mettre à penser en chinois, mais plutôt d'ajouter une corde à notre arc, d'ouvrir notre esprit à une perception différente du monde.
(...)
Alors que la science occidentale n'a longtemps juré par l'analyse, c'est à dire la décomposition du réel en éléments simples et isolés, Yin-Yang ouvre à une lecture des processus dans leur globalité, ce qui est particulièrement fécond dans l'approche des phénomènes vivants, de la biologie au social et au politique.
Pour plus d'informations sur la philosophie taoïste et Yin-Yang :
Le livre de la contemplation intérieure : et autres textes taoïstes / traduction du chinois et préface de Catherine Despeux
Philosophes Taoïstes / Lao zi, Zhuang zi, Lie zi, Huainan zi ; textes traduits, présentés et annotés par Remi Mathieu et Charles Le Blanc
Yin Yang [Disque compact] : l'emblème de la pensée chinoise / exposé et expliqué par Cyrille J-D Javary
Et surtout : Yin Yang - La dynamique du monde / Cyrille J-D Javary qui est une référence
Bonnes lectures,