Le poète est-il amené à ne parler qu'en alexandrins ?
Question d'origine :
Bonjour et merci par avance,
Question d'actualité au temps du Tremplin Poétique ..
Le cerveau d'un poète prolifique comme Victor Hugo finit-il par se formater, et l'amener à ne penser et parler plus qu'en alexandrins ?
Par exemple l'obliger à dire spontanément "aurons nous le plaisir de dîner tôt ce soir", au lieu de - comme tout le monde : "c'est quand qu'on mange ?"
Réponse du Guichet

Nous n'avons pu mettre la main sur des ressources nous indiquant une réponse positive ou négative. Nous ne pouvons donc qu’émettre des suppositions quant au comportement des poètes dans leur approche du langage parlé ainsi que de leur façons de penser.
Bonjour,
Comme vous vous en doutez, il n'existe malheureusement pas d'interview de Victor Hugo. Un tel artéfact audiovisuel nous aurait été très pratique pour vérifier votre hypothèse. A vrai dire, il nous a été impossible de trouver des ouvrages nous relatant de quelle manière s'exprimaient les poètes, notamment feu Victor Hugo.
L'alexandrin jouit d'un statut privilégie dans les différents systèmes métriques du langage écrit, et surtout dans la poésie. Son nom nous vient d'un poème Lambert Le Tort, composé de vers en douze syllabes, ou pieds, relatant les exploits d'Alexandre le Grand. Jacques Roubaud retrace l'histoire de cette métrique dans son ouvrage fort détaillé sur le sujet, à savoir La Vieillesse d'Alexandre. Ce document constitue d'ailleurs une précieuse source d'informations sur de multiples aspects de cette forme poétique, dont ce que l'auteur appelle la "révolution hugolienne". Cette notion porte sur la volonté d'assouplissement de la structure rythmique Alexandrine.
Concernant ce formatage de cerveau, il nous paraît plausible d'avancer deux idées.
D'une part, le langage est un processus psychologique et cognitif, en plus d'être aussi physique et physiologiques, comme nous l'avons abordé dans cette précédente question du Guichet. Parler une langue revient à mettre en branle de manière répétée des schémas de pensée, des constructions syntaxiques ainsi que des choix et colocations de mots. Ces étapes s'effectuent de manière assez consciente lorsque le néophyte se confronte à la barrière de la langue pour les premières fois, et disparait peu à peu au fur et à mesure de la maîtrise de cette dernière. En somme, on peut dire que des habitudes linguistiques se forment et s'ancrent. Il peut être recevable, qu'écrire d'une manière composée, ordonnée et s'inscrivant dans un système métrique spécifique s'apparente à une telle assimilation d'habitude. Il était probablement plus facile pour Victor Hugo d'écrire en alexandrin que pour vous et moi. Non pas parce qu'il faisait preuve d'un talent inné, là n'est pas la question, mais parce qu'il empruntait ce cheminement bien plus fréquemment. Quelque part, son cerveau était probablement plus enclin à déceler cette rythmique, à l'écrire et à la produire, sans nul doute pouvait-il communiquer même oralement en Alexandrin.
D'une autre part, communiquait-il tout le temps en Alexandrin ? Ce système métrique reste extrêmement contraignant, bien peu adapté à la spontanéité du langage parlé. Eric Bideau et Hakima Megherbi nous parlent des différences entre le langage parlé et écrit dans leur ouvrage très significativement appelé : de l'oral à l'écrit. Il est dit dans cette recherche conjointe des deux psychologues que le langage parlé est, et vous le savez déjà, bien plus souple que son pendant écrit. S'il ne fait pas de doute que Victor Hugo puisse avoir été capable de s'exprimer en alexandrin quand il le désirait, il semble peu probable qu'il usait de ce système à l'oral en permanence. Cette spontanéité que vous mentionnez dans votre question va à l'encontre même de la métrique, qui est une règle imposée par les auteurs et poètes. Sûrement Victor Hugo s'écriait de manière spontanée qu'il voulait manger quand il avait faim, sans passer par une construction dodécasyllabique. Peut-être pouvait-il aussi le faire en parfait vers à douze pied, nous vous laissons avec ces bribes de réflexion pour choisir l'idée qui vous sied le mieux.
Nous vous proposons accessoirement la lecture de l'ouvrage intitulé "la versification" de Michèle Aquien, dans lequel il est aussi mention de la relation particulière entre Victor Hugo et l'alexandrin.
Sur ces deux bien minces indices et timides idées
Il ne nous reste qu'à vous souhaiter une bonne journée.