Comment était l'éducation des enfants en Allemagne avant la seconde guerre mondiale ?
Question d'origine :
Comment étais l'éducation des enfants en Allemagne avant la seconde guerre mondiale ?
Réponse du Guichet
Bonjour,
Nous sommes partis du principe que vous souhaitiez en savoir plus sur la période qui précède immédiatement 1939 et donc sur la phase qui va de l’accession des Nazis au pouvoir en 1933 jusqu’au déclenchement de la guerre. De nombreux ouvrages et articles abordent cette question et cherchent à comprendre les politiques éducatives menées par les nazis ainsi que leurs effets. Du fait de l’ambition totalitaire du régime, l’éducation relève en partie de la famille, mais peut-être d’abord et surtout des dispositifs de contrôle et d’endoctrinement des enfants que constituent notamment les Jeunesses hitlérienne ainsi que l’école.
Parmi les livres susceptibles de répondre à votre interrogation, le plus synthétique et le plus complet nous semble être Etat et Société en Allemagne sous le IIIe Reich (intégralement consultable en ligne), sous la direction de Gérard Schneilin et Gilbert Krebs. Ce dernier, dans son chapitre "l’éducation totalitaire", livre de précieux éléments de compréhension quant au projet éducatif nazi et ses réalisations.
« Comme tous les régimes de type totalitaire, le soi-disant IIIe Reich ne pouvait donc pas manquer de prêter une attention toute particulière au domaine de l’éducation de la jeunesse […]. Changer le système signifiait aussi la volonté d’opérer un renversement des valeurs : d’une part, montrer la nocivité d’un système de valeurs hérité des Lumières et qui était considéré comme responsable de tous les maux des temps modernes et, d’autre part, imposer une nouvelle échelle de valeurs. […]Prendre le contrôle de la jeune génération, de ses corps comme de ses esprits, était, estimait-on, une garantie contre le retour aux errements anciens ».
Il résume plus loin les axes principaux de cette ambition éducative :
- « C’était une éducation à prétention totale. Certes, pour des raisons d’opportunité, elle devait composer, dans un premier temps avec les puissances éducatives anciennes, les parents, l’école et les Eglises. Mais il était évident que l’Etat totalitaire völkisch, incarné dans son parti unique, revendiquait pour lui la priorité pour l’éducation, en attendant de pouvoir imposer son monopole.
- C’était une éducation anti-intellectuelle. Elle postulait la priorité du développement des capacités physiques, des forces du caractère et de l’âme sur le développement de l’intellect et sur l’acquisition de connaissances.
- C’était une éducation idéologique, quasiment religieuse. La foi dans le Führer, le respect du dogme national-socialiste, en particulier de son credo raciste et de son antisémitisme biologique en constituaient la base.
- C’était une éducation qui mettait la communauté au-dessus de l’individu. En tous points les intérêts du peuple l’emportent sur les intérêts particuliers. L’épanouissement de la personnalité n’est plus un but en soi.
- C’était une éducation à visée militariste et belliciste. La préparation à la guerre, préparation physique, technique et morale est au centre de son programme ».
Ainsi, pour prendre la main sur l’éducation des jeunes, il fallait aux Nazis « combattre l’influence éducative des parents, de l’école traditionnelle ainsi que des Églises ». D’où le déploiement volontaire et agressif de la Hitler-Jugend, la jeunesse hitlérienne, créée en 1922 et dirigée de 1931 à 1940 par Baldur von Schirach.
Pour dire l’influence majeure en matière éducative de cette institution, les chiffres donnés par Krebs sont éloquents: « fin 1932 la Hitler-Jugend comptait environ 100.000 membres, fin 1934 ils seront 3,5 millions pour atteindre 8,7 millions début 1939. La Hitler-Jugend regroupait ainsi près de 95 % de la jeunesse allemande avant même d’être vraiment rendue obligatoire ».
Après avoir évoqué les continuités et les changements entre l’école de la République de Weimar (1918-1933) et celle de l’Allemagne nazie, il conclue sur l’efficacité de ce projet éducatif totalitaire :
« Dans la réalité, cette société totale n’a jamais existé, cette éducation totale n’a fonctionné qu’imparfaitement en partie à cause de l’incapacité du régime et de ses dirigeants, à cause du chaos institutionnel du système national-socialiste, en partie aussi à cause de la nécessité où se trouvait le régime de ménager les agents traditionnels de l’éducation, les Églises, le système éducatif, la famille et à cause du refus d’une partie des jeunes à accepter cet embrigadement ».
Vous pourrez compléter cette lecture avec celle du chapitre consacré à l’éducation au service de l’idéologie nazie, écrit par David Gallo et extrait de l’ouvrage Les Écoles dans la guerre. Acteurs et institutions éducatives dans les tourmentes guerrières (XVIIe-XXe siècles).
Autre livre important, mais relevant davantage de l’analyse « à chaud », du témoignage : le texte d’Erika Mann (fille de Thomas Mann, l’écrivain), 10 millions d’enfants nazis, publié en 1938. Elle y évoque longuement l’école, mais également la famille. Elle y dénonce « la nouvelle famille: un père est un bon nazi, une mère doit donner au Reich son contingent d’enfants “aryens”, la jeunesse appartient au Führer [...]. On a dérobé aux Allemands le temps qu’ils consacraient à leur famille pour le mettre à disposition de l’Etat nazi […]. L’enfant, lui, se sent déchiré entre les deux instances auxquelles sa vie est soumise, l’école et la Jeunesse hitlérienne d’une part, sa famille d’autre part ».
Enfin, la très dense étude d’Elissa Mailänder, Amour, mariage et sexualité. Une histoire intime du nazisme, analyse en profondeur les politiques liées à la maternité mises en œuvre par les Nazis et notamment sous la houlette du Service des mères du Reich. « Partout dans le pays, des formations à la maternité étaient proposées à un public cible large composé de mères de famille, de femmes actives sur le point de se marier ou de jeunes mères, censées acquérir des connaissances approfondies dans les domaines les plus variés valorisés par le nazisme. Il s’agissait notamment de leur fournir une instruction en matière de puériculture et d’économie domestique, et de les former à l’organisation de festivités dans l’espace du foyer. Sans oublier, bien sûr, l’apprentissage des soins du corps, qui les familiarisait avec l’application quotidienne des théories eugéniques et raciales ; autant de savoirs qu’il s’agissait par la suite de transférer à leur progéniture ».
Pour aller plus loin sur le rôle des mères et plus largement des femmes sous le IIIe Reich, nous vous recommandons le documentaire de Christiane Des femmes au service du Reich.
Si vous souhaitez avoir des éléments sur l’enseignement et l’éducation durant la période précédent le régime nazi, deux ouvrages autour de la République de Weimar vous seront utiles :
- L’Allemagne de Weimar. 1918-1933, de Georges Castellan. Une synthèse ancienne (1969) mais néanmoins très efficace pour se faire notamment une idée du système éducatif mis en place durant cette période.
- La vie quotidienne sous la République de Weimar de Lionel Richard, 1983.
Bonnes lectures !