Comment expliquer les différents accents régionaux selon les zones géographiques ?
Question d'origine :
Bonjour,
Comment expliquer les différents accents régionaux selon les zones géographiques ? C'est le cas en France : est-ce également vrai pour tous les pays ? Merci à vous.
Réponse du Guichet
Les différents accents régionaux proviennent des nombreuses langues et leurs différents patois et dialectes anciennement parlés au sein du royaume de France. Le français tel que nous le connaissons est historiquement l'un de ces dialectes, dérivé de la langue d'oïl. Il a historiquement pris le dessus sur les autres jusqu'à devenir une norme après la Révolution française et surtout au XIXème siècle au moment de la construction de l’État nation. Les accents sont des rémanences historiques de ces parlés maternels, des marqueurs culturels et identitaires forts qui colorent la langue française.
Bonjour,
Si le Français est parlé avec différents accents régionaux en France, c'est qu'il a historiquement été appris comme langue seconde sur l'immense majorité du territoire. En effet c'est pendant la Révolution que le Français a été imposé et que les langues régionales furent interdites. Stigmatisées, les institutions républicaines comme l'école ont activement contribué à leur lente disparition. L'accent est une rémanence de ce phénomène. Il est aujourd'hui encore considéré comme un écart par rapport à une norme linguistique :
III. a Ensemble des caractères phonétiques distinctifs d'une communauté linguistique considérés comme un écart par rapport à la norme géographique dans une langue donnée. L'accent breton, lorrain, marseillais, normand, parisien...(en français). L'accent allemand, anglais, français (dans une autre langue).
Par extension : Ensemble d'habitudes langagières orales, dans l'usage régional d'une langue, dans un dialecte.
Source : Dictionnaire culturel en langue française, sous la direction d'Alain Rey (Le Robert 2005).
Pour comprendre les raisons de ce tour de force, nous vous conseillons la lecture de cet article : L'imposition du la langue (1789 - 1815) de Gérard Bodé (La Revue du Nord, 1996) et Pourquoi la République a t-elle voulu réprimer les langues régionales ? (France Culture, 2022). Avant cela sous l'Ancien Régime, langues, patois et dialectes cohabitaient au sein du royaume (Voir cette précédente réponse du Guichet : Combien de dialectes y avait-il dans la France de l'Ancien régime ?). La diversité linguistique et culturelle ne posaient pas de problèmes en soi, certaines régions disposant même d'une reconnaissance de leurs particularités et disposaient d'une certaine autonomie. Accent ou "accent neutre" étaient des questions qui ne se posaient tout simplement pas là où "il n'existait pas de langue majoritaire, c'est à dire de langue homogène commune à la majorité des locuteurs" (Michèle Perret - Introduction à l'histoire de la langue française, 2014, p. 60).
Le Français c'est donc le dialecte du royaume qui a fini par prendre le dessus sur les autres. Un dialecte qui, au XVIIème siècle, n'était connu et parlé qu'aux alentours de la région parisienne. Mais des décisions politiques ont progressivement contribué à le distinguer de ses homologues régionaux : d'abord l'ordonnance de Villers-Cotteret sous François 1er (les actes officiels sont écrits en français et non plus en latin) puis par sa reconnaissance et sa stabilisation par l'écrit avec la création de l'Académie française en 1635 par Louis XIII, qui en fait peu à peu un instrument de pouvoir et domination (voir l'historique de ce phénomène dans : Glottophobie : comment le français "sans accent" est devenu la norme - France Culture, 2023).
Arrivé en 1789 seulement 3 millions de personnes utilisent convenablement le français, soit moins de 10% de la population totale du royaume. Pour un petit état des lieux linguistique au tournant entre la Révolution et le début du XIXème siècle appuyez vous sur la réponse du Guichet susmentionnée mais aussi sur le recensement impérial de 1806, qui détaille les pratiques des Français dans Langues régionales ou minoritaires en France (Wikipédia).
C'est sous la IIIème République que la conversion des Français à la langue officielle s'est le plus rapidement manifestée. Souvent de manière brutale, notamment à l'école où le français a été inculqué massivement du fait des réformes Ferry à la fin des années 1880 (gratuite et laïque). Plusieurs études abondent sur le sujet : cet article de Pierre Escudé - Histoire de l’éducation : imposition du français et résistance des langues régionales, Depuis quand enseigne t-on le français en France de Gérard Vigner (Études de linguistique appliqué, 2001),ou La république des instituteurs de Jacques et Mona Ozouf etc. Cette politique est un des piliers de ce que les historiens ont appelé la formation de l’État nation.
L'article de France Culture mentionné précédemment rapporte :
Les méthodes passaient par l’interdiction absolue d'usage d’une autre langue que le français dans la classe, avec des punitions, humiliations et violences physiques sur les élèves surpris à utiliser leur langue.
(...)
Les enseignants se moquaient des élèves utilisant une langue autre que le français et amenaient leurs classes à se moquer de ceux à qui il échappait un mot en breton, en provençal ou en picard. Il y avait une stratégie de stigmatisation et de mépris qui petit à petit a produit ses effets.
Ne pas non plus minimiser l'importance du premier conflit mondial dans la généralisation du parlé français : 11 novembre: Comment la Grande Guerre a fait du français la langue de la nation (Le Figaro, 2018).
Au fil du temps donc, des textes, des lois, des institutions, des moments historiques ont fait d'un des dialectes parlés dans le royaume de France, une norme linguistique incontournable et un symbole identitaire imparable. Cette question : phonétique et accent régional est aussi précieuse pour comprendre ce qui inclut ou éloigne un locuteur d'une norme linguistique. Elle rappelle que le bon français est codifié. Il y une manière de prononcer convenablement un son ou un mot, Alphabet phonétique du français, et des lieux historiquement identifiés comme parlant la bonne langue avec la Touraine et plus particulièrement Tours, berceaux du "bon accent" (Gallica - Parler avec l'accent, semaine de la langue française et de la francophonie, 2018).
Car oui, la neutralité linguistique n'existe pas et le français de référence, "sans accent" est lui aussi un accent. Une norme à l'échelle de laquelle sont catégorisés les autres accents émanant de l'histoire culturelle et linguistique du pays. Mais dernièrement l'universalisme prôné par l'imposition généralisée du français est battu en brèche par un retour aux régionalismes qu'il faut préserver au nom de la diversité. L'article 2 de la Constitution reconnait que "La langue de la République est le Français" mais la réforme constitutionnelle de juillet 2008 reconnait la valeur patrimoniale : "Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. ». Ce patrimoine est même actuellement valorisé dans une campagne de subvention organisée par le ministère de la Culture. Pourtant, l'accent reste aujourd'hui encore un objet de discrimination en France : Faut-il gommer son accent pour réussir son entrée dans la vie active ? (Le Monde, 2020).
Pour conclure, les différents accents présents sur le territoire français sont le fruit d'un long processus historique. D'un pays où régnait le plurilinguisme la France est devenue un territoire unifié autour d'une langue. Comme il est écrit dans cet article de Géoconfluences, à échelles régionales comme nationales : "une langue est un dialecte qui a réussi à s'imposer aux autres". Nous avons tous un accent et il n'existe pas d'accent neutre. Être perçu comme un locuteur "sans accent" signifie simplement appartenir linguistiquement à une norme. C'est un instrument de distinction, aussi bien au sein de ces communautés qui partagent un accent commun qu'à échelle nationale entre ceux qui ont un accent et ceux qui n'en ont pas.
Pour terminer nous vous suggérons la lecture de cet article de Babbel magazine, plateforme spécialisée dans l'apprentissage des langues : « Les accents français ont toujours existé » – Entretien avec le linguiste André Thibault.
Ainsi que ces documents à la BmL :
La naissance du Français - Bernard Cerquiglini (PUF, Que Sais-Je ?, 2013).
Histoire sociale des langues de France - sous la direction de Georg Kremnitz ; avec le concours de Fanch Broudic et du collectif HSLF (PUR, 2013).
Approches de la langue parlée en français - Claire Blanche-Benveniste (Ophrys, 2023)
Le français, histoire d'un combat - Claude Hagège (Librairie générale française,1998).
Bonnes lectures,
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