J'aimerais connaitre la position de l'Église quant aux marathons de danse des années 1920
Question d'origine :
Bonjour à toutes et tous. J'aimerais connaitre la position de l'Église et/ou de ses représentants quant aux marathons de danse qui se sont déroulés aux États-Unis et en Europe à partir des années 1920. J'ai commandé le livre de Josseline et Serge Bertin - Chevaux de souffrance Les marathons de danse en Europe (1931-1960), Cenomane, 2014 - mais le recevrai trop tard pour l'usage que je dois faire de la réponse à cette question. Pourriez-vous m'aider ? Merci déjà.
Réponse du Guichet
Dans les années 1930, les marathons de danse étaient un phénomène de société dans toute l'Europe. Des nombreux griefs adressés par leurs détracteurs, ceux touchant aux bonnes moeurs furent portés par de nombreuses associations et ligues, mais nous ne trouvons rien quant à une position officielle de l'Eglise catholique. Il est vrai toutefois que la documentation est très lacunaire.
Bonjour,
En l'absence de précision, nous partons du principe que c'est de l'Eglise catholique romaine que vous parlez.
Selon l'ouvrage que vous citez, Chevaux de souffrance : les marathons de danse en Europe (1931-1960) de Josseline et Serge Bertin, parmi les nombreux sujets de protestation soulevés par les marathons de danse, la question de la décence a bien été brandie par des milieux religieux :
Marathon indécent
Et cette réprobation s'appuie, précisément sur des considérations morales. Car, les danses sont immorales comme le rappellent ces fortes paroles tirées d'une publication chrétienne . "Je dis de la danse et des bals ce que les médecins disent des champignons : les meilleurs ne valent rien. Les bals, les danses et telles assemblées ténébreuses attirent ordinairement les vices et les péchés qui règnent en un lieu [tiré de La Semaine du fidèle, 6 janvier 1866]." Proscrites par l'Eglise au XIXe siècle, elles restent longtemps frappées de défiance voire de mépris, en dépit de l'évolution des moeurs. A plus forte raison, les danses d'endurance, qui impliquent des contacts corporels plus intimes, faits d'enlacements et autres postures aisément qualifiables d'indécentes ! Les associer à des activités physiques, comme le font leurs organisateurs, ne règle en rien le malaise car, en ces années 1930, le sport féminin reste, lui aussi, soumis au regard critique d'une partie des contemporains. Il n'est donc pas étonnant que, frappés par cette double malédiction, les marathons subissent les foudres des défenseurs de la bienséance. Dans un courrier adressé au maire du Mans, daté du 30 mars 1935, le représentant de la Ligue mancelle contre l'immoralité publique, s'inquiète de la tenue de l'un de ces concours dans sa ville. Il évoque en particulier "les danses d'un couple africain qui seraient répréhensibles" et les moments de repos passés devant le public où les danseuses sont "naturellement dévêtues". Le commissaire de police, chargé d'enquêter, n'y voit aucun acte contraire aux bonnes moeurs. Mais rien n'y fait. Les esprits, au Mans comme ailleurs, restent obstinément fixés sur l'objet du scandale. "Que dire d'un gouvernement qui tolère pour plaire à certains les fameuses danses modernes, déjà dangereuses, sou la forme de marathon ? Là, l'immoralité est frappante" déclare Paul Lacombe dans la Courrier de Bayonne. Le message effrayé d'une mère, à Biarritz, semble lui répondre : "Nous, mère, nous frémirions d'épouvante si on nous disait que nos filles vont être condamnées à danser sans arrêt pendant des jours et des semaines. Ces jeunes filles que le public va applaudir ont peut-être des mères qui pleurent. Si elles n'en ont pas, elles sont encore plus à plaindre." Le curé de l'église Sainte-Eugénie, à Saint-Jean-de-Luz, prononce même, en chaire, un violent réquisitoire contre ce spectacle scandaleux, indigne aussi bien des jeunes gens que des autres."
Nous avons mis la dernière phrase en gras car c'est la seule mention de l'implication d'un ecclésiastique dans la fronde anti-marathon. L'essentiel des protestations pour motifs de décence étant pris en charge par des associations chrétiennes, mais pas par l'Eglise elle-même. Ces associations trouvent des alliés objectifs auprès de groupe aussi divers que les Jeunesses Patriotes, la Ligue de moralité publique, l'Union française pour le suffrage des femmes, les scouts, mais également les jeunesses communistes... d'autant qu'à côté des questions de moralité, de nombreux griefs sont adressés aux marathons de danse : nuisances sonores, violences, concurrence avec d'autres entreprises de loisirs, liens avec la pègre et surtout exploitation sont quelques-uns de ces griefs.
Nous devons préciser ici une chose : malgré l'immense engouement et les polémiques brûlantes qu'ils ont provoqué en Europe dans les années 1930, les marathons de danse sont un sujet de recherche largement négligé. Outre le livre de Josseline et Serge Bertin, le seul livre disponible en français sur le sujet est le roman d'Horace McCoy, On achève bien les chevaux. La recherche universitaire francophone n'est pas guère plus généreuses, d'après theses.fr et Google scholar. Sur ce dernier moteur de recherche, on trouve tout de même quelques résultats contenant "marathon de danse" :
BéJA Alice, Les crises en mal de représentations esthétique et politique, Esprit, 2012/6 (Juin), p. 19-21. DOI : 10.3917/espri.1206.0019. URL :
FOURMAUX Francine, Le nouveau cirque ou l'esthétisation du frisson, Ethnologie française, 2006/4 (Vol. 36), p. 659-668. DOI : 10.3917/ethn.064.0659. URL :
Pierre Pachet, La privation volontaire, Communications Année, 1996, 61, pp. 93-112
... mais rien de pertinent pour votre question. Il semble exister un peu plus d'articles en anglais, mais nous n'avons toutefois rien trouvé de particulièrement proche de votre préoccupation, outre quelques mots en passant : ainsi la thèse de Chelsea Rae Dunlop American Dance Marathons, 1928-1934 and the Social Drama and Ritual Process, rendue en 2006 et mise en ligne par l'Université de Floride, évoque-t-elle le même type d'assemblage de circonstance dans la lutte contre les marathons :
Moral leagues, churches, and middle-class women who considered the dance marathons a breeding ground for sex, violence, and inhumane activities, denounced them. Competitions, they said, were degrading, immoral, brutal, and disgusting.
Il nous semble que le mot "churches" est à prendre au sens d'"église locale", et, dans un contexte états-unien, majoritairement protestant. Même son de cloche dans un article de Paula Becker de 2003 disponible sur le site historylink.or,; Dance Marathons of the 1920s and 1930s :
Opponents to dance endurance events included movie theater owners, who lost money when their patrons attended a marathon instead of a movie. Churches and women’s groups objected on both moral grounds (the contestants’ dance positions resembled dragging full-body hugging rather than social dance positions) and for humanitarian reasons (it was wrong to charge money for the dubious privilege of watching bedraggled contestants become increasingly degraded). The police found that marathons attracted an undesirable element to their towns. Certainly the marathon promoters and professional dancers (who almost invariably collected the prize money) were transient and invested only in short-term gain.
La recherche "Marathon de danse" donne en revanche de très nombreux résultats sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Il s'agit presque toujours de presse ancienne, notamment locale, les articles annonçant des marathon à venir ou rapportant les résultats d'un marathon passé... quelquefois de façon critique, mais des extraits que nous avons pu en lire, les griefs religieux ne sont pas majoritaires, et nous ne trouvons toujours rien sur une position de l'Eglise catholique en tant qu'institution.
Bonne journée.