Pourquoi y a-t-il des pierres d'attentes au 14 rue St Georges à Lyon ?
Question d'origine :
Bonjour !
J'ai vécu dans le quartier St Georges à Lyon au 14 rue St Georges Lyon 5ème et j'ai remarqué qu'il y avait des '' pierres d'attente '' sur le côté gauche en regardant l'immeuble de face : qu'est-ce qui peut avoir empêché que l'immeuble qui finalement a été construit à côté ( restaurant situé au RdC) soit en retrait de la chaussée et que les pierres d'attente n'aient pas été utilisées ?
Merci par avance !
Réponse du Guichet
La question serait plutôt qu’est-ce qui a nécessité la démolition et le retrait de la façade de l'immeuble adjacent au n°14 de la rue Saint-Georges, côté sud, et de ses voisins ? En effet, si l’on en croit les cartes du début du 19e siècle, les pierres qui dépassent du côté gauche de la façade du 14 ne sont pas des pierres d’attente mais les traces de l’ancienne façade de l’immeuble voisin, reconstruite plus en retrait dans les années 1820, conformément au projet d’alignement de la rue Saint-Georges.
Le numéro 14, plus chanceux, a conservé sa façade Renaissance.
Bonjour,
Le site des Archives municipales de Lyon propose l’accès à des cartes et plans numérisés qui permettent d’avoir un aperçu de l’évolution urbaine de la ville et des projets urbains, réalisés ou non.
Le plan de 1813 Projet de redressement de la rue Saint-Georges ( cote 3S0475) donne un aperçu des alignements envisagés dans la rue Saint-Georges au début du 19e siècle. La ligne rouge correspond à l’alignement proposé, et la partie en jaune est la partie existante à reculer. Cette carte nous fournit deux informations intéressantes :
-
La façade de l’immeuble au 14 est parfaitement alignée avec celles des immeubles adjacents, dont celle du n°16, qui est aujourd’hui en retrait.
-
Le plan comporte des croix sur l’emplacement des façades des immeubles aux numéros 18, 20, 22 et 24 de la rue Saint-Georges, indiquant sans doute des démolitions en cours ou imminentes.
Le plan de 1815 Plan d'alignement de la grande et de la petite rue Saint-Georges (cote 3S0486) laisse voir le «creux» laissé au niveau des n° 20 à 24 (sur ce plan les numéros de rue sont décalés, cela correspond donc aux numéros 18 à 22 du plan de 1813).
Le Plan d'alignement de la Ville de Lyon en 13 feuilles : plan n° 5 de 1825 (cote 2S0502_5) nous montre que l’immeuble qui vous intéresse et ses voisins sont toujours menacés d’alignement.
Les plans du cadastre napoléonien numérisés et consultables en ligne sur le site des Archives départementales du Rhône montrent une cartographie précise de la ville dans les années 1820-1830.
La Section O dite de l'Antiquaille (01283, 3P972), datée de [1831], permet de constater que l’immeuble n°16 a entretemps été aligné avec les n°18 à 24, créant le décroché actuellement visible à gauche du n°14.
Selon le dossier (succinct) de l’Inventaire du patrimoine Auvergne-Rhône-Alpes , la cour du n°16 comprend toujours des galeries du XVIe siècle. Il n’y a malheureusement pas de dossier pour le n°14.
A propos des projets d’alignement du Vieux-Lyon au 19e siècle, vous pourriez lire :
Le Vieux-Lyon [Livre] : histoire & architecture / Pierre Faure-Brac, Hervé Sanejouand, 2014, lire p. 136-137, «Percements, alignements, remparts et quais» :
«Aligner un bâtiment existant est une opération assez simple, au moins en théorie: on démolit la façade puis on la reconstruit en retrait après avoir raccourci les murs de refend et les planchers. Lorsque les façades ne sont pas porteuses, ce qui est généralement le cas dans le Vieux-Lyon, les structures peuvent subir cette opération sans dommage sérieux. Il s’agit d’un usage très ancien: c’est ainsi qu’on peut repérer des alignements survenus à la Renaissance aux 2, 4 et 6 rue des Trois Maries, … (…) Mais au XVIIIe siècle, et surtout à partir de 1775, changement d’échelle : l’alignement cesse d’être une méthode occasionnelle pour devenir un mode courant de traitement des tissus urbains existants, sous prétexte d’hygiène ou de circulation. (…) A partir du XIXe siècle, tout se passe comme si la machine s’emballait : les projets d’alignement se font de plus en plus ambitieux. Après 1815, la vogue commence à décroître. Il est vrai que les projets les plus vastes n’ont été au mieux que très partiellement suivis d’effet. L’obstacle est purement économique : aligner un immeuble coûte cher et ne rapporte pas d’argent. S’ajoute à cela l’insoluble problème des occupants dans une ville déjà surpeuplée. Élargir la rue Saint-Jean est tellement indispensable que l’opération est presque conduite à son terme ; ceux des autres projets, c’est-à-dire la plupart, qui ne sont pas imposés par une nécessité impérieuse, sont abandonnés. (…)»
Lyon [Livre] : silhouettes d'une ville recomposée : architecture et urbanisme, 1789-1914 / Dominique Bertin et Nathalie Mathian, lire p. 37-38, Chapitre 2 «Des quartiers mis en concurrence: 1814-1845», «L’embellissement et la régénération du Vieux Lyon»:
Le plan d’alignement est réalisé en plusieurs phases [relevé, étude et synthèse, entre 1810 et 1826].
«Pratiquement toutes les rues sont régularisées et élargies, en tenant compte des alignements prescrits aux siècles précédents, tandis que de nouvelles voies sont projetées avec la plus grande parcimonie. En effet, le propre de l’alignement est d’attendre que les maisons soient suffisamment vétustes pour contraindre les propriétaires à les faire démolir et les reconstruire en retrait ; la Ville ne payant des indemnités que sur le sol cédé à la voie publique et non pas sur la partie démolie du bâtiment. (…) [Le plan de Coillet est] «rendu public en avril 1824. La municipalité est parfaitement consciente de l’aspect aléatoire de l’alignement car «il est impossible, attendu l’énormité de la dépense, de réaliser autrement qu’à la longue et dans la suite des temps». Trois options désormais s’offrent à elle en matière de gestion urbaine. La première est d’attendre que les immeubles tombent de vétusté pour les faire reculer et avoir à payer uniquement la valeur du terrain. La seconde est d’acquérir les maisons qui gênent la circulation après avoir défini les opérations prioritaires afin de «prévenir les frais plus grand qui résulteraient de l’achat des mêmes emplacements si on attend que soient élevés des édifices de valeur considérable». La troisième est de favoriser les initiatives privées.»
Voir ensuite p. 48-19 les pages dédiées au quartier du palais de justice et de Saint-Georges.
Bonne journée,