Question d'origine :
Bonjour,
existe-t-il un "sens rythmique absolu", au même titre que la fameuse oreille absolue, c'est-à-dire une capacité à reconnaître la fréquence d'un rythme ("Ha, ça c'est du 80 bpm!"), ou à reproduire sans assistance une fréquence ("Jouez-moi donc ce morceau en 90 bpm!"), avec sa plus éclatante mise en oeuvre qui serait de pouvoir battre la seconde.
Si oui, ce sens a-t-il un lien avec l'oreille absolue.
Sauriez-vous dire, si cette compétence n'est pas étudiée, si c'est parce qu'elle n'existe pas? Ou qu'elle ne semble pas aussi spectaculaire l'oreille absolue?
D'avance merci pour vos réponses (et plus généralement pour ce que vous faîtes!)
Stéphane
Réponse du Guichet
Non, rien ne permet d’affirmer qu’il existe un «sens rythmique absolu». Mais nous pouvons apporter quelques éléments de réponse : des études montrent que ce que nous appelons " sens du rythme " convoque évidemment notre cerveau et qu'il est question de synchronisation cérébrale, rien à voir avec la notion d'oreille musicale (et d'oreille absolue). Et l'absolu dans l'appréhension humaine du rythme ? Inatteignable, est-il besoin de le préciser ? Cependant des chercheurs ont pu observer chez certains sujets qu'ils nomment "super-synchronisateurs" de très grandes capacités en la matière. Ce qui est malheureusement plus atteignable, et qui touche d'ailleurs 2 à 3% des gens est la surdité rythmique, type d'amusie (déficience des capacités musicales) qu'aucune formation musicale ne peut atténuer.
Non, rien ne permet d’affirmer qu’il existe un «sens rythmique absolu».
Ôtons le terme absolu, qui fait un peu trop écran, existe-t-il seulement un sens rythmique, que l’homme de la rue appelle le «sens du rythme» ? Est-ce inné, en sommeil chez certains d’entre nous ou lié (uniquement) à un apprentissage?
La réponse à cette question est déjà complexe.
Voici quelques pistes de réflexion.
Ce qui est observé:
Selon une étude récente menée par l’Université canadienne de McGill, publiée en 2020 et intitulée en version originale: «Rhythm Complexity Modulates Behavioral and Neural Dynamics During Auditory–Motor Synchronization», le «sens du rythme» est à décorréler de la notion d’oreille musicale, c’est une question de synchronisation cérébrale.
L’article de Ouest-France: «on sait enfin d’où vient le sens du rythme» ainsi que
L’article «le cerveau, berceau du sens du rythme» : présentation de l’étude de l’Université McGill
… nous aident à en résumer le propos:
(Les chercheurs sont parvenus) « à repérer les marqueurs neuraux en jeu dans la perception du rythme. Curieusement, ces marqueurs ne correspondaient pas à la capacité des musiciens d’entendre ou de produire un rythme, mais uniquement à leur capacité de se synchroniser avec celui-ci»
L’article présentant brièvement cette étude cite ensuite les chercheurs : «La plupart des musiciens ont un bon sens du rythme. Néanmoins, ce signal était suffisamment affûté pour nous permettre de distinguer les « bons » musiciens des « meilleurs », et même de ceux doués d’un sens du rythme ultra développé (les « super-synchronisateurs, comme nous les appelons parfois). »
Est-ce inné ou pas?
Selon la chercheuse principale, il pourrait être possible de développer son sens du rythme. « Si on se fie à l’éventail de musiciens qui composaient l’échantillon, tout porte à croire que c’est effectivement possible. Le fait que de 2 à 3 % de la population seulement souffre de surdité rythmique est également encourageant. Il est certain que la pratique aide à affûter sa sensibilité et à améliorer la synchronisation des rythmes cérébraux avec les rythmes musicaux; mais je ne suis pas prête à affirmer que n’importe qui peut devenir aussi bon qu’un as de la batterie. »
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«Surdité rythmique» ?
Ce trouble fait partie d’un ensemble plus large que l’on nomme «amusie», dont le fameux docteur Wikipédia dit ceci : «L'amusie est une anomalie neurologique dans laquelle le rythme, la mélodie, les accords de musique ne sont pas perçus ou n’ont pas de sens pour une personne dont l'audition est par ailleurs normale. L'amusie peut être congénitale ou résulter d'une lésion cérébrale. L'amusie peut être parfois associée à l'aphasie. Le déficit ne peut pas être atténué par une formation musicale.».
Cet article sur blog.impro-musique.com pointe vers une étude du CNRS qu’il résume ainsi, et nous nous contenterons de sa synthèse :
"Une étude CNRS/Inserm démontre l’existence d’un retard d’encodage des sons entre le cortex auditif et le cortex frontal, jouant un rôle central dans la coordination des mouvements (entre autres)."
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Un article de RadioFrance par Susana Kubik intitulé «Pourquoi certains n’ont-ils pas le sens du rythme ?» se penche aussi sur la question en décortiquant une étude de la neuropsychologue Jessica Phillips-Silver de l’Université de Montréal (oui c’est McGill, on connaît) et aussi de Peter Keller, de l’Université de Sydney:
L’article de Jessica Phillips-Silver et son équipe: «Born to dance but beat deaf: A new form of congenital amusia»
L’article de Peter Keller dans The Conversation: «Rhythm on the brain, and why we can’t stop dancing»
Radio France termine par ces mots, et on en fera de même en les citant :
« Chez certaines personnes, le cerveau se synchronise plus facilement à la pulsation de la musique et arrive à anticiper sur sa régularité, et donc mieux coordonner les mouvements du corps, précise Peter Keller. Pour l'instant, les chercheurs ne savent pas ce qui est à l'origine de cette différence dans la perception, ni comment l'améliorer. »