Je souhaite avoir des informations sur la gravure en tant qu'art d'invention et de reproduction
Question d'origine :
Bonjour, je m’intéresse à la gravure et je suis intriguée par la distinction qui se fait quand à son rôle d'art de reproduction ou d'art d'invention, et comment ces deux rôles peuvent se mélanger/évoluer dans l'art contemporain. Pourriez vous m'éclairez sur le sujet avec des ressources à lire également ?
Merci pour votre travail,
Bonne journée à vous !
Réponse du Guichet

Voici de premières pistes mais votre question nécessite d'être approfondie par la lecture de nombreux ouvrages.
Bonjour,
Votre interrogation n’est pas aisée et nous fait replonger dans les réflexions d’Henri Focillon qui écrivait sur l’eau forte, un art en péril :
Il ne suffit pas de reproduire le tableau à succès , l’anecdote héroïque ou sentimentale, le baiser décollé ou le retour du pêcheur ; il faut les reproduire d’une certaine façon, croiser les tailles dans un certain sens, faire petit ou égratigné.
(…)
Le graveur procède avec l’acide comme le peintre avec la couleur : tempérant sa force par des mélanges, surveillant la durée des morsures, il obtient à son gré tous les gris et tous les noirs, dispose d’une palette complète, plus riche encore que celle des peintres. Il peut tout traduire, apaiser le soleil sur un paysage, y exprimer la chaleur et la transparence de l’ombre, amener à la lumière par des transitions à peine effleurées les plans délicats d’un visage, donner à la chair sa mollesse éclatante, promener la caresse de l’air sur les feuillages et les fruits. Il sait glacer et empâter, use de subtilités dangereuses et compliquées …
Source : Henri Focillon, Propos sur l’estampe.
Ainsi, longtemps considérée principalement comme un art de reproduction, permettant de diffuser largement les œuvres d'artistes peintres et dessinateurs, la gravure acquiert progressivement un statut d’art à part entière. L’émergence de la photographie au XIXe siècle accélère cette transition d’un rôle utilitaire de reproduction à un art d’expression. Sur la question de la reproduction, nous vous suggérons d'ailleurs la lecture de l'incontournable L’œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique par Walter Benjamin.
Pour compléter cette première approche, il vous faudra donc nourrir votre réflexion par de très nombreuses lectures dont La gravure. Les procédés par jean E. bersier :
Dès sa naissance l’art du gaveur est donc un art de nécessité intérieure, un art qui porte en lui-même sa satisfaction, un art majeur au premier chef et non pas, comme d’aucuns l’ont prétendu, un simple procédé chargé de reproduire en plusieurs exemplaires un dessin ou le fac-similé d’une peinture
(…) Si tout dessin reproduit devient par là-même une gravure imprimée, et donc une estampe, nous ne pouvons ni ne voulons faire l’historique de cette mer d’images qu’a provoquée l’invention des procédés photomécaniques auxquels nous devons toutes les illustrations de journaux, delivres à bon marché, d’ouvrages didactiques, de revues, de diplômes, cartes postales, étiquettes, boîtes à chapeaux, cornets et boîtes à bonbons, de produits de toutes sortes, prospectus, calendriers, etc.
(…) jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’estampe originale a seule été à remplir ce rôle d’informateur, d’inventeur, d’amuseur, de publiciste et de commerçant, en même temps ; étant œuvre personnelle, elle exposait les qualités individuelles de l’artisan graveur, elle était par là-même une œuvre d’art…
La lecture du catalogue Invention Interprétation reproduction. Gravures des anciens Pays Bas (1550-1700) permettra de réfléchir plus précisément sur les différentes caractéristiques de la gravure dont celle de reproduction :
à laquelle on préfère désormais la notion « d’interprétation » afin de mettre en valeur les qualités propres aux graveurs. Avant l’invention mécanique de l’estampe en couleurs, ceux-ci devaient en effet être capables de transcrire les nuances du coloris à l’aide des seules valeurs du noir et du blanc. Si cette préoccupation de fidélité qui caractérise l’estampe d’interprétation semble avoir vu le jour en Italie vers 1540, ce sont les graveurs des Pays-Bas qui en deviennent rapidement les spécialistes les plus aboutis.
Nous vous conseillons aussi de lire l'article de l'Universalis, gravure ainsi que :
The print before photography. An introduction to european printmaking 1550-1820 / Antony Griffiths , 2016.
The art of print : three hundred years of printmaking / Elisabeth Jacklin, 2021.
Imiter, reproduire, inventer. Techniques de gravure et statut du graveur en France au 18e siècle / Stéphane Roy
- GALLAY Antoine, « Le problème de l’invention en gravure. L’émergence d’une théorie de la gravure comme art libéral au sein de l’Académie royale de peinture et de sculpture (1651-1674) », Dix-septième siècle, 2020/2 (n° 287), p. 277-295.
Pour ce qui est de de l’art contemporain, la frontière est encore plus ténue ; on peut ainsi penser aux œuvres de Braque qui mêlent peinture et gravure mais plus largement se pose la question de ce qu’est l’art contemporain et les frontières entre reproduction et création. A ce propos vous pourrez lire les ouvrages d’Arthur Danto dont La transfiguration du banal : une philosophie de l'art. ou Ce qu’est L’art.
Pour revenir plus spécifiquement à la gravure, nous vous suggérons les lectures suivantes :
L'estampe un art multiple à la pportée de tous ? / Sophie Raux, Nicolas Surlapierre, Dominique Tonneau-Ryckelynck (éds) ; Simon André-Deconchat, Viviane Benoit-Renault, Sophie Bobet-Mezzasalma [et autres] ; introduction de Michel Melot, 2022.
L'acte de graver / Claire Fanjul, 2015 : "La gravure est souvent associée à la fonction de reproduire, multiplier et accompagner des arts considérés comme majeurs tels que la peinture, la sculpture ou l'architecture. en se questionnant sur son statut, nous pouvons percevoir la gravure autrement qu'un art mineur ou appliqué, ne la réduisant plus à une forme aussi désincarnée qu'un système de reproduction semi-mécanisé. tentons plutôt d'appréhender cette technique comme un art autonome dont les qualités intrinsèques en font un véritable langage et une forme de traduction conduisant vers des réflexions nouvelles. nombre d'artistes ont gravé, non pas un dérivé d'œuvres déjà existantes, mais des productions originales — le médium répondant à leurs exigences et sa reproductibilité technique faisant écho à la multiplicité de leurs idées".
Graver la lumière: l'estampe en 100 chefs-d'œuvre / Florian Rodari, 2023 : "Cet ouvrage propose un regard subjectif sur l'art de l'estampe, en évoquant toutes les techniques, depuis les premières impressions sur bois du XVe siècle jusqu'aux inventions plus libres des XIXe et XXe siècles".
La gravure d'interprétation comme art et critique d'art [Article] : La peinture romaine contemporaine selon Benoît Farjat, Nicolas Dorigny et François Spierre / Bénédicte Gady, 2005.
Estampes contemporaines regard sur l'estampe en France de 1945 à nos jours / 1998.
La gravure contemporaine / Marie-Janine Solvit, 1996.
Enfin, n'hésitez pas à consulter le site de l'Urdla.