Que buvaient les bretons et les normands sous l'Ancien Régime ?
Question d'origine :
Cher guichet,
J'ai lu qu'en Bretagne et Normandie, nos ancêtres avaient comme boisson , sous l'Ancien Régime, le cidre.
Ma question est : buvaient-ils aussi outre l'eau, du vin ou de la piquette ou de la bière ?
Bien cordialement
Réponse du Guichet

Les normands et les bretons buvaient aussi du vin, du cidre, de l'eau-de-vie ....
Bonjour,
De nombreux ouvrages s’intéressent aux boissons et mentionnent la consommation de vin, de bière, de cidre et de spiritueux.
Les Actes du 106e Congrès national des sociétés savantes, Les boissons : production et consommation aux XIXe et XXe siècles citent l’eau de vie de cidre, introduite dans le dernier quart du XVIe siècle et notent que
la fabrication des alcools en petite quantité est demeurée longtemps une sorte de privilège des apothicaires qui les employaient pour leurs médicaments … il semble que les eaux-de-vie de cidre, vendues à plus faible prix que celles de vin, entrèrent en concurrence entre elles. Elles commencèrent à être vendues dans les provinces voisines de la Normandie, comme l’Anjou et le Maine, régions plus vinicoles.
Michel Craplet dans L'ivresse de la Révolution. Histoire secrète de l'alcool 1789-1794, que vous pouvez consulter en ligne, apporte des précisions sur différentes boissons et indique que :
La bière avait, depuis l’antiquité, dans les pays et régions vinicoles, l’image de la « boisson des pauvres et des barbares », selon l’expression de Fernand Braudel. L’historien explique – commentant les textes de le Grand d’Aussy de la fin de l’Ancien Régime – que la « bière étant la boisson des pauvres, toutes époque difficile en étendait la consommation, à l’inverse le beau temps économique transformait les buveurs de bière en buveurs de vin ». Cette boisson est couramment consommée, mais seulement dans les régions du Nord et de l’Est (…) il faut évoquer aussi le cidre, boisson encore plus régionale, qui revêt une dimension identitaire en Normandie, pas encore en Bretagne, avec, en 1789, une consommation annuelle par habitant de 430 litres à Caen et de3 litres à Paris. Mais la grande nouveauté du siècle sera le développement des boissons distillées. Braudel résume ainsi l’essor de l’alcool : « le XVIe siècle el crée, le XVIIe le pousse en avant, le XVIIIe le vulgarise » ; il décrit une consommation croissante dans le milieu militaire à partir de 1700, décrivant la fabrication de l’eau-de-vie comme une « industrie de guerre »,, utile pour encadrer et mobiliser les soldats et les marins ….
Pour ce qui est du vin et de la période moderne Matthieu Lecoutre dans Atlas historique du vin en France. De l’Antiquité à nos jours explique que peu à peu les vignobles secondaires disparaissent :
il n’y a plus de vignes en Bretagne, Normandie ou dans le Nord à la veille de la Révolution française. Mais on continue à y boire du vin importé d’autres régions (du Bordelais notamment pour toutes les régions du littoral occidental).
Il mentionne ainsi une consommation moyenne de 72l/A,/hab. à l’époque de Rabelais et de 105. L./AN/HAb à la fin du siècle de Voltaire et explique :
(…) A défaut, les Français boivent du cidre, du poiré ou de la bière selon les provinces, voire de l’eau mais à leurs risques et périls puisqu’elle n’est pas toujours potable …
Par ailleurs, l’auteur note que « le vin est la boisson quotidienne des repas hospitaliers… » et que les vins de Touraine « sont diffusés à partir du XVIIe siècle dans le Maine, en Normandie, en Bretagne, dans le Berry, en Anjou mais surtout à Paris ;
Le même auteur, Matthieu Lecoutre relate dans Le goût de l’ivresse que l’eau n’était pas forcément consommée dans les villes et constate que
« l’eau constitue une boisson ordinaire mais, semble-t-il, surtout consommée sous forme de soupe : c’est le plat de base des trois repas quotidiens des Français dans la continuité du Moyen Age.
(…) au début de l’Époque moderne, quatre types de vin sont répertoriés en fonction de leur couleur : le vin blanc, le vin clairet (qui a l’avantage d’être souvent recommandé par les médecins puisqu’il est le point d’équilibre parfait entre la nature froide et aqueuse du vin blanc et la nature chaude et sèche du vin rouge), le vin vermeil (notre vin rouge d’aujourd’hui) et le vin noir (…)
Certains de ces vins, comme ceux de Bretagne, ont une très mauvaise réputation qui ne se dément pas jusqu’à la fin de l’Ancien régime : « quant à la mauvaise qualité de ces vignobles, personne, je crois, ne la révoquera en doute. La Bretagne avait encore une partie des siens sous François Ier ; et ils passaient pour les plus mauvais vins du Royaume …
A l’Époque moderne, le nord du royaume reste le pôle de production et de consommation de la bière
(…)
Le cidre, bu dans le royaume depuis le Moyen Age, est intégré à certains régimes de santé à partir de la fin du XVIe siècle.
(…)
Il innove en proposant un véritable régime de santé à base de cidre consommé modérément, pur ou coupé d’eau. Contrairement au vin, la boisson normande est selon lui adaptée à tous les buveurs …
En outre, l’auteur retranscrit une description d’Olivier de Serres de 1600 qui montre que le cidre et le Poiré étaient effectivement consommés en Normandie et en Bretagne :
« en Normandie, Bretagne et circonvoisin […]abondamment pourveux et de fruits et de graisn [.. ;] se servent plus du Sidre ou Pommé, et du Peré, que de la Biere …
Mais il relève dans un même temps :
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la Bretagne n’est pas encore non plus une grande consommatrice de cidre et cette boisson n’y joue aucun rôle identitaire. Par exemple, à Hennebont, sur les trente cabaretiers et taverniers que contient la ville en 1632, et dont la majorité vend du vin, seuls trois débitent du cidre. Les volumes sont très explicités : plus de 69 000 livres de vin débités de septembre à novembre contre 3 175 litres de cidre vendus durant les trois mêmes mois (et 450 litres de bière seulement) pour une population d’environ 6 200 habitants. A Vannes en 1704, sur 51 débitants de boissons que contient la ville, un seul débit du cidre : Claude Leguenec, rue Saint-Gwenael. En 1674, le cidre (associé à la bière dans les sources) ne représente au maximum que 5% des boissons enivrantes consommées par les Nantais dans leurs débits de boissons : soi Normandie. t 1,6 litre par an et par habitant…
Plus généralement, sur l’histoire de la consommation d’alcool, nous vous suggérons la lecture de précédentes réponses :
Création de l’alcool
Apparition du vin
L’invention de l’apéritif
Enfin, pour approfondir la question, vous pourriez consulter l'ouvrage suivant que nous ne possédons pas :
Petite histoire et grands secrets des boissons en Normandie / Francis Lanoë, Éric Méritet, 1997.
Bonne journée,