Qui a remporté les élections de 9 juin 2024 et quels changements auront lieu ?
Question d'origine :
Qui a remporté les élections de 9 juin 2024 ? Quelle sont les changements qui auront lieu ?
Réponse du Guichet
L'issue et les conséquences de ce scrutin européen, en France comme en Europe, semblent parfaitement imprévisibles au vue chamboulements majeurs survenus en à peine 48 heures. Si la chambre européenne semble échapper à la domination de l'extrême droite, divisée et en infériorité numérique face au PPE, la politique française fait face à la montée en puissance du parti de Marine Le Pen. Convoquant de nouveaux les électeurs aux urnes après avoir dissolu l'Assemblée nationale dimanche, E. Macron tente un coup de poker risqué. En à peine deux jours, ce séisme politique à très largement rebattu les cartes du panorama politique français.
Bonjour,
Les résultats officiels des élections européennes 2024 en France sont disponibles sur le site Vie-publique. Sur les 49,5 millions d'électeurs appelés aux urnes ce dimanche 9 juin, 51,49% des français ont pris part au vote, un taux en hausse de 1,37% par rapport au scrutin de 2019. Le taux d'abstention s'élève à 48,51% et 346 059 électeurs ont voté blanc.
Sur les 38 listes présentées à ces élections, c'est la liste du Rassemblement national avec Jordan Bardella, vice président du RN à sa tête, qui arrive en première place (31,37% des suffrages exprimés pour 30 sièges). Elle est suivie, loin derrière, par la liste de la majorité gouvernementale emmenée de Valérie Hayer (14,60% pour 13 sièges). Viennent ensuite Réveiller l'Europe, la liste de Place Publique et du PS de Raphaël Glucksmann (13,83% pour 13 sièges), la France Insoumise - Union Populaire de Manon Aubry (9,89% pour 9 sièges), la droite pour faire entendre la voix de la France en Europe de François-Xavier Bellamy (LR) (7,25% pour 6 sièges), Europe Écologie de Marie Toussaint (5,5% pour 5 sièges) et enfin la France fière menée par Marion Maréchal et soutenue par Eric Zemmour (Reconquête) (5,47% pour 5 sièges).
Nous ne comptabiliserons pas les résultats des autres listes qui n'ont pas pu atteindre le seuil minimal de 5% des suffrages pour obtenir des eurodéputés. Mais vous pouvez consulter décompte définitif de toutes les listes ici : Résultats élections européennes - Le Monde. Ainsi que les résultats dans le détail, commune par commune, grâce à cette carte interactive.
Pour rappel la répartition du nombre d'eurodéputés admis au Parlement européen est proportionnel au poids démographique de chaque pays. La France et ses 68,4 millions d'habitants (selon l'INSEE au 1er janvier 2024) compte une délégation de 81 eurodéputés. Elle est le deuxième pays le plus représenté derrière l'Allemagne et ses 96 sièges réservés.
Quels sont les résultats au niveau européen ?
Si une majorité des eurodéputés français sont affiliés à l'extrême droite (35 sièges RN + Reconquête) et que le RN est le parti européen qui envoie le plus d'eurodéputés à Strasbourg, c'est bien le parti populaire européen (PPE) (droite), dont font partie les députes LR de la liste de François-Xavier Bellamy, qui obtient la majorité des sièges du Parlement européen. Cette coalition comptabilise 186 parlementaires. Elle est concurrencée à gauche par l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, où siègeront les élus de la liste de Glucksmann, avec 135 places gagnées. L'extrême droite ne constitue que la troisième force politique du Parlement européen. Divisée en plusieurs groupes : Identités et démocraties (73 sièges, dont le Rassemblement national) et les Conservateurs et réformistes européens (45 sièges, dont le groupe Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni), elle pourrait constituer une force vive en cas de nouvelles coalitions. D'autant plus en cherchant à déborder du coté des non-inscrits (45 sièges) et non affiliés (55 sièges) où certains députés partagent de nombreuses accointances idéologiques. Ils pourraient alors former un groupe allant de 180 à 200 eurodéputés. Attention toutefois, de nombreuses divisions demeurent (voir Le Monde Au Parlement européen, la victoire inachevée de l’extrême droite, le 11/06/2024). Enfin arrivent Renew Europe, le parti des députés Renaissance de la majorité présidentielle (79 sièges), les Verts - Alliance libre européenne (53 sièges) puis La Gauche où siègent les députés insoumis (36 sièges).
Pour une représentation graphique du Parlement, rendez-vous sur France Info et sa projection du prochain parlement. Elle permet aussi de comparer les forces en présence avec celles de la dernière mandature (qui ont finalement peu bougé). Les décodeurs du Monde présentent aussi les résultats des sièges pays par pays et la composition de la futur assemblée.
Ces estimations se basent sur la projection du futur Parlement dévoilée lundi sur le site même de l'institution européenne. Mais il nous faut pour l'heure prendre ces projections avec des pincettes, nous ne sommes pas à l'abri d'ici les prochaines semaines de voir de nouvelles alliances se constituer et d'autres se défaire. Pour rappel la première séance plénière de la nouvelle législature se tiendra du 16 au 19 juillet prochain.
En attendant si vous souhaitez vous renseigner sur les échéances à venir pour le Parlement européen, vous pouvez consulter la page Après les élections sur le site du parlement, vous en apprendrez plus sur la formation des futures commissions, l’élection du Président du parlement ou l'influence du parlement dans l'élection du Président de la Commission européenne.
Aussi, si vous avez besoin d'en apprendre davantage sur le rôle et la fonction des députés européens, voir le site de l'Union Européenne et la page dédiée au Parlement européen.
Conséquences en France - annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron :
Face à ce camouflet politique européen, le président de la République a annoncé dimanche soir, dans la foulée des résultats des élections européennes la dissolution de l'Assemblée nationale en vertu de l'article 12 de la Constitution et convoque de nouvelles élections législatives en France les 29 et 30 juin pour le premier tour et le 6 et 7 juillet pour le second.
Un jeu que l'on peut juger dangereux pour le parti gouvernemental qui devra reconquérir en quelques semaines un électorat qui lui a fait défaut sur ces élections européennes. Car si Renaissance et ses alliés ne parviennent pas à constituer une majorité à l'Assemblée nationale, il est admis dans l'exercice du pouvoir que le président de la République nomme un premier ministre issu de la nouvelle majorité. Ce fut le cas notamment en 1997 après la dissolution de Jacques Chirac, conduisant ainsi le président dans une cohabitation avec le parti socialiste, forcé de nommer Lionel Jospin à la tête du gouvernement. Dans ces conditions, la question se pose légitimement de savoir si Gabriel Attal sera le premier ministre le plus éphémère de toute la Vème République ?
Ce coup de tonnerre porté par Emmanuel Macron constituerait un scénario inédit en France, c'est la première fois, malgré des échecs répétés des majorités présidentielles aux européennes qu'un tel scrutin a un impact direct sur le pouvoir en place comme l'explique le chercheur et analyste politique Florent Gougou dans une tribune au Monde : "C’est bien la poussée impressionnante de la liste de Jordan Bardella qui a conduit Emmanuel Macron à la dissolution " (10/06/2024).
Au sujet de la dissolution, voir l'article des décodeurs du Monde : Tout comprendre à la dissolution de l’Assemblée nationale : conditions, précédents, conséquences…
Une recomposition des forces politiques :
N'est pas Nostradamus qui veut, et bien malin sera celui qui pourra prédire le résultat des élections législatives fin juin et début juillet. Mais des premières analyses à chaud de ce séisme politique nous parviennent au compte goutte. Certains voient dans la stratégie du président une manière de redevenir "maître des horloges" en imposant son propre tempo politique et ainsi couper l'herbe sous le pied au RN après une victoire éclatante dimanche. Il s'agit de challenger le RN dans sa réelle capacité à prendre le pouvoir et profiter des divisions à gauche pour asseoir son autorité. D'autres saluent un geste démocratique, notamment dans le camp du président : "Les causes et les motivations du président de la République (...) il faut lui poser la question, elles lui appartiennent. À la fin de la fin, redonner la parole aux Français, ce n'est jamais une mauvaise idée" a ajouté Édouard Philippe, ancien premier ministre et président d'Horizon sur RTL (cité dans cet article Europe 1). Mais surtout beaucoup s'inquiètent du boulevard laissé à l'extrême droite qui pourrait surfer sur sa bonne dynamique pour conquérir aux législatives une majorité bien plus forte qu'aujourd'hui (88 députés) et potentiellement accéder au pouvoir.
Attention toutefois les règles du nouveau scrutin à venir ne se jouent pas sur les mêmes modalités que les européennes qui fonctionnent sur un mode de scrutin proportionnel à un tour. C'est un scrutin majoritaire, souvent en deux tours, où des jeux d'alliances pourraient empêcher les candidats RN d'accéder à la députation. D'autres paramètres sont aussi à prendre en compte selon l'historien Jean Garrigue dans sa tribune au Monde :
Faut-il considérer un raz de marée du RN comme inéluctable ? Ce serait oublier les spécificités des élections législatives, organisées selon un mode de scrutin majoritaire de circonscription, et dont on sait qu’elles favorisent a priori les élus déjà en place, les partis notabilisés et, surtout, les candidats susceptibles de contracter des alliances de second tour.
Source : Dissolution de l’Assemblée nationale : « Ce quitte ou double est un pari osé et dangereux » - Jean Garrigues, Le Monde (11/06/2024).
Des ancrages territoriaux plus importants pourraient profiter aux candidats et aux partis les mieux implantés dans le paysage politique français. Mais ces considérations n'ont pas empêché les partis d'opposition, et en particulier la gauche, de repenser leur stratégie commune face à la menace Rassemblement national et l'aubaine inespérée que représente une accession expresse au pouvoir en moins de trois semaines. Nous assistons à une véritable recomposition de l'offre politique française :
Un appel à la création d'un Front Populaire à gauche : Alliés lors des élections législatives de 2022, l'union des gauches que constituait la NUPES s'est fissurée à l'épreuve de sa mandature. Les députes communistes, socialistes, insoumis et écologiques n'ont pas reconduit leur bannière commune lors des élections européennes, entre batailles d'égos et incapacités à s'entendre sur certains dossiers, notamment à l'international sur les questions de l'Ukraine et de la Palestine (voir - A la Nupes, de la réforme des retraites à l’Ukraine, un an de discorde Le Monde, juillet 2023). Mis au pied du mur face à la percée de l'extrême droite, les chefs de partis tentent depuis hier soir, sous l'impulsion du député de la Somme François Ruffin d’aligner leurs positions et de faire candidature commune dans les 577 circonscriptions de France et d'Outre mer. Un accord PS, Ecolos, PC et Insoumis aurait été signé. La place qu'occupera dans cette union le parti Place Publique de Raphael Glucksmann reste toutefois à déterminer (voir Élections législatives : la gauche vers l’union malgré les divisions, Le Monde, 11/06/2024 ).
A l'extrême droite nous assistons depuis hier au rapprochement stratégique du Rassemblent national et de Reconquête afin de peser au maximum sur les urnes fin juin. Ce lundi Jordan Bardella et Marine Le Pen se sont entretenus avec Marion Marechal au siège du RN pour négocier une alliance. Celle qui avait quitté le parti familial en 2017 et avait rejoint Eric Zemmour dans sa campagne présidentielle 2022, pourrait porter un coup à la stature du président de Reconquête en s'affirmant dans les négociations comme la cheffe de file d'un potentiel parti de gouvernement, au détriment du couple Zemmour/Knafo. Bien que les tractations soient encore en cours sur les modalités d'une telle alliance, aucune "ligne rouge" ne saurait entraver leur union (voir - Élections législatives 2024 : Marion Maréchal et Marine Le Pen mettent en scène leur rapprochement, Le Monde, 11/06/2024). Update : Le RN s'oppose finalement à un accord avec Reconquête refusant toute alliance avec Eric Zemmour. C'est ce que vient d'annoncer Marion Maréchal dans un communiqué sur X.
A droite, le président des Républicains, Eric Ciotti, vient d'exprimer son souhait de faire alliance avec le Rassemblement National. Il fait depuis face à une levée de bouclier au sein de son propre parti ; les cadors des Républicains dénonçant même une "trahison". Ils prennent depuis quelques heures tour à tour la parole pour demander la démission de leur président et précisent que les engagements du niçois n'engagent que sa personne. (Voir le live en direct du Monde, LR au bord de l'implosion). Les sénateurs LR ont quant à eux rejeté unanimement la proposition d'E. Ciotti.
Dans la majorité présidentielle enfin, c'est la course aux compromis et aux alliances de circonstance pour tenter d'élargir au maximum le camp présidentiel au delà de ses traditionnelles frontières Renaissance, Horizon, Modem et enfin obtenir la majorité solide qui lui fait tant défaut depuis 2022. Le ministre de l'économie Bruno Le Maire vient de tendre la main aux députés LR qui ne voudraient pas jouer le jeu de la "collaboration", mais il en faudra davantage pour ne pas se retrouver dans le scénario catastrophe de la cohabitation ou pire, affronter une assemblée complètement fracturée sans majorité nette.
Enfin, si ce dernier scénario sans majorité venait à se confirmer, certains voient dans le chemin emprunté par le chef de l’État une tentative d'échapper à la loi de la Constitution qui impose que nul "ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs" (article 6 de la Constitution). Se posant la question en ces termes : Mais qu'en est-il si les deux mandats ne sont pas consécutifs ? Les experts en droit public s'écharpent depuis quelques jours sur le sujet et notamment en raison d'une décision du Conseil d’État rendue en octobre 2022 qui a permis au président de Polynésie française de briguer un troisième mandat puisque les deux premiers n'avaient pas été effectués au complet. Mais un tel scénario serait impossible selon les constitutionnalistes, qui ne voient pas comment Macron pourrait se représenter sans tordre l'esprit de la Constitution (voir cet article de TF1 Info -Dissolution : en cas de démission après les législatives, Emmanuel Macron pourrait-il se présenter en 2027 ?, 10/11/2024). Voir aussi à ce sujet la réponse du Guichet du Savoir : Le Président a-t'il le droit de se représenter une troisième fois ?
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Bonne journée,