Refuser d'acheter certains produits tropicaux relève t-il d'un boycott éthique ou punitif ?
Question d'origine :
Bonjour
sauriez vous m'aider à comprendre ce qui motive le refus d'acheter des produits tropicaux ou provenant des anciennes colonies. Et si l'on peut déterminer sérieusement si c'est une bonne idée d'arrêter de consommer du café de la vanille ou du chocolat pour aider les populations des zones géographiques qui en produisent (à gagner en autonomie par exemple) ? Doit on appeler cela un boycott alors qu'il semble que les motivations soient très différentes de celles que je connais pour les boycott "punitifs".
merci en particulier de vos conseils de lecture.
bien cordialement
Réponse du Guichet

L'impact d'un boycott des consommateurs des produits tropicaux (café, vanille, caco etc.) est difficile à évaluer. Certains observateurs estiment que l'interdiction d'un produit n'entrainerait que le redoublement d'ingéniosité des exploitants pour écouler leurs produits différemment. Pourtant, l’impact socio-économique et écologique des importations agricoles françaises de ces produits est extrêmement préoccupant selon les conclusions d'un rapport publié ces derniers jours. Les ONG commandataires appellent à renforcer la régulation européenne et à rejeter l’accord UE-Mercosur. Elles jugent les changements de consommation individuels insuffisants si ceux-ci ne s'accompagnent pas de transformations structurelles dans ces filières et des politiques publiques françaises et européennes.
Bonjour,
Votre question tombe à pic, une étude réalisée par le BASIC (coopérative spécialisée dans d’analyse des impacts des modes de production et de consommation sur la société et l’environnement, en particulier dans l’alimentation et l’agriculture), et commanditée par Green Peace, Max Havelaar France et l’Institut Veblen vient d'être publiée ce 16 avril 2025. Celle-ci s'intéresse à l'impact massif des importations agricoles à destination de la France, et en particulier aux conséquences de la culture et de la consommation de ce que vous nommez les "produits tropicaux" : Comme un arrière goût. Sucre de canne, cacao, café… La face cachée de nos aliments importés (l'intégralité de l'étude est téléchargeable sur ce lien). Elle passe au crible 13 grandes filières d'importation (cacao, soja, huile de palme, vanille, sucre de canne, riz, café, jus d'orange, avocat, tomate, noix de cajou, thé et banane) en épluchant pour chacune différents indicateurs socioéconomiques et écologiques : leur consommation de CO₂, leur impact sur la déforestation, le travail des enfants ou encore le niveau de vie des producteurs.
Les résultats de cette enquête ont été relayés ce jour par d'importants journaux en France. Voici l'article du Monde : Les aliments importés en France, comme le café, le cacao ou la vanille, ont de lourdes conséquences sociales et environnementales dans les pays producteurs et celui de France Info : Cacao, café, sucre, vanille... Ces aliments importés en France à l'origine de la destruction de l'environnement et de l'exploitation des populations locales, selon une étude.
Voici certaines des conclusions de l'étude par filière et en fonction des impacts socioéconomiques et écologiques de celles-ci :
Parmi ces filières, six concentrent les violations des droits humains : travail des enfants, travail forcé, salaires indécents. Il s'agit du cacao, de la vanille, du riz, de l'huile de palme, du sucre de canne et du café. Dans six filières, les travailleurs perçoivent moins de 60% d'un revenu vital. Il s'agit de la vanille, de l'huile de palme, du sucre de canne, du jus d'orange, du riz et du cacao. Enfin, deux filières concentrent des impacts majeurs sur l'environnement : le cacao et le soja qui ont un impact important sur le climat, d'importants taux de déforestation et de pollution des eaux.
(...)
Les trois filières agricoles importées les plus émettrices de gaz à effet de serre sont le cacao, le soja et le café. Ces cultures sont majoritairement produites en Afrique de l'Ouest, en Amérique latine et en Asie. En ce qui concerne la pollution de l'eau et les eaux grises (quantité d'eau nécessaire pour diluer les polluants jusqu'à des concentrations acceptables), on retrouve le cacao, le soja et le café.
(...)
Trois filières se distinguent particulièrement par la présence systémique du travail des enfants ou forcé : le cacao (on estime à 1,5 million le nombre d'enfants travaillant dans des conditions dangereuses en Afrique de l'Ouest), le sucre de canne et le café. Pour le travail forcé c'est la vanille, l'huile de palme et le sucre de canne qui sont particulièrement concernés.
Source : Cacao, café, sucre, vanille... Ces aliments importés en France à l'origine de la destruction de l'environnement et de l'exploitation des populations locales, selon une étude - France Info (avril 2025).
Au niveau macroéconomique et politique, les partenaires de l'enquête appellent à remédier à cette situation en faisant notamment réellement appliquer les règlements européens issus du Pacte Vert, et dont certains doivent prochainement être réévalués. Ils s'inquiètent aussi de l'imminente ratification du traité de libre échange avec le Mercosur et des asymétries des normes de production entre l'Europe et l'Amérique du sud.
A échelle micro, le rapport encourage les consommateurs à se responsabiliser et à se détacher des produits nocifs en privilégiant des filières vertueuses pour l'environnement en se fiant aux labels et cahiers des charges garantissant un moindre impact.
Les trois organisations appellent les décideurs à :
→ Appliquer rigoureusement les textes européens RDUE, CS3D et Règlement Travail Forcé, sans délai et les détricoter ;
→ Rejeter l’accord UE-Mercosur, incompatible avec les objectifs européens en matière de justice sociale et climatique ;
→ Soutenir activement la certification écologique, sociale et équitable des importations françaises dans les denrées sensibles.
Source : Comme un arrière-goût : sucre de canne, cacao, café... la face cachée de nos aliments importés...
L'ONG Foodwatch est beaucoup plus critique quant à la surresponsabilisation des consomateurs et doute que leurs choix puissent changer la donne. De telles injonctions permettraient selon eux de déresponsabiliser les industriels et producteurs nocifs :
Cette situation est d’autant plus violente et hypocrite que la responsabilité individuelle des fameux « consom’acteurs et consomm’actrices » est souvent invoquée comme solution. Il suffirait d’acheter « mieux » pour changer la donne. La réalité est pourtant tout autre, car pour acheter “mieux”, encore faut-il avoir le choix et accès à l’ensemble des informations.
Finalement, cet argument sert surtout à déresponsabiliser les industriels de changer leurs pratiques au global et les pouvoirs publics de mettre en œuvre des politiques ambitieuses et contraignantes qui favoriseraient un modèle agroalimentaire plus durable.
S’il est nécessaire de soutenir le plus possibles les paysannes et paysans qui développent des modèles respectueux, il est tout aussi essentiel de dénoncer les agissements de l’agrochimie (Monsanto, Bayer & co), de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution et de se mobiliser ensemble pour les obliger à changer. C’est seulement de cette façon que tout le monde pourra enfin avoir enfin accès à une alimentation saine, choisie abordable et bien sûr, durable.
Source : Environnement et alimentation - Foodwatch.
Par ailleurs, une baisse de la demande européenne pour ce type de filière nocive ou une interdiction totale de leur mise sur le marché en Europe ne garantirait pas la fin des pratiques non durables pour la planète ou l'arrêt des violations des droits humains. Ce rapport de la FAO (Food and Organization des Nations Unies) sur les bois tropicaux explique en quoi leur interdiction pourrait même avoir des effets contraires à ceux recherchés, les producteurs pouvant par exemple se tourner vers d’autres marchés ou intensifier la production pour compenser la perte de revenus, perpétuant ainsi les problèmes sociaux et environnementaux...
Bonne journée,