Recontacté ce lundi par CheckNews, Jean-Jacques Urvoas semble avoir quelque peu changé d’avis quant à la plausibilité du scénario qu’il avait évoqué : «J’avoue avoir été convaincu par les arguments de mes éminents collègues.»
Le Président a-t-il le droit de se représenter une troisième fois ?
Question d'origine :
Cher guichet,
Je me pose une question de droit constitutionnel :en France, le président de la république, s'il ne termine pas son deuxième mandat (démission avant terme) a t-il le droit de se représenter une troisième fois pour un quinquennat ?
Bien à vous.
Réponse du Guichet

Selon un très large consensus parmi les spécialistes du droit français, il paraît peu concevable qu'un président de la République puisse se représenter après une démission au cours d'un second mandat, malgré l'intérim de président du Sénat.
Bonjour,
Nous ne sommes pas spécialistes du droit français, mais selon le site du Ministère de l'intérieur consacré aux élections, " Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le mandat présidentiel est renouvelable une seule fois de façon consécutive."
C'est bien ce que dit le texte de la révision en question :
Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par une loi organique.
Ce qui implique qu'Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter à l'échéance de son mandat en cours, mais que rien ne l'empêcherait de le faire après 2032, puisqu'il s'agit de mandats consécutifs.
Cependant, dès les élections de 2022, une question avait enflammé le web français : parle-t-on de mandats complets ? En d'autres termes, le président pourrait-il se présenter à des élections anticipées s'il démissionnait ?
A l'époque, de nombreux sites d'information et de fact checking s'étaient penchés sur le sujet. Car cette question avait été soulevée par un précédent, que rappelle Radio France : le président de la Polynésie française, Edouard Fritch, avait pu se représenter car, "arrivé au pouvoir en septembre 2014 à la faveur de la démission de Gaston Flosse", il n'avait pas effectué deux mandats complets - et l'article de trancher pour une jurisprudence qui pourrait s'appliquer au président de la République.
Mais FranceTVinfo apportait deux nuances de taille, citant d'abord l'éhypothèse d'un ex-ministre :
Dans les colonnes de L'Opinion (article pour les abonnés), fin novembre, l'ex-ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a tenté de transposer cette situation à la situation d'Emmanuel Macron. "Imaginons que le président de la République dissolve l'Assemblée avant la fin de son mandat, perde les élections législatives et démissionne. Le président du Sénat assurerait alors l'intérim et une nouvelle élection serait organisée. Emmanuel Macron n'ayant pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait donc être candidat", estime l'ancien garde des Sceaux de François Hollande. Cette analyse est cependant battue en brèche par plusieurs spécialistes contactés par franceinfo.
Ce à quoi le constitutionnaliste Dominique Rousseau répondait sans ambage que la situation polynésienne n'était "pas transposable" à la République française : d'abord parce que la loi polynésienne évoque bien deux mandats de cinq ans contrairement à notre constitution - ensuite parce que lorsque le président démissionne, c'est le président du Sénat qui assure l'intérim jusqu'aux élections suivantes. Mais un intérim n'est pas un mandat :
Actuel président du Sénat, "Gérard Larcher n'aura pas été élu pour être président de la République. Cet intérim est un mécanisme prévu par la Constitution pour éviter une vacance du pouvoir", prolonge Jennifer Halter, avocate et autrice du Petit Livre de la Constitution française (éditions First). Pour Didier Maus, une telle stratégie constituerait même une "fraude manifeste, une sorte d'entourloupe".
Si une démission d'Emmanuel Macron se produisait et que l'actuel chef de l'Etat souhaitait se représenter, "les Sages [le Conseil constitutionnel] ne seraient pas censés valider sa candidature", estime Jennifer Halter. "Ce n'est pas inintéressant d'imaginer cette hypothèse : le Conseil constitutionnel, autorité juridique chargée de juger en pur droit, pourrait-il s'en tenir à une lecture strictement juridique de la situation, dans l'hypothèse où Emmanuel Macron serait plébiscité d'un point de vue politique ?", interroge de son côté Bertrand-Léo Combrade, maître de conférences en droit public.
De fait, selon un article du service CheckNews de Libération, "la spéculation, qui a fait son bonhomme de chemin, est considérée comme peu sérieuse par quasiment la totalité des spécialistes du droit qui ont pris la parole dans les médias" et si Emmanuel Macron tentait de forcer un troisième mandat de cette façon, "ce serait clairement un détournement de l’esprit de la loi".
Bien qu'à notre connaissance, le Conseil constitutionnel ne se soit pas prononcé sur la question, un consensus encore plus large semble se réunir aujourd'hui que ce débat renaît suite à la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024 - nous vous renvoyons par exemple à ces articles du Figaro et de CheckNews, ce dernier signalant même que
Bonne journée.