Question d'origine :
Quelle est la monnaie la plus chère au monde ?
Réponse du Guichet
Pour l’heure le dollar reste la monnaie de référence ... mais pour combien de temps ?
Bonjour,
Le dollar s’est établi comme la monnaie des transactions et joue encore ce rôle .. mais pour combien de temps. En effet, divers articles montrent que cette domination fiduciaire est remise en cause, les Brics évoquant la création d'une nouvelle monnaie.
Le 17 mai 2024, le journaliste Richard Hiault rédige dans Les Echos un article sur "L'hégémonie du dollar américain est à peine entamé " dans lequel il évoque la suprématie de cette monnaie :
Les tensions géopolitiques mondiales ont légèrement diminué le poids du billet vert dans les échanges commerciaux et la gestion des réserves de change. Le yuan monte en puissance.
La dé-dollarisation de l'économie mondiale relève encore d'une chimère. C'est ce qu'a affirmé la numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), Gita Gopinath lors d'un colloque organisé le 7 mai par l'institut de recherche en politique économique de l'université de Stanford (Stanford Institute for Economic Policy Research).
« Il n'y a pas encore de signes clairs de démondialisation au niveau global. Malgré l'augmentation des risques géopolitiques, les dernières données montrent que le dollar américain reste dominant », observe-t-elle.
Selon les statistiques de Swift,le réseau de messagerie standardisée de transferts interbancaires transfrontières, le billet vert totalise plus de 80 % du financement du commerce mondial. Un constat sans doute attribuable au fait qu'une grande partie du commerce des matières premières continue d'être facturée et réglée en dollars, explique Gita Gopinath.
Montée en puissance de CIPS, le concurrent de Swift
Les tensions géopolitiques commencent toutefois à se faire sentir. Pour les pays gravitant dans la sphère d'influence chinoise, la part du dollar dans les paiements commerciaux a diminué depuis début 2022. Dans le même temps, le poids du renminbi (yuan) a plus que doublé, passant d'environ 4 % à 8 %.
« Pour la Chine, la part du renminbi dans toutes les transactions transfrontalières des entreprises chinoises non bancaires avec des sociétés étrangères était proche de zéro il y a 15 ans. Elle a augmenté pour atteindre environ 50 % à la fin 2023. Parallèlement, la part du dollar a régressé pour passer d'environ 80 % en 2010 à 50 % en 2023 », observe l'ex-cheffe économiste de l'institution multilatérale.
A ses yeux, l'utilisation croissante de la monnaie chinoise est probablement liée à la montée en puissance du système CIPS, un réseau concurrent de Swift lancé par la Banque populaire de Chine pour offrir des services de compensation et de règlement des transactions transfrontalières. La fragmentation géopolitique mondiale se répercute également dans les politiquesde réserves de change. L'évolution la plus notable au cours des années 2022 et 2023 est une augmentation des achats d'or par les banques centrales. Actif sûr et politiquement neutre, le métal jaune retrouve des couleurs. La part de l'or dans les réserves de change du bloc chinois est en hausse depuis 2015.
Cette tendance « n'est pas exclusivement motivée par la Chine et la Russie », observe Gita Gopinath. Pour elle, ces achats pourraient avoir été motivés par la crainte de certains pays de se voir imposer des sanctions éventuelles, par les États-Unis principalement. En Chine, par exemple, la part de l'or dans les réserves totales de change est passée de moins de 2 % en 2015 à 4,3 % en 2023. Au cours de la même période, la valeur des avoirs chinois en obligations émises par le Trésor et des agences fédérales américaines par rapport aux réserves de change totales a diminué. Elle est passée de 44 % à environ 30 %.Les dangers d'une fragmentation accrue
Pour l'heure, les dégâts de la fragmentation géopolitique internationale restent limités. Qu'en serait-il en cas d'une fracture bien plus importante, s'interroge la numéro deux du Fonds ? Le commerce risque de reculer : selon les hypothèses du FMI, le PIB mondial pourrait être amputé de 0,2 à… 7 % à long terme.
En particulier, la fragmentation du commerce des minéraux essentiels à la transition verte, comme le cuivre, le nickel, le cobalt et le lithium, rendrait la transition énergétique bien plus coûteuse. Ces minéraux étant géographiquement concentrés et difficiles à remplacer, la perturbation de leur commerce entraînerait de fortes fluctuations de leurs prix. Une telle évolution pourrait conduire jusqu'à la suppression des investissements dans les énergies renouvelables et la production de véhicules électriques, redoute Gita Gopinath.
La fragmentation financière, quant à elle, aboutirait sans doute à une réduction des investissements directs étrangers. Un système international ou coexisterait plusieurs monnaies de réserve présenterait certes l'avantage d'offrir un choix plus large d'actifs financiers pour la gestion des réserves des banques centrales. « Mais la stabilité d'un tel système serait menacée sans une forte coordination politique entre tous les pays émetteurs de monnaie de réserve […]. Cela ne serait pas possible si le monde était divisé selon des lignes géopolitiques », avertit Gita Gopinath.
Néanmoins, cette hégémonie semble de plus en plus remise en cause.
Ainsi dans National Geographic en date du 2 mai 2024, Morgane Joulin établit un constat : "Une nouvelle monnaie pourrait-elle détrôner le dollar ?"
Aujourd’hui, le dollar est la monnaie la plus utilisée et la plus puissante au monde. Elle constitue une unité de compte, c’est-à-dire qu’elle permet de fixer le prix de chaque bien. Elle est aussi la monnaie dans laquelle se font la plupart des opérations financières et une grande partie du commerce.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis jouissent de ce que Valérie Giscard d’Estaing qualifiait en 1964 de « privilège exorbitant ». Il s’agit du caractère propre aux États-Unis en termes fiduciaires, qui fait qu’il ne peut subir de crise de balance des paiements, puisque le pays paye ses importations avec sa propre monnaie. « Les États-Unis peuvent se permettre de vivre au-dessus de leurs moyens, parce qu’ils n'ont pas besoin de justifier la valeur du dollar par leur contexte économique national. Le dollar, étant donné que c’est la monnaie internationale, se justifie par la dynamique internationale », résume Carl Grekou, économiste au Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII).(…)
Cette domination fiduciaire n’est pas exempte de critiques, et une partie des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a souvent évoqué l’idée de la création d’une nouvelle monnaie de réserve. « Sous cette volonté de se soustraire au dollar, il y a une volonté de réduire l'influence politique américaine », indique l’économiste. Car de fait, l’utilisation du dollar comme monnaie internationale « oblige tous les pays tiers qui veulent faire des transactions entre eux à passer par le dollar, et donc mécaniquement, compte tenu de l'extraterritorialité du droit américain, les États-Unis ont un droit de regard. »
Ainsi, cette dynamique de « dédollarisation » a récemment été accélérée par la Russie. En avril 2023, Alexandre Babakov, alors vice-président de la Douma, avait annoncé la création d’une nouvelle monnaie, qui fut débattue lors du sommet des BRICS à Durban. Victime de sanctions occidentales depuis l'invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, « la Russie a 300 milliards d'avoirs gelés. » Aux yeux des pays des BRICS, voire du monde, « si les pays occidentaux peuvent se permettre d'infliger de telles sanctions financières à la Russie et de confisquer ces 300 milliards de réserve, alors ces économies-là peuvent se permettre de le faire pour tous les autres pays. » La crise en Ukraine a donc catalysé cette volonté de dédollariser.
Les BRICS ne sont d’ailleurs pas le seul groupe à vouloir se détacher de cette influence américaine sous-jacente. « Même à l'intérieur des pays européens, c'est un mouvement qui fait envie », relate l’économiste, avant de préciser que ces derniers acceptent cette hégémonie car « l'un dans l'autre, ils en bénéficient. » Le vieux continent étant l’un des partenaires commerciaux principaux des États-Unis, explique qu’il « profite également de ce privilège exorbitant. »
Les États-Unis eux-mêmes ont d’ailleurs conscience
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La monnaie des BRICS, si elle est aujourd’hui un projet réaliste, doit tout de même remplir toutes les fonctions académiques de la monnaie (réserve de valeur, unité de compte et moyen d’échange), pour pouvoir espérer concurrencer le dollar. Aujourd’hui, le projet est limité par la fonction de réserve de valeur, c’est-à-dire le stockage de la valeur dans le temps sans risquer que celle-ci ne soit détruite. « Une fois cette équation résolue, il n’y aura aucune limite pour cette nouvelle monnaie. »
Autrefois indexé sur l’or, le dollar tient désormais sa fonction de réserve de valeur grâce au fait qu’un très grand nombre de personnes aient investi dedans. Pour les BRICS, « cela pourrait être autre chose » que l’or, par exemple « un certain pouvoir d’achat en termes de matières premières. »
Matthieu Stricot avait déjà dans Le Journal Cnrs de février 2024 formulé cette hypothèse : Une nouvelle monnaie pour détrôner le dollar ?
La puissance du dollar serait-elle en déclin ? Alors que les pays des Brics avancent ouvertement l’idée de créer une monnaie commune, le réseau mondial serait-il prêt à adopter une nouvelle devise internationale ? C’est ce qu’ont étudié des physiciens en analysant la structure mathématique des échanges commerciaux.
(…)
Un nombre croissant de transactions sont aujourd’hui effectuées dans d’autres devises que le dollar comme le yuan, la monnaie émise par la Chine. Cela s'explique par la croissance de l'économie chinoise et les crises géopolitiques actuelles (conséquence de la guerre en Ukraine, le boycott de la Russie et l'abandon des paiements de l'énergie russe en euros ont entraîné un déclin de la monnaie commune européenne au rang des monnaies internationales, au profit du yuan). La Chine a d’ores et déjà convenu d’effectuer des transactions financières et commerciales directement en réaux brésiliens ou en yuans, s’affranchissant de facto d’une conversion en dollars.
Conscients d'un tournant et toujours à l’affût d’une émancipation vis-à-vis du dollar, les pays réunis sous l’acronyme Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) envisagent même de créer leur propre monnaie. Mais quelle forme cette devise pourrait-elle prendre ?
(..)
Une émergence favorisée ?
Pour Carl Grekou, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et chercheur associé au laboratoire EconomiX1, deux scénarios sont possibles : « un premier qui verrait un taux change fixe entre les différentes autorités monétaires de ces pays. Et un second, plus probable, qui verrait à moyen terme ces économies définir une parité centrale et des taux de conversion des monnaies de chaque pays par rapport à cette monnaie Brics. C’est un système plus flexible car il permet aux différentes monnaies de s’ajuster — de façon plutôt douce, contrairement à des dévaluations — au besoin. La parité centrale jouerait donc ici le rôle de cours virtuel de la monnaie Brics, cours vis-à-vis duquel chaque monnaie aurait un taux de change ; on retrouve là le même système que l’ECU (European Currency Unit, Ndlr), ancêtre de l’euro ».
Enfin, il importe de souligner un autre type de monnaie : la monnaie numérique dont le bitcoin qui selon statista représente le classement des monnaies virtuelles les plus chères dans le monde au 26 mars 2024, en dollars des États-Unis.
Pour approfondir le sujet, nous vous laissons parcourir : La course à la suprématie monétaire mondiale : à l'épreuve de la rivalité sino-américaine / Michel Aglietta, Guo Bai, Camille Macaire préface de Luiz Awazu Pereira da Silva, 2022 : "L'ascension de la Chine comme deuxième puissance économique et premier créancier du monde remet en cause le système monétaire international fondé sur l'hégémonie du dollar. Les auteurs étudient les bouleversements qui résultent de cette nouvelle donne monétaire sur l'économie mondiale, la rivalité géopolitique qui en découle ainsi que ses conséquences écologiques".
Bonne journée,