Question d'origine :
qu'est ce que la route de la soie ?
Réponse du Guichet

La route de la soie est le nom donné en occident à partir du XIXè siècle à un réseau de routes commerciales qui relièrent l'Europe à l'Asie durant une grande partie de l'Antiquité et du Moyen Âge. C'est également le nom donné à un projet de développement de routes maritimes et ferroviaires annoncé en 2013 par le gouvernement chinois.
Bonjour,
Selon l'encyclopédie Universalis, accessible aux abonné-es de la BmL via notre portail numérique, la Route de la soie désigne un ensemble de routes commerciales qui prospérèrent entre l'Europe et l'Asie pendant des siècles. Cette histoire, qui s'étend du IIIè siècle avant au XVè siècle après l'ère chrétienne, n'est toutefois pas du tout continue, et le concept même de route de la soie n'apparaît pas avant le XIXè siècle, sous la plume du géographe Ferdinand von Richthofen(1833-1905).
Son histoire s'appuie sur des réseaux d'échanges commerciaux présents dès la plus haute antiquité "au Moyen-Orient, en Mésopotamie et en Perse", "contrées au relief peu accidenté, [où] la formation de puissants royaumes (sumérien, babylonien, achéménide) favorisa l’apparition précoce de marchands itinérants qui établirent les premières voies commerciales à longue distance". Les conquêtes d'Alexandre le Grand laissèrent ensuite de nombreuses cités en Asie mineure, qui favoriseront la structuration de ces échanges en servant d'étapes. Mais c'est sous la dynastie chinoise des Han, entre - 206 et + 220, que son histoire démarre véritablement :
Le commerce de la soie était alors interdit hors de Chine et les contrevenants risquaient la peine de mort. Mais, malgré la Grande Muraille, les « barbares du Nord » harcelaient les frontières de l’Empire. La menace était telle que l’empereur Wudi (140-87 av. J.-C.) envoya Zhang Qian en mission vers l’ouest pour conclure une alliance avec les Yuezhi. Il ne revint que treize ans plus tard. S’il avait échoué à s’allier les Yuezhi, il rapportait de nombreux renseignements sur des peuples (Parthes, Sogdiens, Bactriens), des produits et des itinéraires jusqu’alors inconnus. Surtout, il avait découvert l’existence d’une race de chevaux dits « célestes », dans la plaine de Fergana, qui pouvaient servir les desseins militaires des Chinois. C’est pour les obtenir que l’empereur envoya, sous bonne escorte, des caravanes chargées de soie. Zhang Qian est ainsi considéré comme le « père fondateur de la Route de la soie ».
Les Parthes, rencontrés par Zhang Qian, devinrent les intermédiaires entre la Chine et Rome. L’Empire romain découvrit peut-être la soie lors de la défaite de sept légions contre l’armée parthe dont les étendards flamboyants avaient marqué la mémoire des vaincus. La soie connut un tel succès à Rome que le Sénat adopta des lois somptuaires contre l’usage de cette étoffe qui laissait les femmes nues et vidait les caisses de la République. En effet, le trajet était si long, les intermédiaires si nombreux que, arrivée à Rome, la soie valait son poids en or. Les Romains ignoraient tout de l’origine de la soie et ils croyaient que c’était une sorte de laine produite par un arbre mystérieux qui poussait au pays des Sères (Sericus en latin, de soie).
A la chute des Han au IIIè siècle, le trafic ralentit avant de repartir de plus belle sous les Tang quatre siècles plus tard, mais pour peu de temps : divers événements politiques et climatiques - conquête musulmane, assèchement d'oasis... - eurent raison de cette première phase. C'est au XIIIè siècle que la Route connut son second âge d'or :
La Route de la soie connut un second âge d’or sous l’Empire mongol, au XIIIe siècle. La pax mongolica (la paix mongole) encouragea les marchands à l’emprunter à nouveau. Elle s’étendait alors sur plus de 7 000 kilomètres, de Chang’an à Byzance ou Antioche, et le trajet durait près de neuf mois. La chute de l’Empire mongol précipita son déclin.
Les successeurs des Mongols, la dynastie des Mings, fermèrent en effet la Chine au commerce mondial. La fin de la Route de la soie eut diverses conséquences, la non moindre étant la recherche par les Européens d'une route maritime permettant de rejoindre les Indes vers l'ouest... qui déboucha sur la découverte de l'Amérique.
Si une grande partie de ce commerce était centré sur la soie, dont le processus de fabrication fut longtemps inconnu hors de Chine, elle "n’a jamais été la seule marchandise transitant par la Route :
Des produits d’une extrême variété y circulaient dans les deux sens. Les Chinois exportaient également des herbes médicinales, de la laque, des peaux et des fourrures, des carapaces de tortue, du jade sculpté, des épices (cannelle, muscade, gingembre) et une grande variété de produits de luxe. S’ils importaient principalement des chevaux, ils faisaient également parvenir en Chine des produits en verre de Rome, de l’or et de l’argent, des textiles en lin et en laine, de l’ambre, des lapis-lazulis du Badakhshan, des épées damascènes en acier et du vin.
De nombreuses espèces de fruits, de légumes et même de fleurs sont également venues de Chine, en s’acclimatant d’abord en Inde et en Perse : camélias, roses, cassis, chrysanthèmes, mûrier, pivoines, rhubarbe, poires et pêches, tandis que le concombre, les carottes, la luzerne, le raisin et les noix se diffusaient vers l’Asie.
La Chine connaissait alors, dans bien des domaines, une nette avance technologique sur l’Europe. Les principales techniques diffusées à l’époque de la Route de la soie l’ont été dans le sens Orient-Occident, et cela bien plus lentement que ne circulaient les produits. Ainsi, l’étrier, inventé en Asie centrale, n’atteignit l’Europe qu’au VIIe siècle, plusieurs siècles après son invention. La technique de fabrication du papier, mise au point en Chine dès le début du IIe siècle, n’arriva en Europe qu’à partir du XIIe siècle. L’imprimerie, inventée bien avant Gutenberg, suivit le même chemin.
L'influence de la Route sur la diffusion des idées, philosophies et religions fut également considérable : c'est notamment par elle que le bouddhisme se répandit d'est en ouest ou l'islam d'ouest en est... elle révolutionna également les pratiques du voyage et du commerce, comme nous l'explique l'article de l'Unesco, À propos des Routes de la Soie :
Le processus de voyage sur les Routes de la Soie s'est développé en même temps que les routes elles-mêmes. Au Moyen Âge, les caravanes composées de chevaux ou de chameaux étaient le moyen standard de transport des marchandises à travers les terres. Les caravansérails, de grandes maisons d'hôtes ou auberges conçues pour accueillir les marchands itinérants, ont joué un rôle essentiel pour faciliter le passage des personnes et des marchandises le long de ces routes. Présents le long des Routes de la Soie, de la Turquie à la Chine, ils offraient aux marchands non seulement une chance de bien manger, de se reposer et de se préparer en toute sécurité pour la suite de leur voyage, mais aussi d'échanger des marchandises, de commercer avec les marchés locaux et d'acheter des produits locaux, de rencontrer d'autres marchands voyageurs et, ce faisant, d'échanger des cultures, des langues et des idées.
À mesure que les routes commerciales se développaient et devenaient plus lucratives, les caravansérails devenaient de plus en plus indispensables. Leur construction s'est intensifiée dans toute l'Asie centrale à partir du Xe siècle et s'est poursuivie jusqu'au XIXe siècle. Il en résulta un réseau de caravansérails qui s'étendait de la Chine au sous-continent indien, au plateau iranien, au Caucase, à la Turquie, et jusqu'en Afrique du Nord, en Russie et en Europe de l'Est, dont beaucoup subsistent encore aujourd'hui.
Les caravansérails étaient idéalement placés à une journée de route les uns des autres, afin d'éviter aux marchands (et plus particulièrement à leurs précieuses cargaisons) de passer des jours ou des nuits exposés aux dangers de la route. En moyenne, on trouvait ainsi un caravansérail tous les 30 à 40 kilomètres dans les zones bien entretenues.
Les commerçants maritimes devaient relever différents défis au cours de leurs longs voyages. Le perfectionnement des techniques de navigation, et en particulier des connaissances en matière de construction navale, a accru la sécurité des voyages en mer tout au long du Moyen Âge. Les ports se sont développés sur les côtes le long de ces routes commerciales maritimes, offrant aux marchands des opportunités vitales non seulement pour commercer et débarquer, mais aussi pour s'approvisionner en eau fraîche, car l'une des plus grandes menaces pour les marins au Moyen Âge était le manque d'eau potable. Les pirates étaient un autre risque auquel étaient confrontés tous les navires marchands le long des Routes maritimes de la Soie, car leurs cargaisons lucratives en faisaient des cibles attrayantes.
Pour d'autres aspects, voici quelques articles accessibles et instructifs :
- Route de la soie - Wikipédia
- Les origines fascinantes de la route de la Soie - National Geographic
- Les routes de la soie en 14 dates clés - Géo
Pour une approche plus universitaire, voyez Pierre Schneider, « Les Routes de la soie dans l’Antiquité : une brève histoire des connexions Orient-Occident (4e siècle avant notre ère-6e siècle de notre ère) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le 01 février 2022, consulté le 17 juin 2024.
Cinq siècles après sa disparition, le président chinois Xi Jinping a annoncé en 2013 la résurrection de "Nouvelles routes de la soie", comme nous l'apprend GéoConfluences.ens-lyon.fr :
Les nouvelles routes de la soie sont un projet stratégique chinois initié en 2013 et visant à relier économiquement la Chine à l’Europe, en intégrant les espaces d’Asie Centrale par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires. Surnommé le « projet du siècle » par Xi Jinping, ce programme vise à créer une nouvelle génération de comptoirs transnationaux. Dans son versant maritime, ce réseau de routes commerciales inclut les espaces africains riverains de l’Océan indien.
[...]
Les objectifs économiques sont multiples pour la Chine : il s’agit d’accroître ses exportations, d'écouler sa production et de trouver de nouveaux marchés pour ses entreprises de bâtiments et de travaux publics. En effet, la Chine est en surcapacité industrielle. Or, l’Asie centrale est un marché en pleine expansion. Autre objectif économique, la création de ces routes répond également à un besoin de diversification et de sécurisation de ses approvisionnements énergétiques (Claverie, 2024). L'Asie centrale représente pour la Chine un intérêt majeur afin de se libérer de sa dépendance énergétique vis-à-vis des pays du Golfe et de la Russie. En solidifiant des accords de coopérations avec des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh ou la Birmanie, elle assure en même temps la sécurité de ses nouvelles routes d’approvisionnement.
Le projet revêt aussi une grande ambition en termes de puissance politique et diplomatique, et nous vous laissons lire inextenso l'article riche en cartes et en références.
Pour une synthèse lumineuse sur les anciennes et nouvelles Routes, nous vous proposons un numéro de l'émission d'Arte Le dessous des cartes :
Pour aller plus loin :
- L'Asie centrale, histoire, économie, permanences [Livre] : du monde perdu d'Alexandre aux nouvelles routes de la soie / Carlo Degli Abbati ; préface de Firouzeh Nahavandi
- Marco Polo et la route de la soie / [Livre] / Jean-Pierre Drège
- Histoire des marchands sogdiens [Livre] / par Etienne de La Vaissière
- Economie "circulaire" des routes de la soie, déroute des empires [Livre] / Jean-Claude Lévy, Louisette Rasoloniaina ; en collaboration amicale de Cyril Adoue, Jean-Luc Da Lozzo, Vincent Daon [et al.] ; préface de François-Michel Lambert
- Asie centrale [Livre] : transferts culturels le long de la Route de la soie / sous la direction de Michel Espagne, Svetlana Gorshenina, Frantz Grenet... [et al.]
- À la croisée des nouvelles routes de la soie [Livre] : Coopérations et frictions ; sous la direction de Frédéric Lasserre, Éric Mottet et Barthélémy Courmont
- Les nouvelles routes de la soie [Livre] : géopolitique d'un grand projet chinois / sous la direction de Frédéric Lasserre, Éric Mottet et Barthélémy Courmont
- La renaissance de la route de la soie [Livre] : l'incroyable défi chinois du XXIe siècle / Pierre Picquart
Bonne journée.