Est ce que les épouses des soldats mobilisés recevaient des allocations ?
Question d'origine :
Bonjour Cher Guichet,
Serait-il possible de savoir si les épouses des soldats mobilisés pendant les deux dernières guerres mondiales recevaient des allocations pour vivre de l'Etat pour leur permettre de subsister ainsi que leurs enfants le cas échéant ?
Réponse du Guichet
Lors des deux guerres les épouses ont effectivement bénéficié de pensions mais celles-ci, peu élevées, ne leur permettaient pas de vivre décemment.
Bonjour,
Durant les deux conflits les femmes ont bénéficié de pensions mais les sources s’accordent pour montrer que celles-ci étaient d’un faible montant et insuffisantes pour vivre correctement. Ainsi le site des archives du Calvados consacre une page aux femmes dans le première guerre mondiale évoquant les dispositifs :
•A cette époque, le Code civil déclare toujours les femmes incapables juridiquement et les maintient sous l’autorité de leur père puis de leur mari. Les valeurs traditionnelles sont réaffirmées et empêchent notamment la reconnaissance de leurs droits politiques : les femmes n’obtiennent pas le droit de vote et restent donc exclues de la citoyenneté.
•La loi du 5 août 1914 permet aux femmes des soldats de toucher 1,25 franc, augmenté de 0,5 franc par enfant de moins de 16 ans. Cette allocation ne compense cependant pas totalement la perte de revenu provoquée par le recrutement des hommes sur le front.
Les actes du colloque Les femmes pendant la guerre de 1914-1918 Ou l’émancipation en marche ? organisé par la Fondation Jean-Jaurès
indiquent également le versement aux femmes de mobilisés d'une faible allocation ne pouvant résoudre les difficultés économiques des chômeuses et des mères au foyer.
Par ailleurs, un site d’extrême gauche, l’anticapitaliste retranscrit une interview de l’historienne Françoise Thébaud qui souligne combien les conditions de vie des femmes étaient difficiles :
Les Françaises travaillaient déjà beaucoup avant-guerre. Est-ce que la guerre les met encore plus au travail ? J’insiste sur le fait que dans un premier temps, la guerre, qui devait être courte, désorganise l’économie. Les entreprises ferment, des femmes sont mises au chômage. Dans les premiers mois, voire plus, la guerre se caractérise non par un surtravail des femmes, mais par une mise au chômage, qui crée de grandes difficultés dans les milieux populaires. De nombreuses femmes perdent le salaire du mari mobilisé, et parfois le leur. L’État essaie bien de remplacer l’homme absent en donnant une allocation de femme de mobilisé, mais bien plus faible qu’un salaire masculin, ou même féminin, qui était déjà la moitié environ d’un salaire masculin. Le début de la guerre pour les femmes des milieux populaires est donc un moment très difficile.
Cette chercheuse dans l’ouvrage Les femmes au temps de la guerre de 14 évoque la distribution d’une pension :
La loi du 15 août prévoit de façon assez confuse l’attribution d’une allocation de femme de mobilisé aux seules nécessiteuses mais son application est large. Les sept mairies de Lyon établissent 1220 000 dossiers pour une ville qui comptait 523à 000 habitants en 1911 (.. ;) la procédure est longue et peut donner lieu à des injustices largement commentées ; les demandes transmises par les mairies après enquête sont examinées par toute une hiérarchie de commissions. Tous les dix jours ou chaque mois, les bénéficiaires retirent leur argent à la mairie. Sacrifice financier indéniable pour la Patrie, mais je ne peux suivre G. Perreux énumérant les plaisirs que peuvent s’offrir d’insouciantes épouses avec ce « don du ciel » ; l’allocation est faible : 1,25 franc par jour plus de 50 centimes par enfant à charge alors que le kilo de pain coûte 40 centimes, le kilo de viande au moins 1,50 francs, une paire de chaussures 20 francs …. Certes, elle est la bienvenue dans les familles pauvres ou les familles paysannes à court de numéraire (…) Mais pour la majorité des citadines, l’allocation ne peut remplacer la perte d’un ou deux salaires, à Paris surtout où un couple d’ouvriers pouvait gagner avant-guerre 12 à 13 francs, d’autant qu’elle n’est pas cumulable avec des secours de chômage. Revalorisée par la loi de finances de 1917 et portée à 1,50 plus 1 franc par enfant, elle ne suivra pas la hausse des prix mais, demande syndicale, elle sera maintenue à toute salariée moins de 5 francs. Seules les femmes de fonctionnaires ou d’employées de banque sont plus favorisées et reçoivent tout ou partie de la solde de leur mari ….
La mairie de Champagne Saint Hilaire dresse un historique des femmes dans la guerre de 14-18 et évoque les pensions des veuves :
Honneur aux femmes qui cherchent sur les champs de bataille la tombe de leurs maris… » Lors d’un discours prononcé après le 11 novembre 1918 en hommage aux héros de la guerre, le président de la République Raymond Poincaré n’a pas oublié les veuves. Elles sont 600 000. L’hommage présidentiel vise à consoler des femmes qui, en plus du malheur qui les accable, doivent multiplier les démarches pour faire reconnaître leur veuvage. L’annonce officielle de la mort du mari soldat n’intervient que plusieurs mois après. Il est vrai qu’il y a aussi beaucoup de tués non identifiables.
Les veuves se mettent en quête du corps de leur mari en se rendant dans les cimetières du front pour avoir accès aux fosses communes – mais cela n’est plus possible à partir de 1919 – ou en fouillant les champs de bataille. Pour avoir droit à la pension de veuve de guerre, la loi (votée en 1916) précise que le mari doit être tombé au front. Impossible, donc, de se prévaloir d’une disparition. Les cas de concubins ou fiancés ne sont pas non plus pris en compte.
La pension des veuves est de 800 francs par an, avec 500 francs supplémentaires par enfant mineur. Après la guerre, alors qu’il est demandé aux femmes de laisser les emplois aux hommes revenus du front, cette somme est jugée insuffisante par les concernées. Les associations de veuves protestent contre « une absence de véritable statut » dans la loi, qui leur retire la pension en cas de remariage. En 2007, l’historienne Stéphanie Petit a établi que 42 % des veuves de 14-18 se sont ensuite remariées (1).
Sur les conditions de vie des femmes durant la première guerre mondiale, nous vous suggérons d’approfondir le sujet en parcourant :
Le panorama dressé par l’INA sur le rôle des femmes paysannes pendant la première guerre mondial
Les femmes dans la Grande Guerre / Chantal Antier
Femmes dans la guerre : 1914-1945 : survivre au féminin devant et durant deux conflits mondiaux / Carol Mann
Pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, les allocations semblent également être peu élevées. L’ouvrage 1939-1945 : combats de femmes. Françaises et Allemandes, les oubliées de l'histoire, dirigé par Evelyne Morin-Rotureau, fait état des difficultés financières auxquelles font face les femmes des prisonniers de guerre :
Pour lutter contre le chômage, la loi du 11 octobre 1940 interdit aux femmes mariées fonctionnaires de travailler, sauf dérogation accordée à titre exceptionnel. Les femmes âgées de plus de cinquante ans sont mises à la retraite, ce qui entraîne un surcroît de difficultés matérielles pour celles qui n’ont pas accompli leur temps de service et qui ne touchent pas l’intégralité de leur retraite.
(…)
Une catégorie déterminée se heurte à de graves difficultés, celle des femmes des 1 300 000 prisonniers de guerre, dont 760 000 sont mariés et pères de famille. Les difficultés financières et les problèmes moraux sont quotidiens …
Revenant sur la question de la maternité, l’ouvrage aborde la question des allocations familiales
Nées à la fin du XIXe siècle d’initiatives patronales ; elles avaient été rendues obligatoires par la loi du 11 mars 1932 ; le Code de la famille en 1939 les aveint étendues (…) toutes les allocations étaient rattachées au salaire du travailleurs, c’est-à-dire presque toujours le mari. Les mères ne jouissaient donc que de « droits dérivés » ; la disparition du mari, qu’il meurt ou qu’il abandonne le foyer, privait la mère de toute ressource. En outre, il est apparu assez vite que les allocations ne procuraient à la mère au foyer ni congé payé, ni augmentation à l’ancienneté, ni pension de retraite … les allocations ont certainement aidé les ménages et stimulé la natalité (c’était leur but) ; mais elles contribuaient aussi à l’assujettissement des femmes …
Par ailleurs, le Centre d’Histoire et de la Déportation du Rhône mentionne :
Plus de la moitié des prisonniers partis en Allemagne sont mariés. Près de 800 000 femmes se trouvent ainsi seules dès l’été 1940, le plus souvent pour de très longues années.
Faute d’une vraie politique d’indemnisation de la part du gouvernement de Vichy, elles sont confrontées à de graves problèmes matériels. Seules les femmes de fonctionnaires continuent à percevoir la totalité du salaire de leur mari. Les allocations militaires versées aux épouses des soldats du rang s’avèrent en revanche dérisoires. Les aides de l’État sont longues à se mettre en place. L’allocation dite de délégation familiale ne sera instaurée qu’en juillet 1942. Au total, 80 % des femmes de prisonniers sont contraintes à travailler.
Geneviève Dermenjian Geneviève et Sarah Fishman Sarah dans la La guerre des captives » et les associations de femmes de prisonniers en France (1941-1945) (Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°49, janvier-mars 1996. pp. 98-109) rappellent que :
Une femme de prisonnier sans enfant reçoit environ 600 francs d’allocations militaires : 1700 francs représentent le salaire mensuel d’une dactylo et 1300 francs celui d’une vendeuse à l’Uniprix
Bonne journée,