L'avion du général De Gaulle a-t-il été saboté en 1943 ?
Question d'origine :
L'avion de De Gaulle a-t-il été saboté en 1943 ? cela reçoit beaucoup moins d'attention que le Petit Clamart. pourquoi ?
Réponse du Guichet
Oui il semble tout à fait probable que l'avion qui menait le général de Gaulle de Londres à Glasgow, le 21 avril 1943, ait été saboté afin de mettre en scène la mort accidentelle du chef de la Résistance française. Nous avons trouvé de nombreux extraits et témoignages reflétant la très mauvaise relation entretenue aussi bien par Churchill que le président américain Roosevelt avec le militaire. Partisans d'un gaullisme "sans de Gaulle", les suspicions de sabotage mènent aux forces alliées. Nous demandons confirmation et analyse de l'omission par la suite de l'événement à la Fondation Charles de Gaulle.
Bonjour,
"De quel côté êtes vous ? Avec le gaullisme sans de Gaulle !" (Roosevelt à Churchill).
Oui, il semblerait qu'une tentative d'élimination du général de Gaulle ait bien eu lieu lorsque ce dernier, en exil à Londres avec le Comité national français, s'est envolé pour Glasgow de l'aéroport d'Hendon le 21 avril 1943. Par qui et pourquoi en revanche, aucune certitude, mais surprise, la balance pencherait du côté des forces...alliées !
C'est en tout cas la thèse défendue par l'écrivain britannique controversé David Irving dans son ouvrage "La guerre entre les généraux" (Belfond, 1981), dont vous nous avez relayé un extrait très parlant cité sur ce blog militaire anglophone. Pour plus de confort, nous transcrivons une version plus longue du texte, traduit de notre édition francophone (p.125) :
Il est possible que quelques mois auparavant on ait cherché à l'éliminer physiquement. De Gaulle devait embarquer à bord d'un bombardier Wellington Mark IA, mis à sa disposition et entretenu par le gouvernement anglais, pour se rendre à Glasgow décorer des marins français. L'aéroport d'Hendon, au nord de Londres, est court, et des quais de gare ferroviaire se trouvent placés en bout de piste ; les pilotes ont donc l'habitude de bloquer les roues puis de lancer à fond les moteurs et d'essayer les commandes des ailerons avant le décollage.
Le 21 avril 1943, à 10 heures du matin, le pilote se livre à ses contrôles de routine lorsque les ailerons s'abaissent brusquement. De Gaulle et ses assistants sortent de l'avion, tandis que le pilote, le lieutenant Peter Loat, grimpe sur la queue de l'appareil, et découvre que la tige de commande a été sectionnée. L'officier de sécurité autorise Loat à prendre un autre appareil, un avion d'entraînement Hudson, et de Gaulle peut gagner Glasgow.
Après examen, les experts de l'aéronautique déclarent que la pièce a été rongée à l'acide. On expliquera au lieutenant Loat et à un des passagers britanniques, le lieutenant William Bonaparte Wyse, que le sabotage doit être dû à des agents allemands (en fait, on ne connait pas de sabotage de ce genre perpétré par des Allemands, et l'Abwehr, la centrale allemande de renseignement, s'interdit rigoureusement tout assassinat politique). De toute évidence la thèse du sabotage nazi ne satisfait pas de Gaulle, qui rentre à Londres par le train.
Interrogés par l'auteur de ces lignes, Loat et Wyse se disent persuadés d'avoir eu affaire à un sabotage. L'aide de camp de de Gaulle, François Charles-Roux, nous dira se souvenir d'avoir eu à quitter l'avion mais ne pas avoir été informé d'un quelconque sabotage. Quant au général de Gaulle, interrogé par nous en 1967, il déclarera ne pas se souvenir de l'incident. La mémoire s'accompagne souvent de diplomatie, mais il n'utilisa plus l'avion en Angleterre.
"De quel côté êtes vous ? Avec le gaullisme, sans de Gaulle." (Roosevelt à Churchill).
Cette hypothèse d'une volonté des Alliés d'assassiner le chef de la Résistance française est également corroborée par l'historien français Jacques Baynac dans son ouvrage "Jean Moulin, Juin 1940 - Juin 1943" (Hachette, 2009), richement sourcé et documenté. Une section du texte, au titre éloquent : "Churchill veut éliminer de Gaulle" (à partir de la p. 758) évoque l'événement et compile manigances et déclarations du Premier ministre britannique et du président américain Roosevelt au sujet de de Gaulle. Tour à tour accusé de fascisme ou de sympathie communiste, le personnage dérange par son arrogance, son égo ou ses velléités anti-anglais. Les diplomates américains et britanniques s'activent pour trouver une solution au sujet de cet interlocuteur gênant. Plus d'une fois, la popularité de de Gaulle en France et dans les réseaux de résistance semble avoir sauvé la peau du général. Extrait (p. 758 - 759) :
Pendant que l'ennemi frappait la Résistance à coups redoublés, le président américain et le Premier ministre britannique communiaient dans une hostilité grandissante envers le chef de la France combattante. A Washington il n'était que de tendre l'oreille pour entendre les horreurs proférées à son sujet. Le secrétaire d’État Cordell Hull lui "vouait une véritable haine" et ses services écrivaient dans un document officiel qu'on ne pouvait lui faire confiance vu son "instabilité mentale". En mars 1943, un diplomate britannique avait informé Londres que l'anti-gaullisme montait toujours plus outre-Atlantique : "A un moment, quelques membres du Département d’État, en particulier M. Sumner Welles, furent influencés par la croyance que de Gaulle et son entourage étaient, pratiquement des fascistes, mais ceci a changé et il est maintenant accusé au contraire d'être dans la poche des communistes".
A Londres, on est de plus en plus excédé par un hôte dont on voudrait tant être débarrassé que s'il lui arrivait un accident on s'en consolerait. "Je vous liquiderai" avait lancé Churchill à de Gaulle en janvier 1943. Le 21 avril, un bombardier Wellington dans lequel de Gaulle a pris place pour aller de Londres à Glasgow ne parvient pas à décoller du terrain de Heston car ses volets ne répondent pas aux sollicitations du pilote, le flying lieutenant Peter Loat. L'enquête menée par la RAF établira que les câbles de commande avaient été rongés par de l'acide. Si celui-ci avait agi moins vite ou si les câbles avaient été plus gros, le vol se serait forcément mal terminé.
Au sujet de ces menaces proférées par Churchill, Jacques Bayard s’appuie sur le livre "Allies at war" de Simon Berthon (Harper Collins, 2001) que nous avons pu consulter en ligne. Voici l'extrait en question (p. 245) :
Dans la matinée, une déclaration sur la proposition des Alliés d'une commission française « représentative » sous contrôle conjoint a été faite. Giraud accepte de la signer mais de Gaulle refuse toujours, maintenant son veto sur la présence des vichystes. Churchill a alors une rencontre furieuse avec de Gaulle. Ma rencontre avec M. Churchill s'est caractérisée, de sa part, par une "acrimonie extrême », écrit de Gaulle. De toutes les rencontres que nous avons eues pendant la guerre, c'est celle qui a été la plus désagréable. Churchill est entendu dire dans son inimitable franglais : « Si vous m'obstaclerez, je vous liquiderai ! ». Tout au long de la matinée, il continue de menacer : « Mon Général, il ne fait pas obstacle à la guerre », au vu et au su des Américains. De Gaulle suppose qu'il cherche à les impressionner.
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Maintenant, concernant le sabotage de l'avion, Jacques Baynac utilise le témoignage de William Bonaparte-Wyse, passager de l'avion évoqué dans l'extrait plus haut, dans un entretien au Daily Telegraph en date du 11 mai 1967. Si nous n'avons pas pu consulter l'article en question, les archives du journal seraient disponibles par abonnement payant sur le site Newspapers.com.
Ce précieux témoignage, ainsi que celui du pilote, donneraient du crédit à cette hypothèse selon Lynn Picknett, Clive Prince, Stephen Prior, Robert Brydon dans l'ouvrage "Friendly Fire". Ils reprennent à peu près les éléments de Irving dans cet extrait que nous avons traduit(p. 300 -301):
En fait, il existe des preuves d'un attentat contre la vie de de Gaulle au cours de cette période nerveuse. En 1967, le Daily Telegraph publie une lettre d'un certain William Bonaparte-Wyse, collaborateur du commandant en chef de la Marine française en temps de guerre, affirmant que le 21 avril 1943, un avion à bord duquel de Gaulle et son personnel - y compris Bonaparte-Wyse lui-même - se rendaient de la RAF Heston, près de Londres, à Glasgow, a été interrompu au décollage en raison d'une défaillance mécanique. Selon Bonaparte-Wyse, « quelques instants plus tard, l'aide de camp du Général, le visage très blanc, m'a dit qu'une tentative de sabotage avait été faite.
Intrigué, l'auteur controversé David Irving a contacté la RAF, qui a nié qu'un tel incident ait eu lieu. Cependant, outre Bonaparte-Wyse, Irving a interrogé le commandant de bord à la retraite, le capitaine d'aviation Peter Loat, qui a confirmé qu'au cours de la phase préparatoire au décollage, les volets de profondeur n'ont pas réagi et que l'avion n'a pas pu décoller.Si cela s'était produit plus tard dans le vol, il y aurait eu une tragédie historique. Loat et un ingénieur de maintenance ont découvert que la tige de commande de la gouverne de profondeur avait été rongée par ce qui ressemblait à de l'acide. Une enquête secrète de la RAF a été menée, à laquelle Loat a participé, et on lui a dit par la suite que la conclusion du sabotage à l'acide avait été confirmée. (L'ADC mentionné par Bonaparte-Wyse a nié avoir parlé de sabotage.De Gaulle lui-même a affirmé n'avoir aucun souvenir de l'événement - mais il est significatif que par la suite, il n'ait plus voyagé que par la route ou le rail en Grande-Bretagne).Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Sur l'élimination de de Gaulle, Jacques Baynac cite également en note de bas de page les mots du journaliste John Lichfield, correspondant historique pour la presse anglaise à Paris, dans le Daily mail du 6 janvier 2000 : "Friends and Allies, but Churchill Loathed De Gaulle and Wanted Him Eliminated" --> "Amis et alliés, mais Churchill détestait De Gaulle et voulait l'éliminer" (Deepl).
Mais comment expliquer que cet événement soit moins célèbre que l'attentat du Petit-Clamart ?
Sans qu'une ressource vienne en attester, nous irions dans le sens de D. Irving et miserions sur une stratégie diplomatique volontaire de de Gaulle qui ne souhaiterait pas entacher avec ces souvenirs la mémoire de la victoire unie des Alliés dans la guerre. Si les attentats perpétrés et déjoués par la suite contre le général (ce tout petit article du Parisien en 2002 les récapitule, on en compte 5 officiellement) entretiennent un lien plus ou moins étroit avec la guerre d'Algérie, et plus largement le processus de décolonisation engagé par la France, le sabotage de ce bombardier londonien ne va pas du "bon côté de l'Histoire" et fracture l'entente franco-britannique victorieuse.
La menace est à l'est au lendemain de la guerre et le bloc occidental doit faire front pour contrecarrer les ambitions russes. A ce titre, les Mémoires de guerre du général De Gaulle, dont nous nous sommes procurés une édition numérisée du tome II en ligne (L'unité : 1942 - 1944), reste parfaitement muettes concernant cet événement. Nous avons interrogé le corps du texte avec les mots "avion" "21 avril", "Glasgow" ou "sabotage", sans succès. Le général, qui écrit ses mémoires pendant sa "traversée du désert" dans l'immédiate après guerre semble omettre sciemment l'opération et quelque peu édulcorer sa relation pendant la guerre avec Churchill.
D'ailleurs, Jacques Baynac fait aussi référence aux "Mémoires de guerre" de Churchill et à l'habitude qu'il avait d'y policer sa relation avec de Gaulle (p. 759 - Jean Moulin).
Pour rappel, en 1947, une autre grande figure de la Libération, le général Leclerc, décédait dans des circonstances troubles dans un crash d'avion sur le territoire marocain.
Pour plus de certitudes, nous ne résistons pas à l'envie d'évoquer cet événement à la Fondation de Gaulle. Nous leur transmettons votre question et attendons peut-être des compléments d'information ainsi qu'une analyse de l'éventuelle omission de l'événement dans les biographies gaullistes.
Voici enfin une petite liste de livres que nous avons feuilleté et qui pourraient vous intéresser :
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Dictionnaire de la France libre / sous la direction de François Broche et Jean-François Muracciole ; présentations de Max Gallo et Jean-Louis Crémieux-Brilhac ; postface de Jean-François Sirinelli (Robert Laffont, 2010)
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Les services secrets de la France libre : le bras armé du général de Gaulle / Sébastien Albertelli ; préface de Daniel Cordier (Nouveau monde, 2012)
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De Gaulle chef de guerre : de l'appel de Londres à la libération de Paris, 1940-1944 : colloque international / organisé par la Fondation Charles de Gaulle, École militaire et Assemblée nationale, Paris, 8, 19 et 20 octobre 2006 (Plon, 2008)
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Churchill, sa vie, ses crimes / Tariq Ali ; traduit de l'anglais par Etienne Dobenesque (La Fabrique, 2023)
Bonne journée,