Question d'origine :
Bonjour,
Pourquoi, durant le Moyen-Âge et l'antiquité romaine, buvait-on autant de vin ?
Il semble que le vin était considéré comme un "aliment" et qu'il constituait, avec le pain, la base de l'alimentation du Moyen-Âge (qui comportait tout de même quelques autres apports saisonniers : œufs, laitages, viandes, fruits et légumes, etc.).
Le vin aurait-il des propriétés nutritives ? Le vin médiéval (ou antique) était-il au contraire différent de celui que nous buvons aujourd'hui ? S'il y en a, pourquoi ces propriétés "nutritives" (ou hygiéniques ?) ont été remises en cause ?
Avec mes remerciements anticipés.
Réponse du Guichet

On buvait du vin, du cidre ou de la cervoise car l'eau était souvent impropre à la consommation !
Bonjour,
L'histoire du vin est liée à celle de l'eau qui au Moyen Age était impropre et donc dangereuse à la consommation.
Ainsi, dans Atlas historique du vin en France. De l’Antiquité à nos jours, Matthieu Lecoutre explique que la consommation d’eau est « à leurs risques et périls puisqu’elle n’est pas toujours potable » et que « le vin est la boisson quotidienne des repas hospitaliers… »;
Le même auteur, Matthieu Lecoutre, relate dans Le goût de l’ivresse : boire en France depuis le Moyen âge, Ve-XXIe siècle que l’eau n’était pas forcément consommée dans les villes et constate que :
l’eau constitue une boisson ordinaire mais, semble-t-il, surtout consommée sous forme de soupe : c’est le plat de base des trois repas quotidiens des Français dans la continuité du Moyen Age.
Par ailleurs, l'Inrap consacre un dossier à l'archéologie du vin dans lequel il relate :
Au Moyen Âge, tout à la fois boisson, prescription médicale, ingrédient de cuisine ou produit pharmaceutique, le vin est consommé en grandes quantités. Il faut reconnaître qu'à cette époque, l'eau n'est pas vraiment conseillée, car elle est souvent polluée. L'été, on consomme plutôt des vins clairs et légers, l'hiver des vins forts, et par temps de brouillard, des vins blancs doux jugés plus nourrissants. À chaque mois son vin... Et l'on ne se contente pas de boire le vin, on le prend aussi en fumigation, en gargarisme, en instillation, en onction ou en application.
Au bout d'un an, le vin tourne souvent au vinaigre (« vin aigre »), car il se conserve mal. On l'insère alors dans des préparations et des recettes culinaires. Son acidité et son aigreur le font considérer comme un apéritif (« qui prépare l'appétit »). En temps de peste, le vinaigre est considéré comme prophylactique ; il entre dans la composition de remèdes destinées à éliminer la vermine. Aujourd'hui encore, une recette de grand-mère conseille le vinaigre pour chasser les puces !
La médecine du vin
Au Moyen Âge, le vin joue un rôle majeur dans la médecine. Utilisé préventivement en diététique, il l'est également comme remède aux maladies. Mentionné à maintes reprises dans les traités médicaux, il entre dans nombre de recettes pharmaceutiques.Les vins doux et liquoreux ou les vins blancs sont préconisés pour les voyages et les matins d'hiver. Il faut dire que ces vins étaient très appréciés des classes aisées, pour leur couleur associée à l'or. Les vins rouges sont prescrits dans les cas de saignées, de maladies sanglantes, ou pour soigner les blessures. On en donne à boire aux femmes qui viennent d'accoucher, aux nourrices dont le lait se tarit ainsi qu'aux personnes convalescentes.
Le vin est réputé favoriser la digestion et chasser les « ventosités » (flatulences), toutefois déconseillé à ceux qui souffrent du foie ou de maladies biliaires. On en donne même aux enfants : meilleur qu'une eau polluée, il est considéré comme anti-diarrhéique et vermifuge. Au début du XIVe siècle, un célèbre médecin et chimiste montpelliérain salue ainsi les vins de l'Orléanais comme étant « les meilleurs et les plus propres qu'on puisse trouver pour le corps humain » (Arnaud de Villeneuve, Tractatus de vinis, 1314). C'est une panacée dont il faut malgré tout se méfier car ses excès, également connus, représentent un risque pour la santé. On le consomme donc en respectant les prescriptions des médecins, parfois en le coupant d'eau.
En outre, il faut lier la consommation du vin à l'église, la vie monastique et à l'eucharistie. Dans une histoire du vin, Didier Nourrisson consacre un chapitre " Boire le vin au long Moyen Âge" dans lequel il mentionne que :
La consommation est en fait encouragée, car le vin des abbés et des monastères, comme celui des chanoines et des évêques, sert d’abord à célébrer la sainte messe. Le vin de messe peut être blanc ou rouge ; il sort du « pressoir mystique » sans préférence : « Les couleurs blanche ou rouge sont des accidents du vin ; il ne doit pas être porté une plus grande attention au vin, qu’il soit blanc ou rouge », indique Thomas d’Aquin dans la seconde moitié du xiiie siècle. Mais, pour ne pas confondre l’eau et le vin, plusieurs synodes recommandent l’usage privilégié du vin rouge (Paris, 1210 ; Clermont, 1268). Le blanc ne prend en fait l’ascendant qu’à partir du xvie siècle, car il salit moins le linge purificatoire (synodes de Milan, 1565 ; Almería, 1595 ; Majorque, 1639). Rouge ou blanc au Moyen Âge, le vin, surtout, ne doit pas manquer à l’office divin. La communion sous les deux espèces, même quotidienne, est habituelle au moins jusqu’au xiiie siècle [4][4]À cette date, on prend peur des épidémies transmises de bouche… : le calice accompagne la patène.
Par ailleurs, Didier Nourrisson s'intéresse au buveur médiéval dans Crus et cuites. Histoire du buveur (2013):
Avec l’essor des villes dans lesquelles demeurent les patriciats ecclésiastiques et nobiliaires, ainsi que les bourgeoisies, la circulation des vins s’intensifie, vivifiant l’économie marchande. C’est ce que constate un moine de passage à Auxerre en 1245 : « Les gens de ce pays ne sèment point, ne moissonnent point, n’amassent point dans les greniers. Il leur suffit d’envoyer leur vin à Paris par la rivière toute proche, qui précisément y descend. La vente du vin en cette ville leur procure de beaux profits qui leur paient entièrement le vivre et le vêtement.
(…)
Les vins sont bus nouveaux : mal vinifiés, ils ne vieillissent pas bien car ils ne sont pas gardés en bouteille. Il faut attendre la fin du xive siècle, en Bourgogne, pour voir des vins vieux vendus plus chers que des vins jeunes. On distingue les vins clairs, rouges et doux. Le clairet, ou claret, aimé des gosiers anglais, est un vin rouge pâle, dont on vante la vivacité et la fraîcheur. Il représente à lui seul 87% de la production de l’archevêché de Bordeaux au xive siècle .La consommation quotidienne de ces riches varie cependant beaucoup. Au xive siècle, dans la maison du seigneur de Murol (Auvergne) composée de vingt personnes, chacun aurait disposé de 1,8 litre de vin par jour. Au même moment, les propres fils du puissant comte de Forez ne boivent qu’un demi-litre par jour d’un vin probablement aromatisé de sauge.
En fin de repas, il est habituel de prendre un vin « herbé » parfumé de divers aromates : aloès, anis, absinthe et épices variées.
(…)
paysan ou citadin, le consommateur populaire boit surtout de la piquette, des boissons aigres de fruits et de feuilles fermentés, et de l’eau, trop souvent corrompue. Les difficultés des temps (guerres, épidémies) nuisent à la qualité de la boisson. Le Journal d’un bourgeois de Paris affirme : « En cellui temps (1447), estait à Paris le vin si cher et ne buvait le pouvre peuple que sarvoise (cervoise), ou bochet (hydromel), ou bière, ou percé (vin tourné en vinaigre).La boisson la plus répandue au Moyen Âge est en réalité la bière, héritière de la cervoise
En complément, nous vous laissons consulter nos diverses réponses apportées sur :
Enfin, nous vous suggérons la lecture de Boire au Moyen Age par Jean Verdon, 2002.