Pourquoi les prisonniers se tournent-ils souvent vers la religion ?
Question d'origine :
Pourquoi les gens en prison se tournent-ils souvent à la religion?
Réponse du Guichet
De nombreuses études ont montré que les gens en prison se tournent assez souvent vers la religion, même si ce phénomène est à relativiser. Les raisons en sont multiples, mais globalement, il semble que le recours au religieux soit un moyen de supporter les souffrances liées à l'enfermement et de se reconstruire.
https://catalogue.bm-lyon.fr/ark:/75584/pf0003087772.locale=fr
Bonjour,
Deux ouvrages de la bibliothèque portent sur ce thème :
Illuminations carcérales, comment la vie en prison produit du religieux de Thibault Ducloux qui s’attache à raconter sous forme de récit sociologique les parcours de détenus non religieux et le processus qui en a amené certains à «trouver Dieu». L’autre De la religion en prison, aussi le fruit d’une enquête sociologique, adopte un pont de vue plus large : s’il s’intéresse à la question du recours au religieux par les prisonniers, il aborde aussi les liens de l’institution pénitentiaire avec le religieux, les politiques menées en la matière et le rôle des aumôniers.
Voici ce que l’on peut tirer très schématiquement de ces deux ouvrages concernant votre question :
L’incarcération est en effet une épreuve qui favorise la mobilisation du religieux chez les détenus. Comme le dit Thibault Ducloux, la religion est endémique en prison (p. 185). Cependant, face aux récents discours très alarmistes liés au terrorisme et au phénomène de radicalisation, les deux ouvrages relativisent ce phénomène. Il n’a en réalité rien de mécanique ou de systématique, il n’est pas une généralité (la majorité des détenus n’ont pas recours au religieux pendant leur peine, et certains aussi s’en éloignent), et le recours au religieux n’est pas constant, il connait fluctuation et variabilité. Ils montrent aussi que les personnes qui ont une pratique religieuse en prison, parfois intense, sont des personnes déjà initiées, que les cas de conversion «brute» sont assez rares et que les modalités de ce recours aux religieux peuvent être de différentes natures. Ils distinguent par exemple sa mise en œuvre dans l’urgence des premiers mois d’une première incarcération, où le religieux vient aider le détenu à surmonter le choc carcéral, de la pratique plus routinière et ritualisée d’un détenu ayant déjà vécu plusieurs incarcérations.
Le recours au religieux est en tout cas directement lié au processus d’intériorisation de la vie en prison par les détenus, et devient un moyen pour remédier à la mort sociale produite par l’enfermement. Chaque détenu met en œuvre dans la prison une nouvelle socialisation, en ayant souvent recours à des socialisations primaires, et cela peut passer par un recours à la religion, surtout si elle fait partie d’un bagage «ancien». Ce qui explique aussi que la sortie de prison représente une nouvelle rupture et provoque assez souvent un nouvel éloignement avec le religieux.
Ils évoquent plusieurs raisons qui peuvent pousser les prisonniers à recourir à la religion.
Nous l’avons vu la religion est un moyen d’affronter la souffrance sociale et morale liée à l’épreuve carcérale, de se confronter à la question même du mal et de la culpabilité, de donner un sens à sa peine et finalement de «se racheter». Mais il existe d’autres facteurs.
La pratique religieuse est un moyen d’évasion, une forme de «désenfermement» : en participant à des messes, à des ateliers… le détenu sort de son isolement et retrouve en rencontrant d’autres détenus et les aumôniers une certaine normalité relationnelle, mise à mal par ailleurs au sein de la prison. C’est aussi un moyen de contourner le dénuement, les lieux de culte offrant aussi la possibilité de faire circuler des biens.
Les prisonniers trouvent aussi dans la religion une forme de protection individuelle, un «bouclier», en se mettant en retrait de la réalité insoutenable des conditions de vie en prison, ou en l’utilisant pour prendre leurs distances avec la délinquance, mais aussi une protection collective, en récréant d’autres sociabilités et solidarités.
Le religieux en prison est un vecteur de restauration d’une identité. Par des rituels et pratiques structurant leur quotidien, les détenus tentent de regagner une maitrise de soi, de transformer leur rapport à eux-mêmes et aux autres.
Enfin, un facteur important est ce que les sociologues appellent la disponibilité biographique : les détenus sont à un moment de leur vie où ils ont du temps à consacrer à cette pratique.
Cet article Des hommes et des dieux en prison qui contient un entretien avec les trois autrices du livre De la religion en prison, permet d’en avoir un bon résumé.
Vous trouverez aussi d’autres éclairages dans cet article La religion en prison: norme structurante, réhabilitation de soi, stratégie de résistance dont voici le résumé: «Dans les divers types de prisons françaises, la religion permet souvent aux détenus de structurer leur vie. La pratique religieuse a, en effet, des vertus thérapeutiques, de pacification, de sens et de réhabilitation de soi. Les détenus recourent, par ailleurs, de manière stratégique aux aumôniers pour rencontrer d’autres détenus, pour comprendre leur jugement ou pour contester l’institution.»; et dans celui-ci Le rôle de la ressource religieuse dans les institutions carcérales au Québec, Pratiques de restauration du soi et stratégies de réhabilitation sociale de Géraldine Mossière et Catherine de Guise
Voir aussi :
La religion en prison: réel et effet de réalité, Thibault Ducloux
La religion en prison, pour exister autrement que comme détenu
Quelques éléments du cadre légal : Laïcité et prison, que dit le droit ?
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