Quelles sont les origines de la mythologie grecque et quels ouvrages consulter à ce sujet ?
Question d'origine :
Cher Guichet,
La mythologie romaine a été empruntée, plus ou moins, à celle de la Grèce Antique. J'aurais souhaité connaître les origines de la mythologie grecque, et pourquoi pas consulter un ouvrage sur le sujet.
Merci de tout coeur pour la réponse à ma dernière question sur le site Dialogus, elle m'a fait énormément plaisir ! Vous êtes trop fort.
Bien à vous, Stéphane
Réponse du Guichet

Les origines des récits mythologiques grecs semblent puiser leurs sources sur les pourtours du bassin méditerranéen et particulièrement en Afrique du nord ou au Proche-Orient. Les Phéniciens, peuple marchand, auraient fait tampon entre l'Orient et l'Occident lors de la transmission de ces histoires. Mais trouver une origine précise reste souvent difficile. Les mythologues et folkloristes s'accordent sur la présence de "récits types" aux structures narratives identiques, mais avec des variations locales. Les mythes grecs partageraient donc des similitudes avec de nombreux autres récits et inversement. Pour certains d'entre eux, les dernières avancées en analyses phylogénétiques permettraient de reconstituer une généalogie et parfois, un récit premier.
Bonjour,
Cet article rassemble et introduit les sources principales dont nous disposons au sujet des récits mythologiques grecs : Aux sources de la mythologie grecque (La revue l'éléphant, 2016). Il présente les principaux poètes grecs du VIIIè siècle avant notre ère que sont Homère et Hésiode et auxquels nous continuons d'attribuer, non sans controverses, les textes de l'Iliade et l'Odyssée, où se mêlent légendes historiques et mythologies, et la Théogonie, qui relate l'histoire de la création du monde et ordonne généalogiquement la descendance des dieux grecs. Pour un corpus plus étendu, l'écrivain et historien Franck Evrard qualifie de mythologie grecque : "l'ensemble des récits merveilleux et équipes qui appartiennent à un contexte culturel allant du IXème siècle avant J-C au IVème siècle après J-C, avec la civilisation latine qui s'empare de l'héritage hellénique". (p.12 - La mythologie grecque - Anne Spicher, 2019).
Sur le contexte de production de ces textes, nous ne savons pratiquement rien historiquement (Les mythes grecs de Jean-Louis Durand, 2023). La fixation à l'écrit de ces histoires a contribué à leur transmission, elles qui se déclamaient oralement par l'intermédiaire d'un poète, prête voix d'une parole divine, et permis leurs réactualisations permanentes, des tragiques de l'époque classique (Eschyle, Sophocle, Euripide), au "père des historiens", Hérodote, avant d'exercer une influence considérable sur les arts des sociétés occidentales des siècles à venir (Ovide, Virgile, Racine, Goethe, Botticelli, Klimt etc.). Leur assimilation et leur réinterprétation dans les récits mythologiques des sociétés romaines est documentée (La mythologie grecque, p.15), ainsi, si nous nous positionnons dans une lecture ouverte l'Histoire, où les récits humains s’enchâssent les uns dans les autres, se nourrissent et évoluent, rien ne nait ex-nihilo. Les mythes grecs puisent leurs origines dans les histoires que s'échangeaient les hommes et femmes bordant le bassin méditerranéen. Mais le temps fit son office et le manque de traces écrites rend difficile cette quête des origines, nous donnons donc la parole aux historiens et anthropologues des cultures préhelléniques pour tenter d'y voir un peu plus clair :
L'une des premières pistes, ce texte très ancien de Philippe Berger, publié en 1896 dans la Revue des Deux Mondes : Les origines orientales de la mythologie grecque. Il évoque les nombreux points de contact entre les Grecs et les Égyptiens, l'Asie mineure mais surtout les Phéniciens, peuple de marchands aux innombrables comptoirs, qui auraient fait tampon entre l'Orient et l'Occident.
Un demi siècle plus tard, l’helléniste française Jacqueline Duchemin, dans le texte "Les sources grecques et orientales de la Théogonie hésiodique" (1952), consultable dans le recueil Mythes grecs et sources orientales (1995, les belles lettres), allait également dans ce sens. Elle situe les sources d'Hésiode au Proche-Orient, et évoque les analogies et variations de la légende de Prométhée dans des poèmes orientaux :
Mais le rapprochement peut-être le plus révélateur est celui du Titan Prométhée avec le dieu Ea, le dieu babylonien de la sagesse, dont Teshub et sa sœur Ishtar vont, dans leur désarroi, implorer le secours. C'est lui, finalement, qui par son intervention auprès des "dieux antérieurs" sauvera Teshub. Justement, le "Poème de la Création" des Assyro-Babyloniens nous fournit un nouveau point de contact. Reprenant les mythes des anciens Sumériens, ce poème attribue à des êtres divins la création de l'homme. La tradition sumérienne de la ville d'Eridu, notamment, rapportait qu'il avait été fait de l'argile du sol par le dieu des eaux et de la sagesse, père de toute civilisation, Enki (le seigneur de la Terre) ou Ea. Parfois, on racontait qu'à cette argile avait été mêlé le sang d'un Dieu (Marduk, fils d'Ea, d'après les Assyriens) pour lui insuffler la vie. Le rapprochement est facile entre Ea et Prométhée, d'autant que certains textes grecs ont précisément attribué à celui-ci la création de l'homme.
Source : Mythes grecs et sources orientales (p. 9-10).
Le second article du recueil, s'intéresse cette fois à l'influence considérable de l’Égypte, notamment dans l’œuvre du poète Théocrite, auteur d’idylles et de contes épiques, confirmant les affirmations de Philippe Berger (à partir de la p. 13).
Enfin, l'Asie mineure est évoquée dès les premières fiches de l'ouvrage La mythologie grecque, lorsque Anne Spicher aborde l’œuvre d'Homère dont elle dit "refléter l'esprit aristocratique d'Asie mineure" (p. 17).
Dans certains cas, il est même possible de remonter ce fil d'Ariane encore plus loin, vers des horizons plus éloignés culturellement et géographiquement. Prenons l'exemple de Pygmalion, dont l'histoire est principalement racontée par Ovide dans ses Métamorphoses. Si l'histoire de ce sculpteur tombé amoureux de sa propre création évoque immédiatement la mythologie grecque, le mythologue Julien d'Huy dans un article publié dans l'ouvrage Les grands mythes : origine, histoire, interprétation (Sciences humaines, 2017), évoque 2 autres récits piochés en Afrique de l'est chez les Swahili et en Afrique australe chez les Lozis du Zambère, aux similitudes troublantes. Pour les mythologues, ces histoires relèvent de ce qu'on appelle un même récit type, c'est à dire des récits aux structures narratives identiques mais qui possèdent leurs propres variations locales, adaptées selon les gouts d'un territoire et d'une culture. Selon ses recherches et les avancées méthodologiques d'analyses phylogénétiques, les mythes aussi auraient un arbre généalogique :
Dans le cas Pygmalion, par exemple, l'arbre obtenu peut-être mis en parallèle avec une migration partie d'Afrique de l'est en direction de l'Afrique australe, indépendamment des migrations bantoues, il y a environ 2000 ans. Cette datation extérieure de la diffusion du mythe est en accord avec celle que nous avons faite, par d'autres moyens, de l'apparition du mythe dans le Sahara néolithique.
Une fois l'arbre des mythes établi, il devient possible de reconstruire statistiquement la protoversion de celui-ci. Ainsi le protorécit de Pygmalion a plus de 75% de chance d'avoir été celui-ci : "Une femme est sculptée dans un tronc d'arbre par un homme afin de meubler sa solitude. Un dieu donne vie à l'image, qui se transforme en une belle jeune femme. Elle devient la femme de son créateur, bien qu'un autre individu souhaite qu'elle devienne également sa compagne." De nouveaux détails apparaissent quand on abaisse le seuil de probabilité. Il s'agit bien sur là d'une version simplifiée du récit néolithique, qui devait être en réalité, tout aussi développé que les versions que nous connaissons. "
Source : Les grands mythes : origine histoire, interprétation.
En somme les avancées les plus récentes dans le domaine de la généalogie mythologique amènent à reconsidérer l'hypothèse d'une ou des origines uniques pour ces textes. Si ils ont très probablement transités d'Orient vers l'Occident (en inversement), mais aussi du sud vers le nord, se transformant, presque invariablement, d'une génération à l'autre Cf : "On ne discute pas les mythes du groupe, on les transforme en pensant les répéter", comme disait Claude Levi-Strauss), c'est que la plupart des grands récits de la mythologique grecque peuvent être regroupés au sein de récits types, (comme c'est aussi le cas pour les contes, avec la Classification Aarne-Thompson-Uther), aussi bien partagés qu'influencés par des groupes humains divers et variés.
Impossible donc d'être définitif, les origines des mythes grecs sont plurielles, des alentours du bassin méditerranéen en passant par l'Asie mineure ou l'Afrique australe. Si ces thématiques vous intéressent nous ne pouvons que vous recommander la lecture de l'ouvrage : Cosmogonies : la préhistoire des mythes / Julien d'Huy ; préface de Jean-Loïc Le Quellec (La Découverte, 2020), alors emprunté au moment de la rédaction de cette réponse.
En espérant avoir répondu à votre question,
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Quelle traduction accessible de l'Odyssée me conseilleriez-vous...