Je cherche des informations sur une légende de la cité médiévale de Provins
Question d'origine :
Bonjour,
J'ai entendu dire qu'il existe une légende à propos de la cité médiévale de Provins : un basilic, un serpent géant, y aurait vécu et aurait terrorisé la population en transformant les gens en pierre d'un regard et ou d'un souffle de son haleine pestilentielle. Je n'ai pas réussi à retrouver un livre ou une source fiable sur l'existence de cette légende. Pourriez vous m'aider ?
Un très grand merci !
Réponse du Guichet

Malgré nos recherches, nous n’avons hélas pas trouvé de légende particulière concernant un basilic liée à la cité médiévale de Provins.
Bonjour,
Tout d’abord qu’est-ce qu’un basilic ?
Il s’agit d’une créature légendaire qui prends la forme d’un reptile et dont l’origine remonte à l’Antiquité. Du grec ancien « basilískos » ou du latin « basileus », le mot basilic signifie « prince » ou « petit roi » ce qui peut expliquer certaines de ses représentations : chez les gréco-romains le basilic est en premier lieu un petit serpent très venimeux dont la morsure donne la mort immédiate. Il est donc par conséquent considéré comme le roi des serpents et certainement même comme l’animal le plus venimeux de l’époque.
Dans la mythologie grecque, le basilic est en né du sang de la tête coupée de la gorgone Méduse dont l’un des attributs est de pouvoir pétrifier tout mortel croisant son regard. C’est de là que découle le pouvoir fatal et principal du basilic : quiconque ose croiser son regard en meurt sur le champ. On accorde d’autres facultés au basilic : son haleine et son odeur sont caractéristiques de son venin très puissant. Le basilic pourrait ainsi brûler tout ce qui l’entoure rien qu’à son souffle ou aux vapeurs que dégage son odeur.
Ainsi, voici comment Pline l’Ancien (23-79 av. JC) a décrit le basilic dans son Histoire naturelle (Livre VIII, paragraphe XXXIII) :
« Le serpent appelé basilic n'est pas doué d'une moindre puissance. La province Cyrénaïque le produit; sa longueur n'est pas de plus de douze doigts; il a sur la tête une tache blanche, qui lui fait une sorte de diadème. Il met en fuite tous les serpents par son sifflement. Il ne s'avance pas comme les autres en se repliant sur lui-même, mais il marche en se tenant dressé sur la partie moyenne de son corps. Il tue les arbrisseaux, non seulement par son contact, mais encore par son haleine ; il brûle les herbes, il brûle les pierres, tant son venin est actif. On a cru jadis que, tué d'un coup de lance porté du haut d'un cheval, il causait la mort non seulement du cavalier, mais du cheval lui-même, le venin se propageant le long de la lance. Ce monstre redoutable (on en a fait souvent l'épreuve pour les rois, désireux d'en voir le cadavre) ne résiste pas à des belettes; ainsi le veut la nature : rien n'est sans contrepoids. On les fait entrer dans des cavernes, que l'on reconnaît facilement parce que le sol est brûlé alentour; elles tuent le basilic par l'odeur qu'elles exhalent, et meurent en même temps. Tel est le résultat du combat de la nature avec elle-même. »
De même que, dans le livre XXIX paragraphe XIX, il précise :
(le basilic que) « fuient les serpents eux-mêmes, qui tue par sa seule odeur, et qui, dit-on, donne même par le regard la mort à l'homme. »
Le basilic se révèle donc être une créature redoutable. Pour tuer un basilic, il faut lui faire apercevoir son propre regard. C’est pourquoi, dans son bestiaire qui se veut encyclopédique (le Livre du Trésor écrit en 1266), Brunetto Latini raconte qu’Alexandre le Grand aurait fait fabriquer un bouclier aussi poli qu’un miroir pour se protéger des basilics lors de sa conquête des Indes.
Toutefois, on remarque que les représentations du basilic évoluent. Son image et imaginaire change au Moyen-Âge: désigné parfois en « basilicoq », la créature est à présent mi serpent mi coq.

Il existe alors plusieurs figures de cette créature fantastique. Cependant, celle qui prévaut reste celle d’un bipède de taille conséquente à la tête de coq. Il possède toujours une queue de serpent mais il a désormais des ailes, souvent, rappelant celles des chauves-souris et du dragon.

A l’époque médiévale son origine change : le basilic naît alors de manière totalement légendaire. Il faut ainsi qu’un coq âgé de sept à quatorze ans ponde un œuf dans un fumier à l’heure où l’étoile de Sirius est à son zénith et que cet œuf soit ensuite couvé par un crapaud ou une grenouille pendant neuf ans !
Cependant, outre son aspect physique et son origine, ses aptitudes restent inchangées. Le basilic est toujours autant capable de tuer par son regard ou son venin. Avec la tradition littéraire du bestiaire qui se développe dès le XIIème siècle et se diffuse partout en Occident médiéval, le basilic devient une image plutôt commune et répandue.
Le basilic, de par ses capacités terrifiantes, symbolise notamment un être maléfique car il représente le danger mortel qui attends tout homme, sans prévenir. De même, les penseurs chrétiens de l’époque tels que le moine bénédictin Raban Maur ont pu affirmer que le basilic était une créature démoniaque envoyée par Satan pour empoisonner de son venin de débauche les croyants imprudents. Le basilic représente donc aussi l’un des sept pêché capitaux, la luxure et surtout l'hérésie. C’est pourquoi on le retrouve d’ailleurs de manière récurrente dans l’iconographie médiévale et religieuse et ce notamment sur les chapiteaux d’églises et de cathédrales gothiques. Il en est d’ailleurs fait mention dans le psaume 91 sermon 13 de la Bible : « Vous marcherez sur l’aspic et sur le basilic et vous foulerez au pied le lion et le dragon », montrant la puissance du Christ contre le mal. Ainsi, le basilic est un piège auquel tout bon chrétien doit échapper.

Dyptique de Genoels-Elderen en ivoire, VIIIème siècle, Saint-Martin de Genoelselderen (Tongres), conservé à Bruxelles aux musées royaux d’art et d’histoire.
Pour en revenir plus précisément à votre question, malgré nos recherches, nous n’avons hélas pas trouvé de légende particulière concernant un basilic lié à la cité médiévale de Provins.
Néanmoins, il faut souligner que Provins fut l’une des villes les plus influentes du royaume de France au XIIème-XIIIème siècles après Paris et Rouen. Se situant à un carrefour de routes commerciales importantes, la ville accueillit au moins deux fois par an parmi les plus grandes foires de Champagne où les meilleures manufactures d’étoffes, de cuirs et de coutellerie firent commerce faisant alors de Provins une des villes commerciales les plus importantes d’Europe. La ville frappe même sa propre monnaie. De même, la ville est placée sous l’égide des prestigieux comtes de Champagne qui ont fait d’elle une vraie vitrine de leur pouvoir et richesses permettant alors le développement de la ville, son rayonnement et son architecture impressionnante (classée Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2001). Ainsi, par exemple, le comte Thibaut IV de Champagne ramena de croisade en 1239 la rose de Damas à Provins et en développa la culture concédant alors à la ville davantage de renommée. La rose de Provins est d’ailleurs toujours un symbole actuel de ce rayonnement.
Outre son aspect économique, c’est aussi par l’aspect culturel et religieux que Provins s’illustre. En effet, la ville possède en son sein les reliques Saint-Ayoul retrouvées en 996. Une église fut alors construite sous le nom de ce même saint, puis, un prieuré bénédictin. Ce même prieuré fut placé sous l’autorité de l’abbaye de Saint-Pierre de Montier-la-Celle où le célèbre Robert de Molesme, fondateur de l’ordre de cistercien, fut prieur.
Thibaut Ier comte de Champagne profita de cette effervescence pour y développer particulièrement la ville et le passage des voyageurs dans ses terres. Par conséquent, de nombreux pèlerins se rendirent à Provins. Le parvis de l’église Saint-Ayoul permettait à une multitude de marchands de s’installer. On raconte alors que c’est par ce flux constant de visiteurs que l’idée d’installer les foires de Champagne ici fut née. Avec toutes ces caractéristiques, Provins fut propice à la croissance de nombreux ordres monastiques et les Templiers y installèrent même une commanderie. Ainsi, la ville compte sept paroisses pour une vingtaine d’églises, chapelles et un hôpital ce qui est remarquable pour l’époque dans une ville de sa taille.
C’est par cette présence religieuse accrue à Provins qu’on peut considérer l’existence de légendes incluant un basilic : le basilic pouvant symboliser l'hérésie aux yeux de l’Église. Par ailleurs, la seule histoire similaire que nous ayons trouvée à ce propos fait écho à cette dynamique et inclut le dragon, soit une créature fantastique très similaire au basilic. En effet, l’Église voulu canaliser l’imaginaire du dragon qui était répandu dans certaines religions païennes et persistait dans certains lieux.
Pour se faire, l’Église tenta de récupérer ces nombreuses histoires racontant la destruction de villes et de leur population par des dragons en y ajoutant l’intervention divine d’un saint. Provins avec Saint Quiriace n’en fut pas exception. On racontait alors qu’un dragon terrorisait le haut de la ville (nommé Châtel) tandis qu’une lézarde faisait de même de la basse ville (appelé le Val). Pour fêter la délivrance du mal que représentent ces deux animaux fantastiques, les habitants auraient alors mis en place une procession lors du troisième jour des Rogations. Le sonneur du chapitre de Saint-Quiriace situé dans le Châtel érigeait au bout d’une perche une tête de dragon en bois ornée de fleurs et s’élançait dans la ville suivi des habitants. Un autre groupe partant du Val faisait la même chose avec au bout de la perche une représentation de la lézarde. Les deux processions finissaient par se rejoindre et se battre en duel. La mascotte qui avait perdu le plus de fleurs était considérée comme vaincue. Cette fête ancrée dans la tradition de la ville perdure jusqu'au XVIIIème siècle. Vers 1760 le sonneur de Saint-Quiriace, Jacobé Frelon, voulu faire une farce en ajoutant pétards et artifices dans la gueule du dragon. Il alluma la mèche lors de la rencontre des deux processions mais le dragon pris vie, s'embrasa, enflammant la foule. Par chance, la fontaine Saint-Ayoul se trouva tout près et permis de mettre fin au début d'incendie. Néanmoins, la processsion ne fut plus pratiquée depuis ce jour...
Cette cérémonie montre à la fois comment l’Église a su christianiser ce rituel mais aussi la prégnance de légendes telles que celles du dragon et de la lézarde. C’est, hélas, le seul récit qui persiste à Provins autour d’animaux fantastiques.
Cependant, on peut noter la présence d’un lien entre la lézarde de Provins et l’actuel détenteur de la dénomination du basilic puisqu’il s’agit d’un lézard d’Amérique du Sud qui se regroupe en quatre espèces différentes: le basilic commun, le basilic vert, le basilic de l’Ouest et le basilic brun. D’une envergure de 80cm environ, tous doivent leur nom (petit roi) à la crête qu’ils possèdent au sommet de leur tête.

Pour aller plus loin concernant l'histoire de Provins ainsi que sur les créatures fantastiques nous vous conseillons quelques ouvrages :
- Histoire de Provins et sa région, (dir.) Michel Veissière, Privat, 1988.
- Provins et ses environs, René-Charles Plancke, Le Mée-sur-Seine, 1988.
- L'Ile-de-France médiévale tome 02, Somogy éditeur d'art, 2001.
- Légendes de serpents, Françoise Serre Collet, Delachaux et Niestlé, 2019.
- Serpent divin et pilier cosmique : médecine, alchimie, guérison, salvation, Dominique de Courcelles, Jérôme Millon, 2023.
- Le bestiaire fabuleux, Edouard Brasey, Pygmalion, 2001.
- Le symbolisme animal : mythes, croyances, légendes, archétypes, folklore, imaginaire..., Jean-Paul Ronecker, Oxus, 2016.
- Une histoire des animaux fantastiques, Hélène Bouillon, Presses Universitaires de France, 2023.
Bonnes lectures ! :)
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