J'ai entendu parler d'une fête à Lyon en 1711
Question d'origine :
Bonjour
j'ai entendu ou lu qu'il y avait au 18 siècle vers 1711 à Lyon une fête chaque année où l'on pouvait s'insulter se chamailler sans aucune sanction est ce vrai
merci beaucoup pour votre travail cordialement bon été
Réponse du Guichet
La "fête des insultes" avait lieu chaque année pendant la vogue de la Saint Denis qui débutait le 9 octobre et durait une quinzaine de jours à Bron. Une foule venue des alentours et principalement de Lyon envahissait le petit village pour chanter, boire, manger et s'égayer dans les nombreuses tavernes. Il était alors autorisé de s'insulter à loisir sans crainte de représailles. Cette fête transgressive fut interdite en 1811 à la demande de l’archevêque de Lyon, Joseph Fesch.
La fête à laquelle vous faites allusion est sans doute est celle que l'on appelle «la fête des insultes» qui en 1711 fut malheureusement marquée par un drame :
Ce dimanche 11 octobre 1711 s'annonce comme une belle journée d'automne. Lyonnais et gens des environs se rendent comme chaque année, probablement depuis le Moyen-Age, dans une petite bourgade du nom de Saint-Denis-le-Neuf située sur la route menant au Dauphiné, aujourd'hui incluse dans la commune de Bron. Nous sommes au surlendemain de la fête de Saint-Denis et il est de coutume d'aller vénérer ce saint. Denys évangélisateur de la Gaule romaine au IIIème siècle, martyr sous le règne de l'Empereur Valérien, a subi la décollation en l'an 258. La basilique située près de Paris attira très tôt de nombreux pèlerins et nombre de chapelles et églises dans le royaume de France lui furent ensuite dédicacées comme Saint-Denis de Bron qui aurait possédé un morceau du crâne du martyr.
Mais, pour la plupart des lyonnais, se prosterner devant la sainte relique n'était pas le seul motif pour se déplacer dans cette commune. En effet, une « vogue », expression régionale désignant initialement une fête votive y était organisée et celle-ci donnait lieu à une tradition très particulière la « fête des insultes ». Ce jour-là, tous les codes de bienséance de la société volaient en éclat. Quolibets, injures, sarcasmes fusaient de toute part. Les règles proscrivant dénonciations, calomnies tombaient. On pouvait insulter à loisir. Certains participants surnommés « les engueuleurs » s'en donnaient d'ailleurs à cœur joie. Rappelons que nous sommes dans les dernières années du règne de Louis XIV (1638-1715) et que la situation économique du royaume est dégradée. A Lyon, les années sont difficiles pour l'industrie de la soie. S'ajoute une succession d'hivers très rudes entraînant pénuries de céréales et accentuant pauvreté et maladies. Le peuple profitant de ce privilège qui lui était donné en ce jour de la « fête des insultes » pouvait exprimer oralement, sans aucune crainte de représailles, mécontentements, rancœurs, frustrations, envers ceux qui les oppressaient. Cela se faisait à visage découvert sans que quiconque songeât à s'y opposer.
Source : Hôtel-Dieu : destins croisés - n°9 - décembre 2021. Chantal Rousset-Beaumesnil. De Condate à Lyon Confluence
Au retour de cette fête, une bousculade eut lieu sur le pont de la Guillotière aussi dénommée «Tumulte du Pont de Rosne». Alors qu’une foule se pressait sur ce pont réputé étroit et très long (500 mètres à l’époque), Madame de Servient impatiente de rentrer chez elle ordonna à son cocher d’engager son carrosse sur le pont. Une bousculade s’en suivit entraînant la mort de 241 personnes mortes écrasées ou noyées dans le fleuve.
Un numéro des Rues de Lyon retrace l’événement en bande-dessinée: Le tumulte du Pont de Rosne. B-Genet. Les Rues de Lyon, juin, 2015 Epicerie Séquentielle, 2015. Egalement disponible à la bibliothèque.
Pour en savoir plus vous pourrez également consulter cette réponse du Guichet du savoir : Existe-t-il une liste des victimes de la "bousculade" du pont de la Guillotière ?
Ainsi que cet ouvrage disponible sur Numelyo : Une page de l'histoire de Lyon : le tumulte du pont du Rhône: le procès de Bellair : la donation de Madame Servient. Georges Thévard. Imprimerie Mougin-Rusand, 1899.
Pour en revenir aux origines de la fête des insultes à Bron, ou «vogues de la Saint Denis», il semble qu’il faille remonter à l’Antiquité comme l’indique Marcel Forest :
Quelque peu contraire à la décence et à la pudeur, cette fête remontait aux époques antiques Elle était célébrée en l’honneur de Dyonysos, dieu grec de la vigne et du vin, que les romains nommaient Bacchus. Chaque année, à partir du 9 octobre et pendant quinze jours, une foule considérable et bruyante, venue des alentours et surtout de Lyon, jusqu’à 40000 personnes, dit-on, envahissait le petit village de Saint-Denis-de-Bron, situé à une lieue des faubourgs de la grande ville. C’était une des plus attendues de toutes les fêtes régionales, avec celle des «Brandons» à la Guillotière. Tout ce monde: riches, pauvres, bourgeois, nobles, paysans, artisans, roturiers et hélas, tire-laine et vide-goussets, se mêlait aux danseurs, jongleurs, saltimbanques, et autres bateleurs de place publique pour chanter, boire, manger jusqu’à la nuit tombée, à la lueur des lanternes, dans les nombreuses tavernes, auberges et gargotes.
Pour changer le caractère de débauche et d’inconduite de ces réjouissances, le vin local renommé produit en abondance dans les vignobles de Bron et du Vinatier, vendu pour trois ou quatre pièces de cinq centimes le broc aidant à la chose, le clergé en avait fait une cérémonie religieuse au jour de la Saint-Denis. Car il faut préciser que durant toutes ces mascarades, le bon peuple avait l’avantage et le curieux privilège de pouvoir s’insulter, s’injurier réciproquement, cela souvent avec des propos contraires à la bienséance, car vengeances, haines et jalousies étaient de circonstance étant donné que la maréchaussée à cheval, chargée de veiller à la sûreté publique, n’avait pas à intervenir […]
Mais cette fête traditionnelle qui rappelait les anciennes Dyonisiaques de l’Antiquité, prit fin en 1811 avec le Premier Empire, sur la demande de l’archevêque de Lyon, Joseph Fesch (1763-1839), oncle de Napoléon Ier, qui avait été malmené, offensé et scandalisé un de ces jours de kermesse, ainsi que Madame Mère de l’empereur, lors de leur passage sur la route de Bron à leur retour de Rome pendant les Cent Jours. L’Église interdit ces coutumes licencieuses après 2000 ans d’existence. Pour ce faire, il aurait été ordonné à la troupe, pendant quelques temps du moins pour calmer les esprits, de s’installer dans le bourg durant le mois d’octobre.
C’est à la suite de la suppression de cette fameuse fête de la Saint-Denis qui empruntait ses origines au culte païen, que commença la disparition des vignobles de Bron.
Source : Histoire de Bron. Marcel Forest. Elie Bellier Éditeur, 1988 (p.91)
En espérant que ces éléments auront suffi à satisfaire votre curiosité, nous vous souhaitons une agréable journée !