Quel trajet aurait emprunté un train entre Paris et Chambon-sur-Lignon en 1942 ?
Question d'origine :
Bonjour le guichet du savoir, j'espère qu vous passez un bel été.
Dans le cadre de mon prochain roman, j'aurais voulu savoir si il vous seriez possible de me trouver le chemin qu'aurait fait une personne en train entre Paris et le Chambon-sur-Lignon en 1942.
J'avais pensé à faire ceci Paris (Gare de Lyon) jusqu'à Lyon, en passant par Châlon-sur-Saône (contrôle des titres de passage en zone libre) puis autocar de Lyon au Chambon.
Est-ce plausible que le chemin Lyon vers le Chambon soit fait en autocar, sachant qu'il existe une gare au Chambon ?
Merci d'avance
Bonne rentrée
Sabz
Réponse du Guichet

En effet, le trajet s'effectuait depuis Paris avec un lourd contrôle policier et administratif en gare de Chalon-sur-Saône et/ou à bord des trains. Arrivés en zone libre, les voyageurs devaient à nouveau prendre un train au départ de Lyon jusqu'au Chambon-sur-Lignon en passant par Saint-Étienne. C'est en tout cas ce qu'attestent les réseaux de solidarité et de résistance installés sur le "Plateau".
Bonjour,
Jusqu'en novembre 1942, la ligne de démarcation, longue d'environ 1 200 km, séparait la France en deux zones distinctes : la zone occupée au nord et la zone libre au sud. La ville de Chalon-sur-Saône, dans le département de Saône et Loire, se trouvait précisément à la jonction des deux zones. La ville toute entière était en zone occupée tandis que Saint-Marcel, commune située outre Saône, se trouvait elle en zone libre. Chalon a aussi joué un rôle d'importance pour la communication ferroviaire entre les deux parties du pays puisqu'elle fut choisie par les Allemands comme l'un des huit points de contrôle officiels de la ligne de démarcation :
Le 15 août 1940, le trafic ferroviaire connut un déblocage salvateur. Les Allemands ouvrirent la ligne de démarcation aux trains, mais en ayant pris soin d'instaurer huit points de contrôle et de passages officiels à Orthez, Mont-de-Marsan, Montpont, Mignaloux, Vierzon, Moulins-sur-Allier, Paray-le-Monial et Chalon sur-Saône.
Source : La ligne de démarcation de Eric Alary (PUF, 1995) (p. 58)
Martin Chauney, dans son ouvrage Chalôn-sur-Saône dans la guerre : 1939 / 1945 (Horvath, 1986) explique par quel dispositif de contrôle l'occupant régulait drastiquement la circulation des personnes et des marchandises (p.32) :
Pour franchir la ligne, il fallait un laisser-passer (Ausweis : carte d'identité), d'abord un simple carton délivré sur la présentation de la carte nationale d'identité - facile à contrefaire et, pour cette raison, rapidement remplacé par un document à deux volets, avec photographie, incessible, valable pour une durée limitée et un parcours noté, accordé ou refusé par un officiel allemand dans la salle de Justice de paix à l'Hôtel de Ville. De longues files d'attente se formaient chaque jour dans la cour de la mairie, bientôt canalisées par des barrières.
Ces contrôles autant tragiques qu'ubuesques, sont illustrés par des photographies dans le livre. Une partie de ces clichés pris sur le pont des Chavannes ou sur le pont Jean-Richard sont visibles sur le site des archives municipales de Chalon. Concernant les contrôles en train, Eric Alary indique que la police française, à qui en incombait la charge, manquait la plupart du temps d'effectifs pour vérifier correctement et sans délais les papiers des voyageurs. Ils disposaient d'une vingtaine de minutes tout au plus pour vérifier les trains se rendant en zone occupée. A la longue, il aurait donc été décidé que les contrôles ne s'effectueraient non plus en gare mais directement à bord des trains (p. 61 - 62).
Pour nous assurer des modalités de déplacement entre Lyon et Le Chambon-sur-Lignon en zone occupée en 1942, nous avons consulté des ouvrages documentant les réseaux de sauvetage d'enfants juifs et les différentes formes de résistance qui se sont organisées à Chambon et sur le "Plateau". Haut lieu d’entraide et d'humanisme, de nombreux réfugiés et persécutés des régimes nazi et vichyste ont été accueillis cachés et sauvés par les habitants de cette région de Haute Loire. Enfants et réfugiés ont été mis en sécurité en profitant de réseaux de solidarités très étendus, allant d’Ardèche et de la Drôme jusqu'en territoire suisse. Ces chemins de fuite et d'accueil sont présentés dans le livre Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon : Le Plateau, terre d'accueil et de refuge d'Aziza Gril-Mariotte (Dolmazin, 2017). Ainsi, pour rejoindre Chambon, on prenait le plus souvent le train depuis, avec un arrêt ou une escale à Saint-Étienne (p. 38) :
L’arrivée sur le Plateau se faisait le plus souvent par le train depuis Lyon-Saint-Etienne ou depuis la vallée du Rhône par le Cheylard et Saint Agrève. Les filières sont d'abord liées aux organismes officiels qui obtiennent des autorisations de la préfecture, pour accueillir des personnes sorties des camps d'internement au sud de la France. Puis des filières clandestines se mettent en place. Le contexte diffère souvent d'un témoignage à un autre, de nombreux réfugiés arrivent tout au long de la guerre, par leurs propres moyens, grâce au bouche-à-oreille ou pour y avoir passé des vacances avant la guerre.
Même son de cloche dans le livre Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon (Dolmazon, 2018) qui, à la p. 27 introduit l'organisation des filières d'extraction pour la Suisse et qui, carte à l'appui, illustre l'itinéraire emprunté en train par les réfugiés direction Genève. Le premier part de Chambon pour rejoindre Saint-Étienne et Lyon. Le second passe par Valence, Romans, Grenoble, Chambéry, Annecy puis Collonge-sous-Salève.
Si aujourd'hui l'axe Lyon - Le Chambon-sur-Lignon n'est plus praticable en train, vous pouvez vous représenter l'itinéraire précis emprunté à l'époque grâce au travail minutieux du site Archéologie ferroviaire, atlas des chemins de fer disparus. En parcourant la carte générale de France métropolitaine, vous pourrez apercevoir autour de Chambon, l'ensemble des axes ferroviaires disparus ou désaffectés et les communications qui faisaient communiquer les deux villes.
Aussi, le site Inventaires ferroviaires de France pourrait être un atout pour le travail préparatoire de votre roman. Il répertorie d'autres excellentes ressources dont un fichier IFF à télécharger des anciennes cartes ferroviaires de France.
Pour notre part, nous ne pouvons que vous encourager à consulter les ouvrages suivants :
La Montagne refuge: accueil et sauvetage des Juifs autour du Chambon-sur-Lignon / sous la direction de Patrick Cabanel, Philippe Joutard, Jacques Sémelin, Annette Wieviorka (Albin Michel, 2013)
Une ville sous l'Occupation : Moulins, sur la ligne de démarcation, au nord de Vichy / de Julien Bouchet (Bleu autour, 2021)
Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon : le Plateau, terre d'accueil et de refuge / publié sous la direction d'Aziza Gril-Mariotte ; avant-propos Eliane Wauquiez-Motte ; préface Patrick Cabanel (Dolmazon, 2017)
La ligne de démarcation (1940-1944) - ressource numérique hébergée sur le site du ministère des armées.
La ligne de démarcation en Saône-et-Loire [D.V.D.] / réal. de Jean-Michel Dury (2010)
Bonne journée,
DANS NOS COLLECTIONS :
Ça pourrait vous intéresser :
Commentaires 3


