Quand et comment s'est déroulée la rentrée des classes à Paris en septembre 1940 ?
Question d'origine :
Bonjour le Guichet
dans le cadre de mon prochain roman (sur un enfant juif pendant la seconde guerre mondiale) je tente de trouver des précisions mais difficile de s'y retrouver. Vous m'avez déjà aidé pour deux points (ferroviaire et scolaire)
Quand a eu lieu la rentrée en 1940 à Paris ? J'ai lu le 2 septembre 1940 alors que habituellement c'était en octobre. Pouvez-vous me confirmer que j'ai la bonne information ?
Je voudrais savoir si dès cette rentrée de 1940, il y a trace de cas d'élèves juifs mis à l'écart comme par exemple au fond de la classe ? Ou si cela a plutôt eu lieu lors des rentrées 1941 et 1942 ?
Question maintenant sur la carte d'identité :
J'ai lu sur Wikipédia sur la page "https://fr.wikipedia.org/wiki/Tampon_«_Juif_»_en_France" que "Mais la carte d'identité n'est pas encore généralisée en France. Il existe bien une « carte d'identité d'étranger » depuis un décret d'avril 19174 mais elle ne concerne pas les Juifs de nationalité française. Pour faciliter le contrôle de la population et la mise en œuvre de ce type de mesures, le régime de Vichy ordonne donc par la loi du 27 octobre 19405 que tout Français âgé de plus de seize ans justifie de son identité par la production d'une carte d'identité appelée la « carte d'identité de Français »6,7."
donc dans mon roman qui raconte la vie d'une fillette juive de 10 ans, cette carte ne concernerait que les parents de l'héroïne. Elle n'aurait pas elle-même de papiers avec la mention "juif" ?
Lorsque la fillette va passer en zone libre, illégalement en juillet 1942,devra-t-elle posséder une carte d’identité ? ou quel autre type de papier (qui sera donc un faux dans le roman)
Grand merci mon cher Guichet
Re coucou le guichet, mince j'ai envoyé trop vite ma précédente question et je me rend compte d'une chose je n'ai pas précisé que je recherche pour les juifs de FRANCE alors que le site que j'ai consulté (et cité dans ma question) concerne les juifs allemands " Après l'éclatement de la guerre le 1er septembre 1939, le gouvernement imposa de nouvelles restrictions aux Juifs qui restaient en Allemagne."
Réponse du Guichet
La rentrée scolaire de 1940 a bien eu lieu le 2 septembre pour l'école élémentaire mais aucune disposition spéciale n'excluait les enfants juifs dans les écoles (contrairement à leurs parents en dehors). Dès le mois d'octobre en revanche, les enseignants juifs sont exclus de la fonction publique et interdits d'exercer. La carte d'identité commence peu à peu à se généraliser à compter d'octobre 1940 à la demande des autorités vichystes, mais le papier ne s'impose peu à peu qu'aux individus de plus de 16 ans. Des faussaires ont falsifié l'identité de nombreux enfants, en effaçant notamment la mention "juif" des cartes d'alimentation d'identité. Plusieurs documents étaient demandés par les autorités lors du passage de la ligne de démarcation : laissez-passer, carte d'identité, certificats de domiciliation etc. Il fallait les contrefaire pour se présenter aux points de passage officiels ou les contourner illégalement.
Bonjour,
En utilisant le site RetroNews, le service de presse de la Bibliothèque nationale de France, qui numérise et publie plus de 2000 anciens titres de presse jusqu'en 1952, nous avons trouvé la date de la rentrée scolaire de 1940. Celle-ci était en effet prévue au 2 septembre pour l'enseignement primaire, au 15 septembre pour l'enseignement secondaire et au 1er octobre pour l'enseignement supérieur comme l'indiquent les journaux Le Temps et l’Oeuvre le 24 aout 1940 ou la Dépêche du Berry le 26.
L'arsenal législatif anti-juif de l’État français n’était pas encore tout à fait déployé lors de la rentrée scolaire 1940. Le premier statut des juifs allemands est publié le 27 septembre, il s'attaqua à leurs biens, imposa un écriteau "juif" sur les devantures des magasins ou interdit un retour en zone occupée pour les Juifs ayant franchi le zone de démarcation. Vichy prit le relai le 3 octobre, avec un premier statut des juifs qui exclut, sauf exceptions, les juifs de la fonction publique, de l'armée et de la presse. Les enseignants juifs sont donc exclus du système scolaire dès le mois d'octobre, mais les enfants ne sont pas concernés même si la persécution et la stigmatisation des parents de ces élèves dans la société a nécessairement eu des conséquences dans la vie des enfants et à l'école. L'étoile jaune doit être portée pour tous les enfants juifs de plus de 6 ans à partir du 6 juin 1942 en zone nord.
En effet, la carte d'identité est généralisée en France sous Vichy avec la loi du 27 octobre 1940 afin d'uniformiser des pratiques jugées trop diverses. Vous retrouverez sa publication au journal officiel de la République française en téléchargeant le document sur le site LégiFrance. Il est bien précisé dans la loi que cette carte ne s'adresse qu'aux Français âgés de 16 ans et plus.
Concernant les tampons portant la mention "Juif" sur ces mêmes pièces d'identité, nous retrouvons l'explication dans l'article de l'historien René Poznanski : Le fichage des juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale et l'affaire du fichier des juifs publié à la Gazette des archives en 1997 (disponible sur Persée) (p. 255) :
Le jalon suivant dans ce pointage continuel fut posé par la loi française du 11 décembre 1942 « relative à l'apposition de la mention « juif » sur les titres d'identité délivrés aux Israélites français et étrangers ». Nouvelle convocation - toujours aux mêmes lieux - afin de faire apposer un tampon non seulement sur la carte d'identité de tous les juifs, mais également sur leur carte individuelle d'alimentation. L'opération fut menée rondement dans les préfectures de la zone sud et 140 000 juifs s'y présentèrent pour faire tamponner leurs titres d'identité. La circulaire du chef du gouvernement relative à l'application de cette loi recommandait bien aux préfets de «fins conserver de vérification la trace de l'identité des personnes ayant accompli cette formalité », aux fins de vérification.
Pour leur part, les juifs de zone occupée - dont les titres d'identité trahissaient la qualité de « juif » depuis l'automne 1940 - durent présenter au tampon leur carte d'alimentation.
Pour les juifs de la zone non occupée, R. Poznanski fait référence aux lois antijuives de 1940 en zone occupée. L'espace pédagogique du site du Mémorial de la Shoah en rappelle les dispositions, et mentionne que dès octobre 1940, le chef de l'administration militaire allemande aurait exhorté les personnes juives à se présenter au commissariat de leur domicile pour recevoir des cartes d'identité portant la mention "juive" ou "juif".
Pour la construction de votre roman, nous vous invitons à jeter un oeil du côté du célèbre faussaire Adolfo Kaminsky qui s'employa pendant la guerre, depuis des laboratoires clandestins, à créer jours et nuits de faux papiers d'identité à destination de personnes juives, dont énormément d'enfants. Intégré dans des réseaux de résistance, il sauva la vie d'un nombre incalculable d'enfants juifs en leur permettant de rejoindre la zone libre, l'étranger ou de vivre sous une autre identité. Dans cette archive de l'INA qui présente son histoire, le livre écrit par sa fille (Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire / Sarah Kaminsky, 2009) et une interview télévisée, A. Kaminsky parle des cartes d'alimentation des enfants, et évoque la mention "Juif" qui était apposée. Celles-ci servaient aussi à justifier l'identité des enfants de moins de 16 ans.
Le site gouvernemental Chemin de Mémoire, dans un long PDF (premier lien Google) fouillé sur la ligne de démarcation donne de plus amples précisions quant aux documents qu'il fallait présenter pour pouvoir la traverser. Un faussaire de la trempe de Kaminsky aurait pu falsifier ces papiers :
Cette ligne de démarcation fait l’objet d’une surveillance rigoureuse de la part des autorités d’occupation. Son franchissement est soumis à autorisation et ne peut s’effectuer qu’aux points de passage officiels sur présentation d’une carte d’identité et d’un Ausweis (laissez-passer) délivré par les Kommandanturen (bureaux de l’autorité allemande chargés de l’administration militaire ou civile d’une zone déterminée du territoire). Toute demande s'accompagne d'un dossier complet transmis aux autorités allemandes, comprenant photos d’identité, certificat de domiciliation, motif de la demande... Les laissez-passer n’étant accordés que dans des cas reconnus d’urgence (naissances, enterrements ou maladies graves de proches parents), ce sont donc des démarches et des attentes interminables auxquelles se trouvent confrontés les candidats à la traversée. Les tracasseries administratives sont multiples et dissuasives. Par ailleurs, les personnes qui résident à proximité de la ligne de démarcation, soit à l’intérieur d’une zone de dix kilomètres de part et d’autre de la ligne, peuvent demander des "Ausweis für den kleinen Grenzverkehr" (laissez-passer pour la petite circulation frontalière) qui leur permettent de circuler pour un temps déterminé sur le territoire de leur département coupé en deux. La délivrance de ces laissez-passer est du ressort des Feldkommandanturen et des Kreiskommandanturen locales.
Enfin, vous pourriez aussi vous inspirer du documentaire La passeuse des Aubrais, 1942 de Michael Prazan (disponible en ligne avec un abonnement BmL) pour parfaire et crédibiliser le scénario de votre roman. En voici un extrait sur YouTube.
Le résumé :
Originaire de Varsovie, Abram Prazan arrive en France dans les années 1920. À Paris, il épouse Estera. Juive polonaise comme lui, elle vient d'un shtetl de la région de Lodz. Deux enfants naissent : Jeannette, en 1932, et Bernard, trois ans plus tard. Abram ouvre deux boucheries ; ses affaires tournent bien jusqu'à la guerre. Après la débâcle de 1940, la mise en œuvre par Pétain de la politique de collaboration avec l'occupant donne lieu à des lois antisémites. D'abord exclus de presque toutes les professions, les juifs sont ensuite spoliés de leurs biens, puis arrêtés et déportés. Dès mai 1941, Abram est interné au camp de Pithiviers dans le Loiret. Déporté à Auschwitz-Birkenau, il n'en reviendra pas. Pas plus qu'Estera, détenue à Drancy et déportée à son tour en juillet 1942. Gisèle, sa sœur, décide de faire quitter Paris à ses neveux, dont elle a désormais la charge. Elle les confie à une jeune femme qui doit les faire passer en zone libre. Grâce à elle, Bernard et Jeannette vont vivre…
Avant que Bernard, son père, n'accepte en 2006 de participer à une collecte de témoignages de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l'écrivain et documentariste Michaël Prazan en savait peu sur ce qu'avait été son enfance meurtrie. Dans ce film en forme d'enquête, le témoignage de Bernard tient une large place. Alors septuagénaire, il raconte l'histoire de ses parents, sa vie d'enfant caché en zone libre, privé d'école et balloté de ferme en ferme. Mais il en dit peu sur la "passeuse" qui lui a fait franchir la ligne de démarcation, et sur les relations troubles de cette dernière avec le gestapiste français Pierre Lussac. Au terme de minutieuses recherches, le réalisateur parvient à la retrouver à Houlgate, sur la côte normande. Thérèse L., rescapée des camps, raconte à son tour. Fruit d'un patient travail d'enquête, de recoupements et de doutes, le film de Michaël Prazan représente aussi le vibrant cri d'amour d'un fils à son père.
En espérant avoir répondu à vos questions,
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