Comment vivait une jeune fille parisienne issue d'un milieu bourgeois en 1789 ?
Question d'origine :
Bonjour,
Pourriez-vous me donner des informations sur les conditions de vie d'une fille de 13 ans en 1789 qui appartennait à une famille bourgeoise parisienne?
Par avance merci !
Réponse du Guichet
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Il existe des sources historiques et des monographies sur la vie des familles à l'époque révolutionnaire. De nombreuses observations portent sur l'orientation de l'éducation des jeunes filles bourgeoises.
Bonjour,
Quelques monographies apportent des éléments qui peuvent vous intéresser, essentiellement concernant l’éducation des jeunes filles.
Dans l’ouvrage "Des femmes au quotidien de 1750 à nos jours", Marie-Odile Mergnac retrace le tableau de vie d’une fille issue de la bourgeoisie. Souvent renvoyée chez une nourrice paysanne qui l’allaite, la fillette revient trois ans plus tard dans sa famille. Elle la connaît donc à peine et parle le patois comme celle qui l’a élevée. Petit à petit, elle apprend les modes de vie bourgeois, suit parfois les mêmes cours que son frère. Il existe des préceptrices chargées d’éduquer les jeunes filles, auxquelles il est interdit d’accéder au collège et à l’université. Dans de nombreux cas, c’est la mère qui prend en main l’instruction de ses filles, basée sur l’apprentissage de la lecture avec des livres de prière, la couture et la broderie, mais aussi le chant et la musique. Pour en faire une bonne gestionnaire du foyer, il faut lui enseigner à « chiffrer », c.a.d. compter et additionner. Si la mère est assez cultivée et la maison dotée d’une bibliothèque assez riche, la fillette apprend également les bases d’histoire et de géographie. Le catéchisme, en revanche, est enseigné par le curé.
Dès ses quinze ans, la famille pense à la marier. S’il y a plusieurs sœurs, c’est l’aînée que les parents cherchent à marier la première. En principe, le rang de naissance définit le rang au mariage. Selon l’écrivain Agénor Bardoux (1829-1897), "la Révolution abaisse temporairement l’âge légal du mariage à 13 ans et 15 ans (1792), donnant pendant quelques années la majorité à 18 ans, et limite la puissance paternelle à 21 ans (1790)."
C’est ainsi qu’il décrit la vie d’une jeune fille à cette époque :
A Paris, la bourgeoisie ne met plus ses filles au couvent que pour leur première communion. Elles passent leur vie près de leur mère. On sort deux fois par semaine en toilette: le dimanche, pour les offices et la promenade; un autre jour, pour les visites entre parents; on les conduit cependant au Salon de peinture, mais elles ne vont au théâtre que lorsqu'elles sont mariées. On leur donne des maîtres à domicile; au sortir des deux années passées au couvent, elles s’instruisent presque toutes seules, lisant les mêmes livres que leurs frères. L’éducation sentimentale entre enfin dans la bourgeoisie féminine. La jeune fille devient attentive au mouvement des faits et des idées ; elle sent et elle se passionne. Dans cet intérieur discret où elle est aimée, où sa jeunesse s’écoule austère, elle n’est plus aussi pieuse et plus du tout dévote.
Si vous voulez la voir vivre et marcher, la surprendre dans ses habitudes, regardez-la dans les tableaux de Chardin, avec ses manches relevées à la saignée du bras, son tablier à bavette, sa guimpe noire, sa croix à la Jeannette, sa jupe de calmande rayée ! Regardez-la encore en toilette de dimanche, son manchon à une main! Elle va se rendre au sermon avec sa mère en coqueluchon noir, la jupe à retroussis. Elle arrange le nœud de sa fanchon ou son ruban au parfait contentement. C’est l’intérieur du ménage avec l'activité, l’ordre, la règle des heures, les joies modestes du devoir. Il y passe comme un parfum léger de félicité domestique.
Source : La Bourgeoisie française pendant la Révolution in Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 73,1886 (p.396-422).
Le romancier et essayiste de renom qu’est Louis Sébastien Mercier (1740-1814), observateur attentif de la société, directeur du Journal des Femmes, livre une tout autre image de la vie des jeunes filles bourgeoises. Dans son Tableau de Paris (1781-1788), il écrit des lignes très critiques sur les dangers qui guettent ces jeunes filles issues de la petite bourgeoisie :
L’année de leur Première Communion n’est que trop souvent, hélas! le terme de leur sagesse (…). Il y a plus de péril pour elles que pour les filles d’une classe plus élevée; déjà des séducteurs opulents et libertins viennent les reconnaître à l’église où elles implorent les secours de la grâce contre les attentats du vice; l’œil du vice les convoite lorsqu’elles baissent modestement les yeux.
Source : Les femmes de Paris à l’époque des Lumières, éd. Tallandier, 2012 (p. 68).
Ce ton grinçant revient lorsqu’il pointe du doigt les erreurs éducatives et manquements dans l’instruction reçue par jeunes filles, futures épouses et mères. Ses remarques sont très pertinentes et très modernes d’un point de vue psychologique et sociologique :
Qu’on daigne regarder avec réflexion ces marionnettes que l’on voit dans nos promenades, préluder aux sottises et aux erreurs du reste de leur vie. Le petit monsieur, en habit de tissus, et la petite demoiselle, coiffée sur le modèle des grandes dames, sous les auspices d’une bonne imbécile, les originaux de ce qu’ils seront un jour. (…) C’est dans la capitale surtout que ces abus existent. Si l’on voudrait me permettre de prendre le ton de la philosophie, je demanderais si le lien de l’hyménée n’est pas trop sacré pour en faire ainsi l’objet de la première farce de la vie.
Quand la petite demoiselle a amusé pendant ses sept ou huit premières années le papa et la maman par son caquet et ses singeries, lorsqu’elle a bien appris à contrefaire les poupées du Sieur Audinot [directeur d’un théâtre de marionnettes], la plus mauvaise des écoles pour le théâtre comme pour les peurs, on songe à la mettre au couvent pour y prendre quelque teinture, et remplir les premiers actes extérieurs de religion. C’est à travers ces sentiers qu’une femme destinée à être épouse et mère marche jusqu’à l’âge de nubilité. Pendant ce temps, pas un mot sur des devoirs dont elle devra s’occuper au sein de sa famille. Cette négligence, à la vérité, est un peu justifiée à la corruption de nos mœurs; car si l’on oublie d’instruire les femmes de leurs devoirs, on les dispense de les remplir. Mais n’est-ce pas les rendre méprisables et nous rendre malheureux ? (p. 210-211).
Pour aller plus loin :
L’enfant, la famille et la Révolution française sous la dir. de Marie-Françoise Lévy, éd. Olivier Orban, 1990;
Le roman conjugal. Chroniques de la vie familiale à l’époque de la Révolution et de l’Empire d’Anne Verjus et Denise Davidson, éd. Champ Vallon, 2011;
Les femmes et la Révolution (1770-1830) de Christine Le Bozec, éd. Passés Composés, 2019.
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