Dans quels cas disposons-nous de notre liberté de choix ?
Question d'origine :
Quelles sont les choses dans notre vie pour lesquelles nous sommes libres de choisir? Quelles sont celles pour lesquelles nous n'avons pas cette liberté de choix?
Réponse du Guichet
L'être humain est-il vraiment libre de ses choix ? La réponse à votre question variera selon les différents courants de pensée philosophiques et psychologiques considérés ainsi qu'en fonction des études réalisées en neurosciences. Nous ne saurions ici trancher ce vaste débat. En revanche, voici quelques éléments d'information qui pourront vous permettre de vous faire votre propre idée de la réponse.
Bonjour,
Sommes-nous libres de nos choix ?
La réponse à votre question sera différente selon les différents courants de pensée considérés. Nous ne saurions ici trancher ce vaste débat mais nous pouvons néanmoins présenter quelques éléments d'information susceptibles de faire avancer votre réflexion.
Nous citions dans cette précédente réponse (que nous vous invitons à lire) quelques éléments de définition de la liberté extraite de Philosophie magazine :
«La liberté est en général l’objet d’une triple analyse.
C’est d’abord une notion métaphysique. Il s’agit alors de savoir si l’homme est libre ou déterminé par des contraintes qu’il ne maîtrise pas. S’il est la cause première de ses choix, on dit qu’il possède un libre-arbitre (aussi appelé liberté d’indifférence). Mais un tel pouvoir – qu’il ne faut pas confondre avec une volonté capricieuse, sujette aux élans pulsionnels – est difficilement démontrable et semble déroger aux lois de la nature qui reposent sur un déterminisme strict dont l’acceptation relèverait cependant du fatalisme.
C’est ensuite une notion morale. Pour Kant, la liberté, ne pouvant être démontrée, doit néanmoins être postulée afin que la morale soit possible. En effet, seul un être libre peut choisir entre le Bien et le Mal, car, pour devoir, il faut d’abord pouvoir. Réciproquement, selon Kant, seul un être moral peut être libre : la liberté est alors synonyme d’autonomie. A contrario, celui qui veut jouir sans contrainte morale est appelé libertin.
C’est enfin une notion politique. On oppose ici le citoyen libre (appelé d’ailleurs en latin: liber, d’où vient le mot « liberté ») à l’esclave. Lorsque l’État exerce peu de contraintes sur l’individu, on parle d’un État libéral. Si l’individu estime que les lois sont trop contraignantes et empêchent l’exercice de sa liberté (qu’elles sont liberticides), il lui arrive de contester l’État sous toutes ses formes. Un tel individu est dit alors libertaire ou anarchiste.»
Nous vous proposons de lire le très clair article de Philippe GRANAROLO. LIBERTÉ (notions de base) publié dans l'Encyclopædia Universalis qui présente les principaux courants de pensée.
Certains pensent que la liberté est l'essence de l'homme et que nous sommes entièrement libres de nos choix. D'autres dirons que nous sommes soumis à un déterminisme, conscient ou inconscient ou que nous subissons des contraintes imposées par la loi et la nature. C'est alors par la connaissance des limites de nos libertés de choix que nous pouvons justement reconquérir cette liberté.
C'est ce qu'explique Charles Pépin dans sa chronique sur France Inter :
Nos choix sont [...] fortement conditionnés par notre milieu ou notre classe sociale, que nous n’avons pas non plus choisis, par notre petite enfance, par la situation psychique liée par exemple à notre place dans la fratrie, par l’éducation que nous avons reçue, par notre génome, par notre corps, par nos affects, par notre inconscient… Je pourrais continuer encore longtemps. Je pourrais me référer à ces trois grands philosophes que l’on appelle les philosophes du soupçon, et qui sont quasiment contemporains - Marx, Nietzsche et Freud - et que soupçonnent-ils au juste ? Qu’il y ait sous notre prétendue liberté, sous nos prétendus choix libres, bref sous l’illusion du libre-arbitre, autre chose qui fait que justement, nous ne choisissons pas vraiment :
Pulsions inconscientes refoulées pour Freud...
Instincts profonds pour Nietzsche...
Logiques de classes sociales pour Marx…[...]
Attention, comprenez-moi bien, nous sommes certes peu libres, très fortement conditionnés, très fortement influencés, très fortement menacés dans notre liberté, mais il nous reste je crois un espace de liberté possible. D’abord parce que nous avons plusieurs maîtres qui veulent nous asservir en même temps et qui se font la guerre entre eux, ce qui rend finalement notre liberté possible. Si nous étions simplement déterminés par notre inconscient au sens freudien, ou simplement déterminé par notre classe sociale au sens marxiste, ou simplement déterminés par notre génome, nous n’aurions aucune liberté ; nous serions comme des choses soumises à une loi inéluctable. Mais en se rencontrant, toutes ces forces qui nous travaillent recréent du hasard, de la contingence, et donc de la liberté possible.
Mais surtout, au lieu d’être dans le déni de toutes ces forces qui nous travaillent, et de répéter précisément « on a toujours le choix » comme un mantra ou un vœu pieu », commençons par essayer de connaître ces forces en présence, de monter en lucidité avant de vouloir monter en liberté. Plus nous connaitrons combien nous sommes peu libres, plus nous pourrons reconquérir notre liberté. [...]
Comme si la connaissance de tout ce qui limite ma liberté pouvait devenir condition de possibilité de cette même liberté.
Source : "Avons-nous toujours le choix ?" / France Inter
A lire aussi :
- La liberté, réalité ou illusion ?
- La liberté / Nicolas Tenaillon Philosophie magazine - 01 août 2012
Votre question pose celle du libre-arbitre. En philosophie, le libre arbitre est ce qui distingue l'homme de l'animal. Dans Un nouveau libre arbitre de Krystèle Appourchaux, les différentes conceptions du libre arbitre sont exposées dans son chapitre 1 : Libre arbitre et déterminisme : quelques définitions. Nous vous laissons le parcourir.
Les chercheurs en neurosciences s'interrogent également à ce sujet et pourraient peut-être trancher ce débat millénaire.
Le terme de libre arbitre – en anglais free will,« volonté libre » – désigne en français la capacité de choisir et de se déterminer librement et par soi-même, indépendamment de toutes les déterminations, influences et pressions que l’on peut subir. Décidons-nous nous-mêmes de nos actions grâce à notre conscience et à notre réflexion, ou celles-ci ne sont-elles que des chambres d’enregistrement d’un mécanisme qui s’effectue indépendamment de nous ? La question divise les philosophes depuis des millénaires. Déjà, dans le Phédon de Platon, par exemple, Socrate s’oppose à Anaxagore qui prétendait tout expliquer physiquement, c’est-à-dire par des causes matérielles comme « l’air, l’éther, l’eau », sans tenir compte des décisions que nous prenons librement. Plusieurs siècles plus tard, certains philosophes comme Descartes ont fait de l’existence du libre arbitre un fondement de la leur philosophie, tandis que d’autres, comme Spinoza ou Nietzsche, l’ont tenu pour une simple illusion qui ne saurait contrevenir à l’ordre du monde.
La science comme arbitre ? L’argument de la neurobiologieOn comprend, dans ces conditions, l’espoir de voir la science venir jouer le rôle d’arbitre – libre ? – et trancher le débat. Alfred Mele identifie en effet deux grands types d’arguments scientifiques qui sont fréquemment utilisés par ceux qui veulent prouver l’inexistence du libre arbitre. Le premier, issu des neurosciences, considère que nos décisions sont prises de manière inconsciente dans le cerveau et que la conscience n’intervient qu’après coup pour prendre connaissance de ce qui s’est décidé en amont d’elle. C’est ce que semblent avoir montré les travaux du psychologue et neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) avec ses électroencéphalographes reliés à des chronomètres, lesquels ont permis de mesurer l’antériorité d’une activité cérébrale par rapport au moment où s’effectue une décharge musculaire (qui elle-même correspond à un mouvement intentionnel). Mais Alfred Mele en conteste les conclusions que certains ont cru pouvoir en tirer : selon lui, il n’est pas sûr que les électroencéphalographies repèrent le moment où se décide l’action, car elles peuvent ne marquer que « la préparation à une action, même quand la personne n’a pas l’intention de l’accomplir ».
La science comme arbitre ? L’argument de la psychologie socialeLe second argument vient de la psychologie sociale et repose sur le fait qu’il existe des facteurs qui influencent nos comportements à notre insu, en particulier les situations dans lesquelles nous nous trouvons et qui nous poussent à agir inconsciemment dans un sens ou dans un autre. Mais qu’il s’agisse des cobayes de l’expérience de Milgram ou des gardiens de prison de l’expérience de Stanford, il faut – là encore – prendre garde avant de conclure à une quelconque forme de déterminisme, prévient Mele. Pour ce dernier, en effet, les acteurs de ces expériences gardaient leur libre arbitre : « Qu’ils n’aient pas résisté n’exclut pas qu’ils avaient la liberté de le faire. […] La situation ne leur a pas ôté toute autre option », et un comportement différent reste toujours possible, parce qu’aucune situation ne saurait nous transformer en pur et simple automate ou, pire, en zombie.
Source : Le libre arbitre existe-t-il ? / Frédéric Manzini - philosophie magazine - 23 mars 2022
Lire aussi :
Le libre arbitre à l'épreuve de la science / Alfred R. Mele
Nous vous invitons à consulter cette autre réponse du Guichet du savoir qui liste plusieurs articles scientifiques sur cette question : libre-arbitre.
Si vous souhaitez aborder cette question d'un point de vue plus psychologique, comprendre la raison de nos choix, nous vous renvoyons vers ces documents publiés récemment :
Comprendre nos choix : avec la psychologie de la motivation de Paul Diel / Jean-Manuel Traimond, 2023
En se basant sur une méthode d'auto-observation, le psychologue franco-autrichien Paul Diel a proposé une description réaliste du fonctionnement psychique dans ses différents aspects. Cet ouvrage guide le lecteur à la découverte de la psychologie de la motivation afin de rendre accessible sa théorie de l'équilibre mental et de faire apprécier ses nombreuses applications concrètes.
L'art de bien décider Books, n° 106, 2020
Un dossier consacré aux processus psychologiques qui conduisent à prendre une décision, que ce soit dans la sphère individuelle, professionnelle ou encore politique. Les contributeurs mettent en lumière le faible impact des facteurs véritablement rationnels, au profit de l'intuition, des sentiments, des préjugés, de l'idéologie ou encore de la pression de l'entourage.
Eloge de la liberté : parce que c'est si bon d'avoir le choix / Véronique Aïache, 2019
Une défense du principe de choix, pour aider à prendre conscience des possibilités qui s'offrent à chaque individu et à trouver le courage de conquérir sa liberté.
Et un article de Hélène Fresnel publié dans le magazine Psychologies : Sommes-nous libres de nos choix ?
Quelques cas concrets sont abordés dans ces documents :
Je choisis, donc je suis : comment prenons-nous les grandes décisions de notre vie ? / Sophie Guignard, 2021
A partir d'études en neurosciences, en biologie, en psychologie, en sociologie et en philosophie, l'auteure propose un essai sur la prise de décision à l'échelle d'une vie. Elle évoque un certain nombre de parcours personnels originaux qui permettent d'ouvrir des réflexions sur les choix de vie et amènent le lecteur à réfléchir sur sa propre situation.
Alors, heureuses ? / Viviane Teitelbaum, 2018
Les auteures analysent les raisons et les obstacles qui empêchent les femmes d'effectuer un libre choix, que celui-ci soit économique, culturel, cultuel ou intime. Elles montrent aussi que dans différents sujets de société, le choix est instrumentalisé pour justifier le sexisme ou les discriminations. Elles soulignent également que la liberté de choisir se heurte souvent au jugement des autres.
Pour aller plus loin, quelques livres présents à la Bibliothèque municipale de Lyon :
L’existentialisme est un humanisme / Jean-Paul Sartre
Méditations métaphysiques / René Descartes
La question de la liberté chez Descartes : libre arbitre, liberté et indifférence / Hélène Bouchilloux
Suis-je libre ? : désir, nécessité et liberté chez Spinoza / Jean-François Robredo
Généalogie de la liberté / Olivier Boulnois
Si malgré tout, vous n'arrivez pas à opérer vos propres choix, en toute liberté, sachez que des informaticiens ont mis au point un algorithme capable de vous aider à prendre des décisions : Penser en algorithmes : comment de simples stratégies inspirées de l'informatique peuvent transformer votre vie / Brian Christian et Tom Griffiths :
Que faut-il faire, ou ne pas faire, au quotidien et au cours de notre vie? Quel degré de désorganisation pouvons-nous accepter? Quelle part de nouveauté et de familier une existence épanouie doit-elle comporter? Si ces préoccupations semblent exclusivement humaines, elles ne le sont pas.
Tout comme nous, les ordinateurs sont confrontés à des limites de temps et d’espace. Les informaticiens se sont emparés de ces questions depuis longtemps; les solutions qu’ils ont trouvées ont beaucoup à nous apprendre.
Brian Christian et Tom Griffiths montrent dans ce best-seller comment les algorithmes développés pour les ordinateurs apportent des réponses optimales aux interrogations humaines: comment améliorer son intuition, quand laisser faire le hasard, comment faire face à des choix importants et comment mieux communiquer avec les autres. De la recherche d’un conjoint à celle d’une place de parking, de l’organisation de sa boîte e-mail à la gestion de son temps, Penser en algorithmes transforme la logique informatique en autant de stratégies pour la vie de tous les jours.
Bonne journée.