Question d'origine :
Bonjour à tous. Comment sont fixées les frontières ? Merci.
Réponse du Guichet

Les limites naturelles ne suffisent à fixer les frontières qui sont issues d'une longue histoire. Enjeux de pouvoir, de domination, les frontières sont tristement d'actualité.
Bonjour,
Pour comprendre comment sont fixées les frontières il importe de revenir sur la signification même de la frontière. Diverses expositions et essais consacrés à cette thématique présentent celles-ci comme des instruments de délimitation des espaces mais pas que ; elles sont aussi un instrument politique de régulation voire parfois d’affirmation.
Le site Géo Confluences revient sur ces notions et complète les définitions par une importante bibliographie. Il mentionne :
1) Au sens strict, la frontière est une limite fixée par traité entre deux États. En anglais, c'est le sens des mots border, borderline ou boundary line. La frontière comme ligne continue est historiquement récente et datée, elle a caractérisé l'apparition des États modernes, westphaliens. L'effort d'assignation de leurs limites a été rendu possible par le progrès des techniques de localisations géographiques et de cartographie. Auparavant, en l'absence de murailles ou autres fortifications, la frontière était une périphérie incertaine de « marches » à défendre ou de confins peu peuplés ou moins contrôlés.
Limites séparant deux entités territoriales différentes, les frontières, coupures ou coutures, peuvent être plus ou moins fermées, plus ou moins perméables. Tout organisme – individuel ou collectif – sécrète de la frontière, toute culture a ses limites : frontières et limites sont alors des instruments de régulation et de délimitation des systèmes socio-territoriaux. Les frontières s'accompagnent de discontinuités, d'effets de seuil (statistiques par exemple), de gradients plus ou moins accentués qui en sont tout à la fois la cause et la conséquence.
Une frontière ne saurait être « naturelle » en soi. Elle est toujours conventionnelle, produite par les sociétés humaines qui font d'éléments morphologiques de simples supports physiques destinés à en conserver le tracé. Une ligne de crête sur un relief, par exemple, n'est une frontière que si les deux États riverains s'accordent pour le décréter : les communautés locales, pastorales par exemple, s'en affranchissent au quotidien.
Les frontières, si elles peuvent être des lieux de tension, d'incertitude, de confrontation, peuvent être aussi des interfaces actives de stimulation et de compétition fécondées par la présence de l'autre, par ses différences.
2) Dans un sens plus large, la frontière peut être définie comme toute discontinuité entre deux formes différente d'appropriation territoriale, y compris à l'intérieur d'un État. C'est le sens du mot frontier en anglais, qu'on peut traduire aussi en français par front pionnier.
C'est Frederick Jackson Turner qui, en 1893, a théorisé le premier la notion de frontier, front pionnier de la conquête de l’Ouest américain et modèle de la construction du territoire des États-Unis. La frontière intérieure, mobile dans le temps et dans l’espace, répond à deux objectifs souvent concomitants. Le premier consiste à faire coïncider les limites administratives d’un État avec celles de sa maîtrise et de sa mise en valeur spatiale effectives. Dans le second cas, il s’agit de décharger d’autres espaces infranationaux de pressions, essentiellement démographiques. Sous l’effet d’une impulsion politique ou d’initiatives spontanées, l’avancée du peuplement et la valorisation économique traduisent l’intégration progressive dans le territoire national d’espaces considérés comme neufs, au détriment parfois des populations autochtones préexistantes au mouvement.
Dans un article publié sur Géoconfluences, Delphine Acloque (2022) propose une modélisation de six types de frontières, au sens large (frontier) d'après la littérature scientifique. La frontière turnerienne est ici le premier des six types.
Par ailleurs, le Musée de l’immigration a consacré une exposition à ce propos dans laquelle il explique :
« Si l’on excepte les frontières naturelles, qui ont constitué depuis les premières civilisations des barrières physiques à la mobilité humaine (océans, chaînes de montagne, fleuves), les frontières édifiées de main de l’homme ont eu tout d’abord la vocation de marquer son territoire, de se protéger de l’autre, du “barbare”. Les vestiges du mur d’Hadrien en Grande-Bretagne ou la Grande muraille de Chine attestent, en des temps et des lieux distincts, de ces préoccupations. Les frontières y compris intérieures ont également eu pour objectif majeur de contrôler les échanges de marchandises et les recettes fiscales des pouvoirs en place.
La structuration d’un monde en “blocs”, empires coloniaux, bloc communiste, a connu son apogée puis son effondrement à la fin du XXe siècle... »
Le Musée propose une bibliographie sur les Frontières ainsi que des podcast à ce sujet.
En poursuivant ces différentes lectures, vous verrez que les frontières sont établies par la conclusion de traités et d'accords entre Etats, sauf exception. Parfois, les éléments naturels sont pris en compte pour établir le tracé, mais, le plus souvent, il est le résultat de négociations et d'une décision politique, variant au cours de l'histoire.
Pour approfondir la question, vous pourriez consulter :
Qu'est-ce qu'une frontière ? / Solange Chavel, 2023 : "Une réflexion philosophique sur la notion de frontière, à la fois ligne de démarcation délimitant arbitrairement les contours des Etats et lieu privilégié de cristallisation des tensions géopolitiques contemporaines".
Les frontières, au-delà des cartes : sécurité, migration, mondialisation / Daniel Meier, 2023 : "Le monde et les rapports internationaux sont appréhendés à travers le prisme des frontières, lieux structurant l'espace de mouvement dans une oscillation permanente entre flux et contrôle. L'auteur s'interroge sur les effets de la mondialisation, du terrorisme international ou encore de l'immigration".
Les Alpes, une frontière ? / Commissariat, Emmanuel Starcky, Isabelle Warmoes ; [Jean-Yves Frétigné, Alexandre Ruelle, Arnaud Trochet, Pierre Vallet], exposition 2023-2024 : "A partir d'une sélection de plans-reliefs de la région des Alpes, notamment ceux de la forteresse du Mont-Dauphin, construite par Vauban en 1693, et de la forteresse de Fenestrelle, située dans le Piémont, ce catalogue interroge les rapports entre la France et l'Italie à travers les évolutions de leur frontière du XVIe au XXe siècle et la mise en défense du territoire de part et d'autre".
Atlas des migrations dans le monde : libertés de circulation, frontières et inégalités / Migreurop ; [ouvrage dirigé par Sara Casella Colombeau ; traduction, Pascaline Chappart, Isabelle Saint-Saëns ; cartographies, Sarah Bachellerie, Lucie Bacon, Françoise Bahoken, et al.], 2022 : "Une synthèse des enjeux migratoires contemporains en Europe focalisée sur la liberté de circulation. Les grands espaces de circulation, leurs formes ainsi que les imaginaires contradictoires sur le fait migratoire sont notamment évoqués".
Atlas des frontières insolites : enclaves, territoires inexistants et curiosités géographiques / Zoran Nikolić ; traduit de l'anglais par Philip Escartin, 2022 : "Panorama des curiosités frontalières à travers le monde : villes enclavées dans un pays appartenant à un pays voisin, délimitations disparues mais ayant indélébilement marqué le territoire, régions abandonnées par leurs habitants, entre autres".
Frontières : entre histoires et géographies : [exposition, Château de La Roche-Guyon, 19 mai-28 novembre 2021] / [catalogue sous la direction de Michel Foucher], 2020 : "Des réflexions sur la formation des frontières et la géographie de ces lignes imaginaires. Les contributeurs examinent le cas de la France avant d'élargir à l'Europe et à la gestion de ses frontières par l'Union européenne. Sont également abordés le contrôle des mobilités et des flux migratoires, les tensions en mer et sur terre ainsi que les conséquences de la pandémie de Covid-19".
Penser les frontières / Benjamin Stora, Régis Debray ; avec Alexis Lacroix, 2021 : "Dialogue entre un historien contemporanéiste et un philosophe sur la notion de frontière. Elle dessine les contours d'un Etat-nation, elle se franchit pour échapper à des contraintes ou se ferme dans un souci de protection. Au début du XXIe siècle, cette ligne tracée est au coeur de controverses".
Le Cnrs Edition propose un dossier sur les frontières par Michel Foucher englobant une approche historique et politique.