Est-il possible de survivre dans une trappe de train d'atterrissage d'avion ?
Question d'origine :
Bonjour Cher Guichet,
Quel crédit accorder au récit selon lequel un jeune homme aurait survécu le 4 juin 1969 au voyage en trappe de train d'atterrissage d'avion en subissant, sans vêtements chauds, une température de -40° pendant 8 heures ?
Réponse du Guichet
Survivre n'est pas impossible mais relève du miracle. Entre la chute, l'écrasement par le train d'atterrissage, l'hypothermie et l'hypoxie, nombreux sont les risques encourus par les téméraires qui tentent de se cacher dans un train d'atterrissage d'avion.
Bonjour,
Il semblerait que ce récit soit véridique. Si l'immense majorité des tentatives se soldent par un décès, quelques miracles sont recensés, notamment par l'US Federal Aviation Administration. Le corps des passagers clandestins rentreraient dans une sorte d'hibernation qui protègerait les fonctions vitales.
Voici quelques extraits d'un article écrit par Sirin Kale, publié initialement dans The Guardian puis dans le Courrier international : De Nairobi à Londres, sur les traces de l'homme tombé du ciel le dimanche 23 mai 2021 :
Se cacher dans la soute du train d'atterrissage d'un avion de ligne est une idée objectivement suicidaire. C'est quelque chose qu'ont tenté 128 personnes entre 1947 et février 2020, selon les données de l'aviation civile des États-Unis. Plus des trois quarts d'entre elles sont décédées, ce qui n'est pas étonnant dans la mesure où une mort imminente est à craindre à chaque étape.
Le clandestin risque de tomber de l'avion au décollage, comme cela a été le cas de Keith Sapsford, âgé de 14 ans, en février 1970, peu après le départ d'un appareil qui devait rallier Sydney à Tokyo. (Cette scène invraisemblable a été immortalisée par un photographe.) Si le clandestin survit au décollage, il risque d'être écrasé par le train d'atterrissage au moment où celui-ci se rétracte. S'il n'est pas broyé, il mourra sûrement peu après.
Survivre à -54 °C
Environ vingt-cinq minutes après le départ, la majorité des avions de ligne atteignent leur altitude de croisière, à une dizaine de kilomètres du sol. La température extérieure avoisine -54 °C, mais les circuits hydrauliques du train d'atterrissage produisent de la chaleur, ce qui permet de gagner une vingtaine de degrés. Malgré tout, à -34 °C, l'hypothermie a tout pour être fatale.
La pression de l'air à cette altitude est quatre fois plus faible qu'au niveau de la mer. Conséquence, les poumons humains ne sont pas suffisamment alimentés en oxygène. Cette chute rapide de la pression après le décollage peut aussi entraîner ce que les plongeurs appellent la maladie des caissons [un ensemble de pathologies résultant de l'exposition d'un organisme à des compressions ou à des décompressions trop rapides].
Des corps en hibernation
Si le clandestin ne succombe pas au voyage, il aura perdu connaissance au moment où l'appareil entamera sa descente vers l'aéroport d'arrivée. À l'ouverture du train d'atterrissage, à environ 8 kilomètres de la piste, il est probable que la personne tombe de la soute et s'écrase plusieurs centaines de mètres en contrebas. C'est pour cette raison que les corps de ces clandestins sont parfois retrouvés dans le sud de Londres, sous la trajectoire des vols à destination de Heathrow.
Malgré ces risques immenses, certains survivent. Ce qui n'est rien de moins qu'extraordinaire. Les scientifiques ne se l'expliquent pas, mais penchent pour une forme d'hibernation.
Stephen Veronneau, [médecin et] principal spécialiste de la question, a présenté sa théorie dans un document rédigé en 1996 pour l'aviation civile des États-Unis. "La température corporelle peut chuter à 27 °C [une température normale est comprise entre 36,1 et 37,2 °C], voire plus bas. Quand l'avion atterrit, un réchauffement progressif a lieu, ainsi qu'une réoxygénation. Si la personne a échappé à des lésions cérébrales ou à la mort provoquée par l'hypoxie et l'hypothermie, un arrêt cardiaque, l'incapacité à se réchauffer ou des complications graves liées à la décompression, alors dans ce cas, la personne reprend lentement connaissance."
L'article se poursuit avec le récit d'Armando, le jeune homme qui a survécu en juin 1969 :
C'est de Cuba que viennent le plus souvent les passagers clandestins qui se cachent dans un train d'atterrissage. On recense neuf cas depuis 1947. Armando Socarras Ramirez a été le premier. En juin 1969, à 17 ans, Armando a grimpé dans la soute droite d'un Douglas DC-8 qui devait partir de La Havane et arriver à Madrid huit heures plus tard. Après l'atterrissage, le pilote a trouvé Armando allongé sous l'avion, couvert de givre. Il avait arrêté de respirer. "Les médecins espagnols m'ont surnommé le 'bâtonnet de glace'?!" m'a-t-il raconté récemment. Armando a aujourd'hui 69 ans, il est père de quatre enfants qui lui ont donné 12 petits-enfants, et il vit aux États-Unis.
Dès l'âge de 10 ans, Armando savait qu'il voulait quitter Cuba. Son ami Jorge Pérez Blanco, d'un an son cadet, avait eu l'idée de s'infiltrer dans un avion. Ensemble, ils ont fait de la surveillance à l'aéroport de La Havane. "La seule compagnie envisageable était Iberia, précise Armando, car toutes les autres allaient dans des pays communistes. Si on atterrissait dans l'un d'eux, ils nous renverraient tout de suite, peut-être même en nous remettant dans la soute?!" Le vol Iberia en provenance de Madrid a atterri un mardi matin, a été ravitaillé en carburant, puis a de nouveau décollé le mardi soir.
"J'étais écrasé par la puissance du vent"
Le 3 juin 1969, Armando et Jorge patientaient à l'extérieur du périmètre aéroportuaire. Armando avait avec lui une corde, une lampe torche et du coton à mettre dans ses oreilles. Quand l'appareil a commencé à rouler en vue du décollage, ils ont escaladé la clôture. Jorge a commencé à douter et Armando a dû le traîner jusqu'à l'avion. Les moteurs rugissaient. Les deux garçons se sont approchés par l'arrière.
Jorge a grimpé dans le train gauche et Armando dans le droit. L'avion a décollé. "Une fois en l'air, raconte ce dernier, le compartiment s'est ouvert pour que les roues s'y rétractent. Je m'accrochais au bord du bout des doigts et j'étais écrasé par la puissance du vent." Par la suite, son majeur s'est nécrosé, sous l'effet du froid et de l'effort prolongé. (Jorge, lui, est tombé de l'avion et il a été retrouvé en vie sur le tarmac de La Havane. Il a par la suite été emprisonné par le gouvernement cubain.)
Ne faire qu'un avec le bruit
Quand les roues sont remontées dans la soute, Armando a réussi à trouver un point d'appui, ce qui lui a évité de tomber, mais un autre problème s'est aussitôt posé : le train d'atterrissage l'écrasait. (En me le racontant, il a été pris d'hyperventilation et a dû s'interrompre quelques instants, le temps de retrouver son calme.) Heureusement, les roues ont à nouveau bougé, lui permettant de changer de position avant que le compartiment ne se referme pour la durée du vol.
Un vacarme assourdissant régnait dans ce renfoncement plongé dans l'obscurité. "Je ne faisais plus qu'un avec le bruit, au point d'en trembler. J'ai mis du coton dans mes oreilles, mais ça n'a rien changé. Quand on fusionne avec le bruit, ça dépasse l'entendement", raconte-t-il. Malgré tout, recroquevillé dans cet espace, il était ravi : "J'étais heureux d'avoir réussi."
Cinquante-deux jours à l'hôpital
Armando s'est appuyé contre les pneus encore chauds, mais la température chutait rapidement dans la soute, et il a vite été glacé. "Il faisait très, très froid, se souvient-il. Je frissonnais et tremblais." Il a perdu connaissance. Il se rappelle ensuite s'être réveillé sous l'avion à Madrid, puis s'être à nouveau évanoui.
Armando Ramirez a passé cinquante-deux jours à l'hôpital. Les premiers temps, il avait perdu l'ouïe, et le personnel soignant utilisait une ardoise pour communiquer avec lui. Son audition est revenue au bout d'un mois. Armando est le premier surpris de témoigner qu'il ne souffre d'aucune séquelle physique. Il a même été pompier pendant onze ans.
Chrétien pratiquant, Armando est convaincu qu'il doit sa survie à une intervention divine. "La main de Dieu s'est posée sur moi", dit-il. Il n'a qu'un seul regret : "Après moi, de nombreux jeunes Cubains ont voulu faire pareil et la majorité d'entre eux sont morts."
L'US Federal Aviation Administration tente également une explication (que nous tentons de traduire) :
"Malgré l'absence de pressurisation ou d'équipement individuel d'oxygène, la présence de conduites hydrauliques chaudes au niveau des roues et les pneus chauds ont fourni une chaleur notable. La montée progressive de l'avion a permis à l'hypoxie de conduire à une perte de connaissance progressive. À mesure que l'atmosphère se refroidissait lentement, l'hypothermie a accompagné l'hypoxie profonde, préservant la viabilité du système nerveux. Avec la descente et le réchauffement, ainsi que l'augmentation de la pression atmosphérique en oxygène, l'hypoxie et l'hypothermie se sont lentement résorbées."
Vous pouvez également consulter ces articles :
« Ce serait un vrai miraculé » : peut-on survivre à un vol Oran-Orly passé dans un train d’atterrissage ? / Juliette Pousson - le Parisien - 28 décembre 2023
Dakar-Lyon dans un train d'atterrissage. Le candidat à l'exil est arrivé dans le coma, mais en vie. Un vrai miracle / Béatrice BANTMAN - Libération - 23 janvier 1999
Fatal journeys: The realities behind travel as a stowaway passenger / Sertan Sanderson - Infomigrants.net - 28/08/2019 (en anglais)
ainsi que ces pages (en anglais) :
Wheel-well stowaway / Wikipédia
Survival at High Altitudes: Wheel-Well Passengers / rapport officiel FAA Civil Aerospace Medical Institute
FLIGHT SAFETY FOUNDATION • HUMAN FACTORS & AVIATION MEDICINE - 1997
Bonne journée.
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