Quelles ont été les relations de Mao Zedong avec l'armée japonaise durant la guerre ?
Question d'origine :
Bonjour,
J'aimerais savoir quelles ont été les relations de Mao Tse Toung avec l'armée japonaise durant la guerre sino-japonaise.
Merci par avance.
Eveline
Réponse du Guichet
Véritable chef d'orchestre d'une collaboration avec l'ennemi de la guerre sino-japonaise, Mao Zedong aurait profité du contexte international pour mettre à mal son véritable adversaire dans la lutte pour la prise de pouvoir en Chine, le leader du camp nationaliste, Tchang Kaï-Chek. Renseignements, alliances et fomentation d'une future invasion du pays par des troupes russo-japonaises, font partie des faits d'armes méconnus de Mao pendant la guerre.
Bonjour,
Voici une série d'extraits éloquents sur la stratégie menée à l'égard du Japon par Mao Zedong pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945). Si de façade le parti nationaliste, le Kuomintang, et le parti communiste chinois s'accordent pour une trêve dans la guerre civile qui les oppose pour lutter de concert contre l'envahisseur japonais, Mao semble effectivement avoir fait fi de ses convictions patriotiques au profit de son ambition personnelle pendant le conflit.
En effet, le vernis du "deuxième front uni chinois" s'effrite lorsque l'on mène des recherches un peu plus approfondies à son sujet. Si les affrontements entre les troupes de Tchang Kaï-Chek et Mao n'ont en réalité jamais complètement cessé entre 1937 et 1945, le camp communiste serait même coupable d'intelligence commune avec l'ennemi, n'hésitant pas à divulguer des informations clés aux dirigeants japonais sur la stratégie, les effectifs ou les intentions des armées nationalistes chinoises.
L'ouvrage des historiens chinois Jung Chang et Jon Halliday, Mao, L'histoire inconnue (tome 1), révèle dans le détail les objectifs cachés du futur dictateur dans une véritable partie de billard à trois bandes avec l'URSS. Émoussé par l'accord contre-nature conclu entre les Soviétiques et le régime nazi (pacte germano-soviétique de septembre 1939), Mao aurait rêvé d'une alliance analogue entre l'URSS et le Japon. S'imaginant à la tête d'une moitié du territoire chinois partagé entre russes et japonais, Mao s'est activé en coulisse à la réalisation de ce funeste destin :
Mao, en revanche, ne cachait pas sa satisfaction. Touchant la guerre contre le Japon, sa stratégie tout entière visait à obliger la Russie à intervenir. Or, une réelle possibilité de voir Staline occuper une partie de la Chine et la placer sous l'autorité de Mao paraissait désormais se profiler à l'horizon.
A la fin du mois de septembre 1939, lorsque Edgar Snow demanda à Mao ce qu'il pensait d'un pacte soviéto-japonais , le chef du PCC se montra enthousiaste. La Russie pouvait bine signer un tel pacte dit-il, "du moment que cela ne l'empêchait pas de soutenir (...) les intérêts d'un mouvement mondial de libération [c'est à dire ceux de Mao lui-même et du PCC]". Quand Snow lui demanda si "l'aide soviétique au mouvement de libération chinois pourrait prendre une forme assez semblable" à l'occupation de la Pologne par les Russes, Mao donna une réponse très positive : "C'est tout à fait conforme aux possibilités du léninisme". Le scénario polonais était devenu le modèle dont Mao rêvait pour la Chine."
Source : L'histoire inconnue (tome 1) de Jung Chang et Jon Halliday (Gallimard, 2011) (p.434)
Plus largement, Mao s'engagea par la suite dans une étroite collaboration avec le régime japonais afin de miner Tchang Kaï-Chek et les nationalistes grâce à la mise en place d'un système de renseignements très élaboré :
Après le pacte germano-soviétique et dans la perspective d'un accord analogue entre Staline et le Japon, Mao amorça, en septembre 1939, une collaboration prolongée, étroite - et fort peu connue - avec les services secrets japonais, dans l'espoir de torpiller un peu plus Tchang - et de préserver ses propres forces armées. Le responsable de l'opération PCC était un dénommé Pan Han-nian, qui travaillait de concert avec le consul japonais à Shanghai, Eiichii Iwai, un officier supérieur des services de renseignements. Les Japonais lui donnèrent un laissez-passer spécial : "A tous les militaires, gendarmes et policiers japonais : pour toute question concernant le porteur de ce document, veuillez contacter le consul général du Japon."
(...)
Pan fournissait à Iwai des informations sur la capacité qu'avait Tchang de résister aux Japonais, sur ses conflits avec le PCC et ses relations avec les puissances étrangères, ainsi que sur les agents américains et britanniques opérant à Hong Kong et Chongqing. Ces renseignements étaient très prisés des Japonais : on dit même qu'un d'entre eux rendit l'ambassadeur du Japon en Chine "fou de joie".
(...)
Comme le lui certifia Pan, certains d'entre eux (des agents du PCC) continueraient de recueillir des renseignements pour le compte des Japonais, tandis que d'autres se rendraient à Shanghai, afin de "contribuer à [leur] "mouvement de la paix". Ce mouvement était le principal moyen d'action non militaire employé par les Japonais pour contraindre la Chine à capituler. Une de ses composantes les plus en vue était le "mouvement pour le renouveau de l'Asie et la construction du pays", que Pan aida à lancer, avec de l'argent de Tokyo, et qui fut dirigée par des cryptocommunistes.
Source : L'histoire inconnue (tome 1) de Jung Chang et Jon Halliday (Gallimard, 2011) (p.437 - 438)
Enfin, des accords militaires furent conclus avec le Japon sous l'initiative de Mao avec pour seul objectif de descendre le leader du mouvement nationaliste, autant craint et détesté par les rangs communistes que nippons :
Outre la mission de Torpiller Tchang, Pan était aussi chargé de persuader les Japonais d'autoriser les rouges à agir sans être inquiétés et il alla jusqu'à suggérer à l'officier des services de renseignements japonais le plus haut placé en Chine, le général Sadaaki Kagesa, l'idée d'un cessez le feu secret avec la Chine.
Dans l'est de la Chine centrale, un marché fut même conclu, aux termes duquel la Nouvelle 4ème Armée communiste acceptait de ne pas saboter les voies ferrées, si les Japonais la laissaient opérer à sa guise dans les campagnes. Pendant des années, les trains japonais roulèrent sans encombre et la N4A se renforça discrètement. Le raisonnement qui sous-tendait cette bienveillance envers les rouges nous a été clairement exposé par le frère de l'empereur Hiro-Hito, le prince Mikasa, qui a l'époque était officier dans les forces japonaises en Chine. Aux yeux des Japonais, nous confia-t-il, même si les communistes étaient parfois gênants, ils n'avaient aucune importance stratégique, l'ennemi à abattre, c'était Tchang Kaï-Chek.
Source : L'histoire inconnue (tome 1) de Jung Chang et Jon Halliday (Gallimard, 2011) (p.439)
Pour plus d'informations au sujet de Mao et de la guerre sino-japonaise, nous vous proposons la lecture des ouvrages suivants dans nos collections à la BmL :
Mao : l'histoire inconnue. II / Jung Chang, Jon Halliday (Gallimard, 2011)
Les origines de la révolution chinoise : 1915-1949 / Lucien Bianco (Gallimard, 2007)
La République de Chine : 1912-1949 / Xavier Paulès (Belles lettres, 2019)
Le Japon en guerre, 1931-1945 / [témoignages réunis par] Haruko Taya Cook & Theodore F. Cook (Éditions de Fallois, 2015)
Bonnes lectures,