Est-ce que la plupart des gens se créent une sorte d'image de façade ?
Question d'origine :
Est-ce que la plupart des gens se créent une sorte 'd'image de façade', 'une image d'eux-mêmes qui n'est pas tout à fait authentique mais qui leur sert de protection quand ils sont confrontés au monde pour ne pas montrer aux gens auxquels ils sont confrontés leur secrète fragilité, timidité, complexité, sensibilités etc? Est-ce que la plupart des gens se créent une 'fausse présentation d'eux-mêmes' pour mieux gérer leurs relations sociales et leur confrontation avec le monde extérieur?
Réponse du Guichet

Toute personne use dans ses relations sociales d'une ou de plusieurs identités sociales, qui se distinguent en partie de son identité personnelle (liée à l'histoire intime et affective de l'individu). Mais il existe des situations où cette identité sociale ou de façade vient invisibiliser l’identité personnelle et mettre en péril l'estime de soi de la personne concernée.
Bonjour,
Ces questions de la différence entre une image de soi dans l’intimité et une autre dans les relations sociales, de l’opposition entre une «image propre» et une «image sociale», sont liées à la notion d’identité, à la croisée de nombreuses sciences humaines, de la sociologie à la psychologie sociale, en passant par la philosophie.
En effet, tout individu possède une identité sociale et une identité personnelle. D'ailleurs, le sociologue François de Singly se pose dans cette émission Identité sociale et identité personnelle, la question suivante : Peut-on séparer nettement ces deux dimensions du soi ? Une identité hors du social existe-t-elle ?
Nous vous recommandons la lecture de l'ouvrage d’Alex Mucchielli : L’identité, qui fait une synthèse interdisciplinaire sur le sujet.
Concernant votre question, il aborde notamment l’idée de sentiment de valeur, qu’il rapproche de celle de l’estime de soi : «le regard d’autrui sur soi et le jugement porté par ce regard sont une constante de nombreuses études de psychologie sociale, en particulier des études sur la désirabilité sociale (Laucort, Meili, Desportes, Codol…). Il ressort de ces études qu’au bout du compte, chaque individu cherche à se faire valoir aux yeux d’autres dont les jugements ont de la valeur pour lui. Avoir le sentiment d’être, c’est avoir de la valeur pour quelqu’un d’autre socialement signifiant et digne d’intérêt.»
Il évoque aussi l’idée d’identité de façade : «elle est une identité sociale, c’est-à-dire destinée à des partenaires de la vie sociale. A ce titre on peut avoir plusieurs identités de façade: une pour les différents groupes d’appartenances… Les rituels d’interactions ainsi sollicités, nous dit Goffman, écartent bien des dangers pour l’identité. Dans la plupart des cultures, certains statuts et rôles sociaux exigent des identités de façade liées à l’agencement du décor et au protocole des relations sociales. L’identité propre peut se perdre lorsque les normes statutaires et protocolaires gouvernent entièrement les conduites de l’individu. Les situations dites de «représentation» ou de «jugement d’autrui» favorisent le refuge dans des identités de façade… La prise de l’identité de façade apparaît alors comme une réaction défensive d’évitement du risque d’évaluation négative. A l’abri dans le rôle prescrit par les usages et convenances, l’individu échappe en effet aux critiques... En effet, la fonction même de l'identité de façade est de masquer, de donner le change, de neutraliser le regard critique des autres.»
Autre ouvrage intéressant, dont nous vous conseillons la lecture, La tyrannie du paraître, faut-il se montrer pour exister ?. Il parle notamment du cas de «dédoublement» aussi appelé «clivage du moi»: «une partie se met en scène sur un mode particulièrement idéalisé, accepte toutes les exigences du paraître au fur et à mesure qu’elles s’imposent, et l’autre partie au contraire continue à s’enfoncer dans la solitude, l’invisibilité, la paralysie et la perte de l’estime de soi.»
Voir : Théorie de l'identité sociale et notion de Désirabilité sociale
Vous évoquez dans votre question ces situations (parfois pathologiques mais c’est une personne habilitée qui peut en juger) où l’individu finirait par donner une fausse image de lui-même, où, comme on le dit dans le langage commun, il serait «prisonnier des apparences» et aurait cédé à cette «tyrannie du paraître». Dans certains cas, la personne peut développer ce qu’on nomme le «syndrome de l’imposteur» et notamment l’angoisse permanente d’être démasquée.
Nous l’avons vu, notre identité et notre personnalité sont multiples et intrinsèquement liées à nos différentes activités et relations sociales, et nous nous adaptons donc aux exigences de ces diverses interactions sans perdre pour autant notre "authenticité". Et ces identités sociales peuvent agir comme une protection. Mais il semble que les sociétés occidentales actuelles, très axées sur l’individu, son image (particulièrement exposée), sa réussite et sa mise en compétition, génèrent un malaise grandissant quant à l’estime que les personnes ont d’elles-mêmes.
Le champ du développement personnel, produit de cette individualisation, s’est largement emparé de cette question pour y trouver des solutions. Nous vous soumettons donc une sélection d’ouvrages qui ont pour objectif d’aider à se défaire du regard et du jugement des autres pour mieux être soi-même. Si tant est qu’il soit possible de savoir qui l’on est, pour cela nous vous renvoyons vers une de vos précédentes questions : Est-il possible de savoir vraiment qui nous sommes ?
Comment rester soi-même dans les affres et délices du vivre-ensemble ? : manuel psychosocial d'autodéfense intellectuelle / François Le Poultier
Deviens un aimant social : en finir avec la peur du regard des autres / Charlie Haid
Je n'ai plus peur du jugement des autres : cahier d'exercices d'assertivité / Chantal Joffrin Le Clerc, Franck Lamagnère
Se libérer du sentiment d'imposture : s'autoriser à croire en soi / Virginie Megglé
Se libérer du syndrome de l'imposteur : les stratégies pour muscler son estime de soi et booster sa réussite / Dr Sandi Mann
Se libérer enfin du regard de l'autre : guérir de ses blessures et s'aimer soi-même / Muriel Mazet
Voir aussi :
Le soi : les fondamentaux / Alain Quiamzade et Fanny Lalot
L’estime de soi /Emeline Bardou et Nathalie Oubrayrie-Roussel