Quelle est l'origine du droit de la propriété foncière ?
Question d'origine :
Quelle est la source de la propriété foncière? De quel droit dit-on qu'on possède un bout de terre/Terre et qu'on peut en faire ce qu'on veut? Est-ce propre à la civilisation occidentale?
Réponse du Guichet
Le droit de propriété remonte, en Occident, à l'Antiquité et est loin d'être universel.
Bonjour,
En Occident, il faut remonter à l’Antiquité pour trouver une formulation de la notion de propriété privée qui s’affirme à la Révolution puis au cours du XIXe siècle. Dans l’article « Introduction. Histoire et fonctions de la propriété » (Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2014/1 (n° 61-1), p. 7-25), Dieter Gosewinkel revient sur l’histoire du droit de la propriété. Nous ne vous en présentons ici quelques extraits et vous invitons à lire l’article dans son intégralité :
Depuis leurs débuts historiques attestés, la propriété et le droit de propriété ont été un élément central des théories sociales que chaque société produit à propos d’elle-même et de ses institutions juridiques. Dans l’Antiquité, ou plus précisément dans le droit romain, a été formulée une conception de la propriété encore dominante au XXe siècle : la propriété conçue comme le droit absolu qu’à une personne individuelle de disposer d’une chose. Au Moyen Âge, à l’époque du droit féodal, cette conception d’une institution juridique unitaire et étendue s’effaça, la propriété étant alors conçue comme un faisceau de droits sur une chose ou sur un terrain, hiérarchiquement échelonnés entre eux et appartenant à différentes personnes impliquées dans des relations juridiques diverses. Ce n’est qu’avec la théorie du droit rationnel – en particulier chez John Locke et Thomas Hobbes – que la conception de la propriété comme titre fondé sur un acte juridique, appartenant à une seule personne à laquelle il est étroitement associé, se trouva relancée. Au siècle des Lumières, les défenseurs du droit naturel moderne et séculier, notamment Kant, développèrent cette théorie de la propriété individuelle dans le sens d’une relation étroite et d’une interdépendance entre la propriété et la liberté de l’individu. La propriété privée devint – dans la théorie de Hegel – une condition essentielle de l’épanouissement de la personnalité humaine, justifiée par l’objectif d’atteindre et de garantir la liberté. Les fondements théoriques d’un concept moderne de propriété, bourgeois et libéral, étaient ainsi posés. Ils furent immédiatement intégrés dans les grandes codifications juridiques de l’Europe et des États-Unis d’Amérique au cours des dernières années du XVIIIe siècle. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France, le Bill of Rights de 1791 en Amérique, et toutes les constitutions du continent européen du XIXe siècle sans exception établirent la propriété individuelle comme un bien juridique de première importance. En un mot : la propriété, dans son articulation étroite avec la liberté personnelle garantie par la loi, devint une valeur constitutionnelle, conférant aux ordres juridiques du XIXe siècle leur orientation et leur légitimation
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Au cours du XIXe siècle, la théorie de la propriété libérale bourgeoise devint dominante et supplanta des conceptions plus anciennes de la propriété partagée et échelonnée, même si des restes en étaient encore tout à fait présents dans la pratique sociale et étatique. Deux codifications remarquables du régime de la propriété manifestent la marche triomphale de cet idéal théorique ainsi que son application pratique au début et à la fin du XIXe siècle : le Code civil français et le Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) allemand.
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La Première Guerre mondiale marque une profonde césure en matière de politique de la propriété comme dans les discours politiques dominants. Ce bouleversement se lit immédiatement dans la justification théorique et dans la signification pratique de la propriété et du droit de propriété …
Par ailleurs, Radio France consacre une émission sur les origines du droit de propriété au cours de laquelle Antoine Garapon discute avec James Q. Withman, professeur de droit à l’université de Yale :
"Il n'y a pas de forme naturelle de la propriété, ça n'existe pas dans le monde physique, ce n'est pas comme la force de gravité ! [...] C'est une conception toujours imposée par la pensée humaine, qui varie surtout, bien sûr, selon les différences culturelles, humaines."
"Littéralement, étymologiquement, c'est le fait de prendre quelque chose dans sa main, qui est l'expression symbolique du droit de la propriété, dans le droit romain, et qui remonte, dans tous les cas, au paléolithique, la main comme symbole de la propriété."
Cette histoire profonde éclaire nombre de questions contemporaines, comme le montre les travaux de James Whitman, professeur de droit comparé et d’histoire du droit à l’université de Yale, à qui l’on doit des ouvrages magistraux tels que ses travaux sur le retour de la honte, l’influence du droit américain sur Hitler, qui n’ont malheureusement pas été traduits en français, dont on pourrait tirer beaucoup. Il se livre à une recherche originale sur les origines du droit de propriété dont il nous offre ici quelques-unes de ses idées-forces…
Nous vous laissons écouter l’émission dans son intégralité.
Dans une précédente réponse, Droit foncière, nous proposions une bibliographie sur la question que nous vous invitons à consulter.
Vous pourriez aussi lire l’article sur Le droit de propriété, un droit absolument relatif par Romain Scaboro.
Pour répondre à votre deuxième question, il importe de noter que la propriété n’a rien d’universel.
Dans le Journal CNRS, Fabien Locher note que la propriété est une forme d’appropriation ayant une histoire dépendante de nos codes sociaux, de nos valeurs et de nos usages.
Alain Testart dans l'article « Propriété et non-propriété de la Terre » (Études rurales, 165-166 | 2003), montre que les droits de la terre en Afrique sont différents de nos conceptions occidentales.
En outre, d’autres peuples de l’humanité vivent leur rapport à la terre différemment. Vous en trouverez des exemples dans l’article de Yannick Sencébé et Anne Rivière-Honegger, « Les gouvernances plurielles de la terre » (Études rurales, 201 | 2018)
Radio France consacre une autre émission, "Le droit de propriété pris de haut" susceptible de vous intéresser.
Enfin, l’ouvrage Droit de propriete en europe occidentale et orientale mutations et limites d'un droit fondamental (1995), bien qu’ancien pourrait également vous permettre de comprendre les nuances du droit de propriété entre Orient et Occident.