Est-ce qu'un kibboutz désigne le même type de communauté qu'une colonie israélienne ?
Question d'origine :
Bonjour,
Après avoir survolé les questions posées aux Guichets sur cette thématique, voici ma demande (elle est double)
- quand on parle de colonies israéliennes et de kibboutz, est-ce que cela designe les mêmes communautés ? En fait, un kibboutz est-il forcément une colonie israélienne en terre palestinienne ET une " colonie " est-elle forcément un kibboutz ?
- au sein même de la (petite) bande de gaza, Y-a-t-il des kibboutz ? Ou sont-ils seulement situé en Israël derrière le mur et la frontière ?
Merci davance !
Pauline


Réponse du Guichet

Les différences entre kibboutz et colonies sont nombreuses et elles le sont tout particulièrement d'un point de vue idéologique.
Bonjour,
Kibboutz et colonies diffèrent de part leur origine et les buts recherchés. Les kibboutz ont été créés en 1909, en Palestine, avant la création de l'État d'Israël dans le respect des frontières alors reconnues.
Les colonies israéliennes ont un tout autre but puisqu’elles ont été établies après 1967 dans les territoires palestiniens occupés. Elles sont considérées comme illégales par le droit international.
Pour revenir plus spécifiquement sur les kibboutz, Frédéric Encel dans Atlas géopolitique d’Israël, explique qu’il s’agit d’un
Village collectiviste de type marxiste (mais à fonctionnement démocratique), cére euYishouv de Palestine puis en Israël, de 1909 aux années 1980. En 2018, plus aucun des 264 kibboutzim existants n’a conservé son caractère collectiviste ; ils ont muté soit en coopératives agricoles et / ou touristiques, soit en simples villages.
Le monde diplomatique. Manière de voir consacre un numéro à ce sujet, "Israël-Palestine. Une terre à vif" et définit, longuement, ce qu'est un kibboutz :
Ce terme dérive du mot hébreu kvoutza qui signifie « groupe ». Il renvoie aux exploitations agricoles coopératives en Israël, dont les premières ont vu le jour au début du XXe siècle avec l’arrivée de juifs d’Europe de l’Est en Palestine. Ces sionistes étaient portés par l’ide de fonder un Etat refuge où prospérerait un mode de vie socialiste. A compter de 1948, les kibboutz essaiment sur tout le territoire du nouvel Etat et forment le fer de lance de l’industrie agricole israélienne. Il n y a pas de propriété privée au sein de ces entités quasi autonomes et régies par la démocratie participative : les outils sont mis en commun, et les revenus sont partagés de manière égalitaire entre les kibboutzniks. Chacun contribue au développement du kibboutz, tout en bénéficiant de ses avantages : hébergement, nourriture, soins médicaux. Avec le temps, l’attirance pour cette vie communautaire a reflué. On dénombre moins de trois cents kibboutz aujourd’hui, laïcs pour la plupart. Parmi eux, be’eri, Nir Oz et Kfar Aza, situés à proximité de la bande de Gaza, ont été le théâtre de massacres lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
De même, Géopolitique d’Israël. Dictionnaire pour sortir des fantasmes consacre un long article au kibboutz dont nous ne présentons ici que quelques extraits :
Le kibboutz (rassemblement) est originellement un village collectiviste sans propriété, sans circulation de monnaie, où prévaut le mode opératoire suivant : «de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Il y règne en principe une fraternité (repas pris en commun) et une démocratie (direction collégiale tournante) authentiques.
Dans Israel mode d’emploi, Jacques Bendelac parle de symbole unique de vie communautaire et de société égalitaire dont Degania, le premier village collectif créé en 1909 est représentatif.
Les colonies ont un tout autre but. Ainsi wikipedia consacre une notice aux colonies israéliennes dans laquelle il est indiqué que ce
sont des communautés d'Israéliens qui ont été établies illégalement depuis la guerre des Six Jours en 1967 dans les territoires palestiniens occupés (dont Jérusalem-Est et sa proche banlieue), le plateau du Golan, ainsi que dans la péninsule du Sinaï.
Pierre Blanc, Jean-Paul Chagnollaud, Sid-Ahmed Souiah, Atlas des palestiniens : un peuple en quête d'un Etat reviennent sur ce que sont les colons et notent :
De plus en plus nombreux et, pour la majorité, enracinés à droite dans une perspective nationaliste et religieuse, les colons n’ont cessé de voir leur poids politiques s’affirmer en Israël. Les partis qui les soutiennent et qui défendent une colonisation sans limites sont devenus des acteurs important du système politique et du gouvernement.
Ils rappellent les différents changements politiques à l’origine de l’essor de ces colonies et mentionne ainsi :
Jusqu’en 1977, en dehors de Jérusalem-Est elle [la colonisation] demeure assez marginale, mais, surtout, elle s’inscrit dans le cadre du plan conçu par Ygal Allon aussitôt après la guerre de 1967. L’idée fondamentale de cette stratégie part de la conviction que les frontières d’Israël ne sont pas tenables et qu’il faut donc leur donner une profondeur stratégique avec la vallée du Jourdain et le Golan. C’est pourquoi, dès cette époque, des colonies sont créées dans ces régions par des colons qui vont y développer des unités agricoles tout en pensant assurer la défense de leur pays (…) A partir de 1977, la colonisation change de perspective. Aussitôt après son élection, en mai 1977, Menahem Begin fait une déclaration qui va marquer jusqu’à aujourd’hui la nature de la colonisation : « désormais, l’appellation des territoires a changé ; de territoires occupés, ils sont devenus territoires libérés. Cette terre est la terre libérée d’Israël. Nous appelons les jeunes du pays et de la diaspora à venir s’y installer cet appel sera largement suivi aussi bien par des groupes issus de la droite nationaliste que par des religieux radicaux comme ceux du Goush Mounim qui avait déjà, depuis des années, prôné cette idéologie et entrepris de créer des implantations au cœur de la Cisjordanie (.. ;) La plupart des grandes colonies ont été fondées et développées par des hommes de la droite nationaliste et religieuse(.. ;) Ces tendances de fond ont des implications majeures sur le devenir des colonies et donc sur la question de la colonisation dans le cadre des négociations avec les palestiniens. Désormais, les colons représentent une force politique incontournable, d’autant qu’ils sont aujourd’hui plus de 600 000 ….
Dans cet ouvrage, les auteurs abordent aussi la question des colonies à Jérusalem-Est en perpétuelle extension.
Pour ce qui est de votre deuxième question, il existe des kibboutz à 3-4 km de Gaza mais pas au sein de ce territoire. Par ailleurs, dans Atlas géopolitique d’Israël Frédéric Encel revient sur le sort des colonies installées à Gaza :
Seules vingt colonies de peuplement y seront bâties, puis évacuées en 2005.
(..)
Reste que les mitnahalim [désignant généralement les résidents des implantations idéologiques et religueyses) les plus idéologisés – assez impopulaires dans l’opinion israélienne, contrairement à ceux (laïcs) du Golan – élisent davantage les zones très exposées aux attentats, comme Gaza naguère.
Le 17 août 2005 marque le
début de l’évacuation, sans violences majeures, de toutes les implantations israéliennes de la bande de Gaza. Le 17 septembre, le dernier soldat israélien quitte ce territoire.
Il faudra attendre le 12 septembre 2005 pour voir l'évacuation des colons et le retrait de l’armée israélienne de Gaza après trente-huit ans d’occupation.