Pourquoi l'île-de-France porte-t-elle ce nom alors que ce n'est pas une île ?
Question d'origine :
Bonjour Guichet au grand savoir,
pourquoi l'île-de-France porte-t-elle ce nom alors que ce n'est pas une île ?
Merci beaucoup !
Réponse du Guichet

Il existe deux hypothèses concurrentes à ce sujet. La première viendrait des propriétés géographiques de ce territoire, creusé et bordé par la Seine, ses affluents et de nombreuses rivières, mais aussi de l'île de la Cité, coeur historique de la ville de Paris. La seconde fait remonter l'appellation à la locution saxonne "Liddle Frank" qui signifie "Petite France", et dont les sonorités font écho à la dénomination "île de France". Quoiqu'il en soit, celle-ci n'est pas née avec la création administrative et le baptême de cette région en 1976, car nous retrouvons trace de cette appellation jusqu'au 14ème siècle.
Bonjour,
D'après la documentation disponible sur Internet, l'origine du nom "île de France" donné à l'ancienne "région parisienne" par la loi du 6 mai 1976, oscille entre deux théories qui ne seraient pas tout à fait tranchées.
L'article de France 3 - Paris, île de France publié en 2016, Île-de-France : pourquoi l'a-t-on nommée ainsi ?, fait un très bon récapitulatif historique de la question et avance deux hypothèses, corroborées par nos lectures dans différents ouvrages de nos collections.
Ce n'est pas un hasard si en 1975/1976 les députés choisissent et votent en faveur du nom "Ile de France", pour baptiser ce territoire que l'on nommait communément "région parisienne". Aussi curieux que cela puisse paraître, les parlementaires n'auraient fait que remettre au goût du jour une dénomination vieille de plusieurs siècles. En effet dès 1387, "l'isle-de-France" est mentionnée sous la plume du chroniqueur et érudit Jean Froissart. Elle signalait un espace encore plus vaste que celui que nous connaissons aujourd'hui, étendu jusqu'au sud de la Picardie. Par la suite le nom est resté et aurait autant servi à désigner ce territoire qu'à nommer diverses formes d'entités juridiques jusqu'à la Révolution : gouvernement de l'Isle-de-France, généralité d'Isle-de-France sous l'ancien régime etc.
La bibliothèque numérique de la BNF, Gallica, a numérisé des cartes datant du 17ème siècle faisant mention de ce nom. En voici quelques-unes que vous pouvez parcourir : Isle de France, Champagne, Lorraine, etc / Par N. Sanson d'Abbeville, L'Isle de France, le Valois, le Vexin-françois, le Hurepoix et la Brie / par P. Du-Val..., L'Isle de France. Parisiensis agri descrip[tio] / François de La Hoeye fecit.
Mais alors, pourquoi attribuer des propriétés insulaires à un territoire situé au milieu de la France ?
L'explication la plus courante veut que ce nom fut choisi en raison des nombreux cours d'eau qui en bordaient le territoire et dont les principaux sont la Seine, la Marne, l'Oise ou le Loing. Le livre L'île de France d'Edmond Pilon (B. Arthaud, 1948) va également dans ce sens. Le terme poétique "d'île" serait apparu en raison des propriétés géographiques de ce territoire, avec pour point de départ l'île de la Cité située au coeur de la capitale (p.12-13) :
En même temps, cette idée insulaire, cette idée d'île apparaît doublement: d'abord dans la Cité elle-même de Paris, puis dans la grande province. Et celle-ci est bien et réellement une île. Tout Atlas le dire, à commencer par celui de Coulon sur les Rivières de France édité au XVIIème siècle : "On la nomme Isle, à cause qu'elle est entourée des rivières de Seine, de Marne, Oyse et Aisne".
De nos jours, le grand géographe Auguste Longnon, sauf à fermer la boucle ainsi définie par l'adjonction de la Thève, affluent de l'Oise, et de la Beuvronne, affluent de la Marne, ne s'exprimera pas autrement.
Plus circonspect, le Guide du patrimoine Ile de France, publié en 1992 (Rennes Ouest) , sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos, évoque un terme sans "signification rationnelle", mais en attribue aussi la paternité à Froissart, avant une officialisation "sous François 1er" (p.23)
Les racines historiques de ce nom a été l'un des arguments forts lancés en faveur de son adoption, lors des débats enflammés à l'Assemblée nationale de décembre 1975, préalables à la promulgation du texte qui a conduit à la création et à l'organisation de la région Ile de France. Le débat fait resurgir des questions d'identité, notamment pour les habitants les plus éloignés de Paris, qui, pour certains, étaient maladroitement absorbés par le terme "région parisienne". Nous ne résistons pas au plaisir de vous en partager quelques extraits que nous avons retrouvé dans les Archives de l'Assémblée nationale. Assemblée nationale 2eme seance du 18 décembre (p. 9983) :
M. Michel Poniatowski, ministre d’État, ministre de l'intérieur : Le conseil du district a évoqué ce problème et s'est prononcé par un vote en faveur de l'appellation Ile-de-France. Cette très ancienne appellation répond à des raisons non seulement historiques, mais géographiques. J'ajoute que les huit millions d'habitants qui appartiendront à la nouvelle région n'habitent pas tous à proximité immédiate de Paris et que les départements se sont prononcés en faveur de l'appellation Ile-de-France.
(...)
M. Pierre Bas : La démonstration que j'ai apportée cet après-midi me parait suffisamment claire pour que je ne la reprenne pas. Monsieur le ministre de l'intérieur, quand vous affirmez que deux millions d'habitants seulement de la région parisienne se sentent parisiens contre huit millions qui éprouvent le sentiment d'appartenir à l'Ile-de-France, c'est une erreur. Les quatre départements issus de l'ancien département de la Seine ont vécu trop longtemps ensemble — près de deux siècles depuis la Révolution — pour ne pas prendre des habitudes et se sentir parisiens. Demandez donc à un jeune postier du Lot, affecté à Paris — comme le sont en général les jeunes postiers — et qui revient dans son Lot natal, si ses compatriotes s'écrient : Voilà l'Ile-de-Français qui arrive ? (Sourires) . Non, bien sûr, ils disent : C'est le Parisien ! s Telle est la vérité. Nous formons la région parisienne même si cette réalité n'est peut-être pas très poétique ! Car, monsieur le ministre, pour défendre votre expression, Ile-de-France, vous n'avez utilisé qu'un seul argument, son caractère poétique, et je suis bien d'accord avec vous sur ce point.
(...)
Pendant la brève suspension de séance qui vient d'avoir lieu, je me suis procuré un excellent ouvrage, publié par une de ces remarquables maisons d'édition, uniques au monde, qui font la gloire du VI' arrondissement de Paris. (Sourires) . Le guide intitulé Ile de France, paru dans la collection, Les guides bleus, aux éditions Hachette, sous la direction de Francis Ambrière, m'a permis de constater que si vous vous rendez dans une librairie pour demander un livre sur la région île de France, on vous en donne un dont les sept dixièmes sont consacrés à des lieux qui n'entrent pas dans le territoire que vous voulez appeler, la région Ile-de-France. Il faut savoir, en effet, que la région parisienne, avec ses dix mille kilomètres carrés, ne couvre qu'une partie de l'ancienne « Ile-de-France » qui comprenait trente mille kilomètres carrés. Il est absurde de vouloir martyriser l'histoire et la géographie au nom de la poésie.
La seconde explication qui est donnée par France 3, parle d'une déformation orale du saxon ou vieux-francique "Liddle Franke" qui signifie "Petite France", anecdote éminemment relayée sur Internet, mais aussi dans le Dictionnaire impertinent de l'île de France (Yves Jego, Google Books, 2010) ou dans Mon premier Larousse de France (Stéphane Frattini, Vincent Bergier, Laurent Kling, 2018). A vous de choisir l'explication qui vous conviendra le mieux, nous ne sommes pas en mesure de trancher bien que la première proposition semble un peu plus étayée.
Nous terminons sur cette anecdote relayée par l'article de France 3, et qui concerne l'invention du gentilé "francilien" dans les années 1980, pour désigner cette nouvelle catégorie de la population qui vivait désormais en "île de France" :
Quant au mot choisi pour nommer ses habitants, "les Franciliens", il est, lui, très récent. Il a été inventé, nous raconte le site de la région Île-de-France, par son premier président "Michel Giraud, à l’époque président de la Région, l'inventa en 1983 lors d'un jeu entre élus de la région pour trouver un nom à ses habitants. Avant de le proposer à l’Académie française qui l'acceptera finalement en janvier 1986."
Bonne journée,