Je cherche de la documentation sur l'analyse et la réception de la musique de Bach
Question d'origine :
Bonjour,
Je recherche actuellement des ressources sur les “Variations et fugue sur un thème de Bach” de Max Reger. Auriez-vous des sources à me recommander en ce qui concerne son analyse musicologique et comment cette composition reprend elle l’œuvre qui l’a inspirée (le 4e mouvement de la cantate “Auf Christi Himmelfahrt allein” ) ?
De plus, sur un autre sujet sur Bach. Quelles seraient de bonnes sources à consulter sur Bach à la période romantique ? Il a été “redécouvert” en 1829 grâce à Mendelssohn, mais je m’interroge sur la manière dont la réception de Bach a t-elle était transformée après son vivant (avant sa musique était jouée à Leipzig dans un cadre de l'église). La dimension purement religieuse a certainement dû être changée en une réception de “divertissement” aux concerts ?
Puis, quel est le lien entre la musique de Chopin et celle de Bach ?
En vous remerciant par avance.
Bien à vous,
Réponse du Guichet
Les ressources accessibles en français à notre recherche sur l'op.81 de Max Reger sont peu nombreuses..et minces. Pour des analyses poussées, il faut se tourner vers des sources anglo-saxonnes.
Bonjour
Pour pouvoir répondre de la façon la plus complète si ce n'est exhaustive, il faudrait que nous puissions consulter le Répertoire International de Littérature Musicale (RILM) et son complément le RIPM, qui ont vocation à recenser toutes les publications, articles, monographies, thèses, catalogues... dans le domaine musical et musicologique. En fonction de votre statut (étudiant, enseignant) ou de votre situation géographique, vous pouvez peut-être vous rapprocher d'une institution (BU, BNF..) qui donne accès à cette base.
Nous n'avons pas trouvé d'article en français ou de recensement d'article en français qui analyserait l'op.81 de Reger.
A défaut, nous pouvons vous proposer ces courtes notices issues de livrets de CD :
-sur le label Hyperion
-chez Naxos (en anglais)
Ainsi que cette recension accessible en ligne et issue du Guide de la musique de piano et de clavecin, que vous pourrez compléter en lisant l'article un peu plus détaillé que lui consacre le Guide de la musique de piano T 2, (pp 2246-2248).
Pour rentrer "dans le dur" de l'analyse, il vous faudra a minima consulter des articles en ligne en anglais, parmi lesquels :
-Reger’s Bach and Historicist Modernism, de Walter Frisch (17 pages)
-Historicist Modernism in Reger’s Bach and Beethoven Variations (du même,10 pages)
Et plus avant ce mémoire de Daniel En-Hao Lin : The evolution of max reger’s piano works unearthed: aspects of harmony, counterpoint, and texture (78 pages)
Signalons enfin la thèse de Jamesetta V. Holliman intitulée A stylistic study of Max Reger's solo piano variations and fugues on themes by Johann Sebastian Bach and Georg Philipp Telemann, dont seule l'introduction est accessible en ligne, mais que vous pouvez commander ou télécharger à titre onéreux.
Bonnes lectures,
Réponse du Guichet
Réponse à la deuxième et troisième section de la question.
Bonjour,
Cette page Wikipedia sur J.S. Bach évoque le renouveau au XIXème siècle :
Ce n'est que le 11 mars 1829 que Felix Mendelssohn joua la Passion selon Saint Matthieu à Berlin ; elle fut rejouée plusieurs fois. Il permit ainsi de redécouvrir, au XIXe siècle, le compositeur oublié. L'œuvre est publiée l'année suivante.
Les romantiques, surtout allemands, ont alors repris cet héritage, en l'adaptant aux goûts du XIXe siècle, et particulièrement Brahms, à Vienne. Même le Tristan et Isolde de Wagner où l'étude attentive de l'Art de la fugue transparaît (notamment dans le Prélude), montre l'influence de Bach. Schoenberg voit même en Bach un précurseur de ses théories, et même si l'on peut contester cette déclaration, le novateur viennois a écrit sur Bach des pages passionnantes dans ses nombreux essais.
Cette renaissance est favorisée par deux tendances dominantes de l'époque : le Mouvement national-allemand et le mouvement romantique, intimement liés. En témoigne déjà le sous-titre de l'ouvrage de Forkel (1802) où figurent: «patriotiques» et «véritable» art musical, en opposition à l'art italien…»
Nous vous renvoyons également vers l’un des théoriciens les plus fameux du renouveau baroque, Philippe Beaussant qui dans son célèbre essai «Vous avez dit baroque» écrit (page 80) :
«Lorsque Bach reprit pour la première fois la Passion selon St Matthieu en 1829, exactement cent ans après sa création, le chef-d’œuvre du vieux cantor, il remettait au jour, consciemment, une œuvre «ancienne»: mais l’interpréta comme une œuvre «moderne». On ne savait plus ce qu’était l’orchestre de Bach, et l’on ne s’en souciait pas. Mendelssohn s’efforça donc de donner à cette écriture orchestrale baroque une sonorité symphonique. Il en modifia la structure, non seulement en y ajoutant des clarinettes mais en lui fournissant la texture de l'orchestre post-beethovenien, avec une pâte plus lourde, des cordes nombreuses, un chœur, le grand chœur aux sonorités onctueuses, mais aussi en donnant aux phrases musicales des courbes et des accents en rapport avec sa propre sensibilité et avec celle de ses contemporains. Que ne donnerions-nous pour entendre aujourd’hui cette Passion, dirigée par Mendelssohn deux ans après la mort de Beethoven! Elle durait 5 heures: elle avait pris un tempo du XIXème siècle. Sa masse chorale, les sonorités de l’orchestre, les accents, les phrasés devaient en faire un sorte de grand oratorio romantique, et nous devions bien en quoi elle devait ressembler à Paulus et à Elias.»
Suit alors la description de l’évolution de ce répertoire à travers une longue chaîne de chefs d’orchestre jusqu’à ce que le "renouveau baroque" à partir des années 1960 et jusque dans les années 1980 et 1990 ne change la donne.
Nous vous suggérons l’écoute d’un enregistrement issu de nos collections «Le baroque avant le baroque», qui réunit, faute d’enregistrements de l’époque de Mendelssohn, des captations des années 1950 et 1960 de «tubes baroques». L’effet est saisissant, outre la patine d’une prise de son vieillie, la lenteur charmante de certains tempi semble aujourd’hui juste hallucinante, lorsque l’on a dans l’oreille les enregistrements de nos chefs baroqueux les plus véloces … Vous avez dit romantique ?
A signaler que cet enregistrement «Bach chez les Mendelssohn» propose aussi une contribution intéressante. Extrait de la notice du cd nous pouvons lire : "Mais les Romantiques, eux, n’avaient cure de ces conceptions «authenticistes». Pour eux, il était normal de «moderniser» l’interprétation. Voilà donc ce qu’on entend ici. De la musique de Bach jouée sur un pianoforte typique du 19e siècle … "
Pour finir, votre remarque concernant le regard sur les œuvres de musique sacrée est intéressante. Le fait que les Passions et les cantates de Bach soient sorties de l’église (ou du temple) à l’époque romantique changea-t-il le regard qu’on porta alors sur leur caractère sacré ?
Nous n’avons pas trouvé d’informations explicites à ce sujet. En y réfléchissant (nous ne sommes nullement musicologues) il nous semble que le caractère sacré d’une passion ou d’une cantate de Bach est beaucoup plus attaché - intrinsèquement - à la dimension dramatique et spirituelle de la musique en soi qu’au lieu de l’exécution de l’œuvre... Et sans doute, une œuvre de cette magnitude conserve-t-elle sa puissance sacrée quand bien même elle perdrait sa fonction liturgique première. D’autant que si la musique sacrée de Bach est sortie de l’église ou du temple elle y est aussi largement retournée.
Ici, un lien intéressant sur la position de l’Église de France: quelle sorte de musique peut-on jouer dans une église ?
Votre dernière question interroge l'influence de Bach sur la musique de Chopin et dresse un parallèle entre les deux artistes. A ce titre, nous vous suggérons la lecture de l'entrée consacrée au musicien allemand dans le Dictionnaire amoureux de Chopin écrit par le journaliste Olivier Bellamy (Plon, 2021), qui s'intéresse à leur filiation artistique et à la place occupée par les compositions de Bach dans la vie et l’œuvre de Chopin. La partition du Clavier bien tempéré aurait représenté une source d'inspiration constante, qu'il joua quotidiennement et qui l'accompagna dans tous ses déplacements. Voici quelques extraits, mais l'intégralité des pages dédiées à Bach sont numérisées et lisibles sur Google Books :
L’œuvre de Bach est encore mal connue à cette époque, mais, contrairement à une idée reçue, les musiciens cultivés savent que c'est un monument. Si Mendelssohn fait découvrir la Passion selon Saint-Mathieu àson public, en 1829, Chopin a déjà été initié par son professeur Zywny, ancien élève d'un élève de Bach.
(...)
Mais Bach demeure son maître à vie. Il n'y a qu'à lire et relire la partition des Études, l'observer sous tous les angles.Leur singulière perfection témoigne d'un ordre divin que Chopin hérite de Bach. Pas une seule note n'est là pour remplir la page. Chaque trait participe à la construction, chaque ornementsoutient l'édifice.
(...)
De passage à Prague il se montre favorablement impressionné par le travail d'August Klengelqui a emboîté le pas de Jean-Sébastien Bach en composant 48 canons et fugues. Il le fera à sa manière et avec son génie dans les 24 Préludes, suivant le cycle des quintes plutôt que l'ordre linéaire des tonalités. Et ne leur donnant aucun titre, Chopin reste fidèle à l'esprit de Bach. Tout est pure musique. A l'auditeur de trouver librement les correspondances de son choix.
Dans les œuvres de la fin, l'ombre de Bach est plus que jamais présente. Le fugato de la Balade n°4 en fa mineur où les jeux d'imitation qui crochètent la polyphonie de la Sonate n°3 en si mineur baignent dans sa lumière. En cela, il se rapproche de Mozart ou Beethoven, hantés par la fugue dans leurs dernières années, et même de Schubert dont la dernière page écrite est un canon.
A son disciple Gutmann, Chopin confie que les fugues de Bach sont la meilleure des préparations (avec Clementi et Hummel) pour jouer ses propres œuvres. Avec ses élèves il commence toujours la leçon avec un prélude de Bach. "Pour progresser, jouez Bach", répète-t-'il à Mme Dubois. Lui-même s'astreint à cette ascèse. Curieux de savoir comment il se prépare avant chaque concert, Lenz l'entend lui répondre : "Je me cloitre pendant 15 jours et je joue Bach au lieu de mes propres compositions".
Bonne journée