Quels sont les philosophes pour qui les mots impliquent-ils autant que l'action ?
Question d'origine :
Bonjour le Guichet du savoir,
J'ai une question philosophique mais je manque de références pour ma réflexion.
Quels sont les philosophes, auteurs pour qui les mots impliquent-ils autant que l'action ?
Dans l'attente de vous lire,
Bien Cordialement,
FD
Réponse du Guichet

Nous ne sommes pas certaines de bien comprendre votre question mais peut-être faites-vous allusion à la notion de "performativité" qui est le fait pour une parole de réaliser elle-même ce qu'elle énonce .
Bonjour,
Nous vous conseillons la lecture des travaux de John Langshaw Austin, auteur de Quand dire, c'est faire qui explore la question du langage ordinaire et plus particulièrement le cas des énoncés dits « performatifs ». Ce sont des énoncés qui ne se contentent pas de décrire un état de fait mais qui constituent en eux-mêmes une action, qui « font » quelque chose en même temps qu’ils le « disent ». Son ouvrage a été réédité en 2024 :
Quand dire, c'est faire : Conférences William James prononcées à l'université de Harvard en 1955 / J. L. Austin
Réflexion philosophique sur les ressorts du langage. L'auteur analyse notamment les concepts d'énoncé performatif et d'acte de parole puis étudie les différentes formes d'actions accomplies par le langage.
Il est des moments durant lesquels : “Dire, c’est faire”. Parfois, le simple fait d’énoncer la phrase, la réalise. Il ne s’agit pas de phrase descriptive ou affirmative en elles-mêmes. Austin les nomme “phrase performative”. De ce point de vue, dire, c’est agir et produire des effets. Pour approfondir, on observe que ce type de phrase est fréquente dans un cadre très formel comme lors des mariages par exemple. Cette réflexion montre en quoi le langage dispose d’un pouvoir politique et administratif suivant le contexte, et que certaines déclarations sont dotées d’une puissance effective.
Quelques articles :
- La philosophie du langage de J. L. Austin : ce que la parole fait / Bruno Ambroise
- Austin et la philosophie du langage ordinaire : La pertinence toujours actuelle de la critique de l’illusion descriptive / Bruno Ambroise
La théorie des actes de langage mise en place par Austin a été reprise et développée par divers auteurs, au tout premier rang desquels figure John Searle, auteur d'un ouvrage paru en 1969, et traduit en français en 1972 sous le titre "Les Actes de langage". Reprenant l'idée selon laquelle la production d'un énoncé revient à accomplir un certain acte qui vise à modifier la situation des interlocuteurs, Searle appelle force illocutoire ce qui permet d'établir sa valeur d'acte de langage. Pour lui, le contenu d'un énoncé résulte de sa force illocutoire ajoutée à son contenu propositionnel. Des énoncés différents peuvent avoir le même contenu propositionnel tout en correspondant à des actes de langage différents (par exemple, « Pierre ferme la porte » ; « Est-ce que Pierre ferme la porte ? » ; « Pierre, ferme la porte ! » ; « Pourvu que Pierre ferme la porte ! ») ; d'autres peuvent avoir la même force illocutoire exprimée de façon très différente (par exemple, « Ferme la porte ! » ; « Je t'ordonne de fermer la porte » ; « Est-ce que tu pourrais fermer la porte, s'il te plaît ? »).
La question des conditions de succès ainsi que celle de la classification même des types d'actes de langage ont été reprises par Searle dans son ouvrage de 1979, traduit en 1982 sous le titre "Sens et expression". Il y étudie notamment les formes indirectes d'expression des actes illocutoires – ce que la tradition reprendra ultérieurement sous l'appellation d'« actes de langage indirects ». Par opposition aux actes de langage directs qui, tels ceux qui sont exprimés par les performatifs explicites, sont immédiatement déchiffrables dans la forme même de l'énoncé, les actes de langage indirects (« Auriez-vous du feu, par hasard ? ») doivent être reconstruits par l'auditeur au terme d'un calcul qui fait appel à plusieurs types de connaissances, linguistiques et extralinguistiques, ainsi qu'à des capacités d'inférence.
L'idée défendue par les philosophes de l'école d'Oxford, selon laquelle le langage est une forme d'action sur autrui, et pas seulement un mode de représentation du monde, n'est certes pas nouvelle. Depuis l'Antiquité, la rhétorique s'en était fait l'apôtre et, dès les débuts de la linguistique, plusieurs courants l'avaient également formulée, dans des perspectives diverses : réflexions sur les « fonctions du langage » (Karl Bühler, Roman Jakobson), opposition entre le l'attitude, ou « modus », et le contenu, ou « dictum » (Charles Bally), approches sémiotiques de la pragmatique (Charles Peirce, Charles Morris ou Ludwig Wittgenstein). Mais c'est certainement à Austin et à Searle que l'on doit d'avoir donné un statut théorique à cette conception du langage.
Après ces deux pionniers, plusieurs auteurs ont enrichi la discipline par leurs travaux. Certains, comme Peter Strawson, se sont inscrits directement dans la lignée de la théorie des actes de langage ainsi tracée, en cherchant notamment à redéfinir la notion d'illocutoire et les différents niveaux de la signification. D'autres, s'appuyant sur la théorie des actes de langage, ont exploré de nouvelles pistes ouvertes par la pragmatique linguistique, toujours dans le but d'appréhender le langage comme un moyen d'agir sur le contexte interlocutif : ainsi des études sur la dimension des présupposés et de l'implicite dans le langage, ou encore l'analyse des interactions communicatives.
source : Universalis
Lire aussi :
- Les actes de langage / John Searle
- Sens et expression / John Searle
- Langage ordinaire et métaphysique Strawson / édité par Jocelyn Benoist, Sandra Laugier
Au contraire, Wittgenstein est le philosophe du langage ordinaire. Vous pouvez lire L'expérience du langage : Wittgenstein philosophe de la subjectivité écrit par Philippe de Lara
Présentation des grands thèmes de réflexion du philosophe autrichien comme l'importance du langage pour l'homme. L'auteur étudie leur place dans son oeuvre et propose des commentaires d'extraits.
Nous vous renvoyons également à ces podcasts de France Culture : Parler, est-ce agir ?
et à ces autres documents :
« Des actes aux règles : aller (Wittgenstein) et retour (Austin) » / Bruno Leclercq
Wittgenstein, Freud, Austin : voix thérapeutique et parole performative / Marie Guillot
Quand dire, c'est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel / Barbara Cassin
Fiche de cours : Quand dire, c'est faire
Si votre recherche porte davantage sur les liens entre le langage et l'action, cet ouvrage pourra vous intéresser :
Le langage comme action, l’action par le langage / Anna Krol - Recherches sur la philosophie et le langage, n° 31
Le langage et l’action sont deux champs de réflexion profondément ancrés dans l’histoire de la philosophie. Ils prennent aujourd’hui toute leur importance et leur intérêt. Dans la philosophie contemporaine, mais aussi dans les autres domaines des sciences humaines et sociales tels que la linguistique, la psychologie, la sociologie, etc., le rapport entre le langage et l’action engendre une riche source de problèmes. Chacun de ces domaines apporte un éclairage spécifique en employant ses méthodes et les prismes qui lui sont propres.
Prenant acte de cette diversité d’approches, ce numéro se veut un espace d’échange entre philosophes, linguistes, psychologues et sociologues où se déploient les différents modes d’analyse des multiples pratiques du langage, que ce soit la lecture du Tractatus de Wittgenstein, l’interprétation des fables de la Fontaine, l’écriture de l’Histoire, la communication avec les schizophrènes, l’usage quotidien de la langue, le recours à l’analogie en formation professionnelle, la politique du genre, l’expression de la discrimination, l’efficace du discours anarchiste.
Bonne journée.