Sait-on si des canuts se sont installés sur la rive gauche du Rhône ?
Question d'origine :
Bonsoir à toute l'Equipe du Guichet,
Il est bien établi que les canuts ont commencé à s'installer à Saint Georges et Saint Jean puis sont montés à la Croix Rousse afin d'avoir un habitat pouvant accueillir les nouveaux métiers Jacquard (voir hauteur des appartements). Dans le quartier des Brotteaux certains immeubles (comme au 139 rue Bugeaud) ont des appartements avec des hauteurs sous plafond importantes et même un rez de chaussée de près de 5 ml de haut. Sait-on si des canuts se sont installés sur la rive gauche du Rhône ?
Merci
Réponse du Guichet
La Croix-Rousse fut le principal quartier d’implantation des ateliers des canuts. Toutefois, les quartiers de la Guillotière et des Brotteaux sur la rive gauche du Rhône, ainsi que le quartier de Vaise en bord de Saône ont aussi abrité ce type d’activité.
Voici les informations que nous avons pu réunir sur le sujet.
Selon l’expression bien connue de Jules Michelet, la Croix-Rousse est la "colline qui travaille" (par opposition avec Fourvière, "la colline qui prie"). En effet, une grande partie des ateliers de canuts y étaient installés, toutefois cette activité était présente de façon importante dans d’autres quartiers, comme Vaise ou la Guillotière :
Historiquement les ateliers de tissage peuplaient les quartiers de Saint-Georges et de Saint-Jean, puis la Presqu’île. Mais les ruelles étroites et sombres de la vieille ville et l’air vicié qui pèse alors sur la santé des ouvriers ne sont plus supportables. C’est ainsi qu’au début du XIXe siècle quelques canuts quittent le cœur de Lyon pour s’installer dans les communes voisines de Vaise ou de la Guillotière. L’air y est plus agréable, mais pas autant que sur le plateau de la Croix-Rousse où s’échappe la grande majorité des ateliers. Cette petite localité indépendante va dès lors connaître une urbanisation intense.De nombreux terrains, confisqués pendant la Révolution à des communautés religieuses sont lotis par de nouveaux propriétaires. […] En 1846, un recensement révèle que 75% des métiers à tisser en activité à Lyon se trouvent à la Croix-Rousse.» …]
En 1830, on estime que la moitié de la population lyonnaise vit de l’industrie.
[…]
En 1830 une crise éclate entre les canuts et les soyeux qui, pour faire face à la concurrence étrangère, leur demande de baisser leurs tarifs. S’en suivent des manifestations entre le 19 novembre qui seront suivies de trois jours d’affrontement: «Des tisseurs de divers quartiers lyonnais rejoignent les barricades, bientôt suivis par des ouvriers issus d’autre corporations.»
Source : Canut, qui es-tu ?, Virginie Varenne, Philibert Varenne. Libel, 2020
Source : Révolte des canuts à Lyon, combat du Pont Morand, 22 novembre 1831. Musée Gadagne - Lyon. Wikipédia
Cet épisode est également relaté dans l’article de Rue 89 :
Sous le feu, des premiers travailleurs tombent en criant leur mot d’ordre : «Vivre en travaillant, ou mourir en combattant». Le lendemain, 350 ouvriers en provenance de la Guillotière et des Brotteaux arriveront pour prêter main forte à leurs confrères croix-roussiens. C’est le début de la première insurrection des Canuts.
Source : Mais pourquoi les Canuts n’ont pas dirigé Lyon ? Pierre Lemerle, Rue89, 21 août 2024
Pour en savoir plus sur la sociologie du 6e arrondissement au 19e siècle, vous pourrez consulter l'ouvrage de Jean Pelletier :
Au début du XIX e siècle, on assiste au développement de l’habitat ouvrier. Jusqu’en 1856, la première des activités de l’arrondissement ou du moins celle qui tient le plus de place, est encore l’agriculture. […] Mais cette utilisation de l’espace est de plus en plus concurrencée par les activités de production industrielle et artisanale. […] On trouve surtout des menuiseries, des ateliers de tissage et des teintureries, des fabriques d’allumettes.
Source: Lyon : connaître son arrondissement : le 6e. Jean Pelletier. Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 1999
Il est à noter également que le quartier des Brotteaux comptait une cinquantaine d’ateliers de moulinage :
Le moulinage est une des étapes de transformation du fil de soie grège sorti de la filature en soie ouvrée, apte au tissage et surtout à la teinture. L’opération consiste à tordre la soie à l’aide d’un moulin devenu ovale au XVIIIe sicèle grâce à Vaucanson. En 1869, au moment de la grève des ovalistes(ouvrières qui travaillaient sur les moulins ovales) on comptait une cinquantaine d’ateliers dispersés dans les rue Cuvier, Boileau, de Sèze, Tête d’Or, etc, le plus important était l’atelier Bonnardel.
Source: 150 ans Lyon 6e: 1868- 2017 racontés de A à Z. Lyon: Mairie du 6e, conseil de quartier du 6e, 2017
Pour aller plus loin :
- La Vie quotidienne des canuts, passementiers et moulinières au XIXe siècle. Bernard Plessy, Louis Challet. Hachette, 1987
- Les Canuts : vivre en travaillant ou mourir en combattant. Maurice Moissonnier. Messidor-Ed. Sociales, 1988
- Quand les femmes se révoltaient à Lyon : la grève des ovalistes. Eva Thiébaud, Rue 89, 20 février 2016