Question d'origine :
Existe-il des tueurs à gages à la campagne aujourd'hui, et comment agissent-ils ? Il y a des meurtres ressencés ? Des groupes de tueurs à gages ?
Réponse du Guichet
Si le phénomène des "shooters" existe, il semble qu'il soit plutôt caractéristique des zones urbaines touchées par le narcotrafic. Les "tueurs à gage", tels que nous nous les représentons communément semblent quant à eux absents ou très discrets en milieux ruraux... Même si les assassinats commandités existent, l'expression "tueur à gages" véhicule des représentations mythifiées qui lui collent à la peau. Ce sont le plus souvent des individus mal préparés qui ne repasseront jamais à l'acte.
Bonjour,
Oubliez les clichés éculés du professionnel solitaire, minutieusement préparé à accomplir sa tâche sans trembler et s'évanouir dans la nature, ni vu ni connu. D'un homme dépourvu de haine envers la victime, agissant uniquement pour des motivations pécuniaires en faisant de son activité une activité commerciale comme une autre.
En effet, le "tueur à gage" tel que nous le connaissons généralement n'existerait pas selon Alain Rodier, directeur de recherches auprès du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), dans cet article du 20 minutes : Le tueur à gages, plus un fantasme qu'une réalité.
Il faut dire que ces clichés du "tueur à gages" imprègnent fortement nos imaginaires collectifs. On compte énormément de représentations fantasmées dans la culture populaire, et notamment au travers des jeux vidéo (Hitman), du cinéma (John Wick) ou de la littérature (les polars de J-P Manchette). Il est le plus souvent décrit tel "un "homme froid", "au bord de la rupture émotionnelle", "au passé trouble" mais "parfaitement intégré dans un monde cosmopolite qui se dévoile à notre époque", selon les mots de Pierre Régis Fieu, de l'Observatoire de l'Imaginaire Contemporain de l'UQAM à Montréal, lors d'une journée d'étude sur la "reprise" dans la culture populaire.
Cela ne veut pas dire que les assassinats commandités n'existent pas, mais plutôt qu'ils sont rares, exécutés maladroitement et donc souvent vites résolus par les policiers. Les séries de meurtres qui ont ensanglanté Marseille ces derniers mois, dans le cadre d'une opposition entre deux bandes rivales du crime organisé et du narcotrafic (entre la DZ mafia et Yoda), sont représentatives de ce phénomène des "shooters". Des individus souvent jeunes, recrutés à la hâte sur les réseaux sociaux passant à l'action pour quelques milliers d'euros comme l'expliquent ces articles du Monde : Narcobanditisme : DZ Mafia, une sanglante organisation criminelle marseillaise, racontée de l’intérieur et A Marseille, la guerre entre deux réseaux de trafiquants de drogue, DZ Mafia et Yoda, est de plus en plus meurtrière (lisibles sur Europresse). Ils sont le plus souvent arrêtés rapidement par la police, qui aurait comptabilisé en 2023 un nombre record d'individus interpellés en flagrant délit.
Pour davantage de renseignements sur leurs nouveaux modes opératoires, vous pouvez consulter le livre de Jean-Michel Décugis, Vincent Gautronneau et Jérémie Pham-Lê : Tueurs à gages : enquête sur le nouveau phénomène des shooters (Flammarion, 2024). Voir aussi à ce propos, le sujet consacré à ce livre sur France Inter en octobre dernier : Les "Shooters" : le phénomène des très jeunes tueurs à gages.
Idem du côté du Darkweb, qui a longtemps stimulé les imaginations en se faisant passer pour un véritable lieu de démarchage où il était possible d'acheter les services d'un tueur en quelques clics. Plusieurs articles de Radio Canada notamment démontrent l'arnaque promise par ces annonces diffusées sur des sites spécialisés du web profond :
D’après le New York Times, il n’existe aucun cas connu de meurtre associé à un tueur à gages ayant été engagé à partir d’un site spécialisé.
En revanche, plusieurs personnes ont déjà été arrêtées après avoir commandé un meurtre en ligne. On pense entre autres à un homme d’affaires singapourien qui a écopé d’une peine de 5 ans en septembre dernier pour avoir payé un prétendu tueur à gages du web caché pour assassiner le copain de son ex-conjointe. L’assassinat n’a jamais eu lieu.
Le seul et unique cas de meurtre commandé sur le web caché ne tire d’ailleurs pas ses origines d’un site de tueurs à gages : d’après une enquête de la BBC, un enquêteur policier russe a été tué par deux adolescents qui auraient été engagés par un trafiquant de drogue à partir d’un cryptomarché où se vendent (réellement) de la drogue et des cartes de crédit volées.
Pourquoi créeriez-vous un site web [dédié au meurtre] quand vous savez pertinemment que les forces de l’ordre vous surveilleront à la trace ? Vous devenez alors une cible, dit Emily Wilson, responsable de la recherche à Terbium Labs, une firme de sécurité spécialisée dans le web caché.Selon elle, les sites de tueurs à gages détournent l’attention des vrais crimes qui sont commis sur cette face cachée du web, comme le trafic de drogues et de données personnelles.
Source : Radio-Canada - Non, on ne peut (probablement) pas engager de tueur à gages sur le dark web (2020)
Ce préambule terminé, inutile de vous dire que nous avons eu tout le mal du monde à dénicher la moindre information sur l'activité de tueur à gages en France en milieu rural... Le phénomène semble de nos jours effectivement beaucoup plus répandu dans les zones urbaines liées au trafic de drogue. A une époque où il est possible de commander en ligne et recevoir des stupéfiants dans sa boite aux lettres directement depuis son lieu de vie en campagne, inutile d'expliquer qu'internet serait l'outil d'entremise privilégié s'il était possible de s'offrir les services d'un "hitman". Or, les articles que nous avons parcourus lors de nos recherches semblent indiquer qu'il serait impossible (ou presque) de procéder ainsi...
Nous vous suggérons en revanche la lecture de cet article du Nouvel Obs pour en apprendre un peu plus sur les diverses réalités que regroupent le terme de "tueur à gages" : Affaire Hélène Pastor : tueur à gages, est-ce un vrai métier ? (2024). Cet article de la revue des Annales, cité dans ce papier du Nouvel Obs, peut vous en apprendre beaucoup sur l'histoire de la "profession" et en particulier de ses origines au Moyen-Age : La violence commanditée - La criminalisation des « tueurs à gages » aux derniers siècles du Moyen Âge par Claude Gauvard (sur Cairn).
Nous ne résistons pas à l'envie de vous partager également cette enquête de César Barreira sur le crime commandité au Brésil dans les années 1990 dans la revue l'Homme & la Société (sur Cairn).
Bonnes lectures,