Quelle est la situation de la pègre à la campagne aujourd'hui ?
Question d'origine :
Quelle est la situation de la pègre à la campagne aujourd'hui ? Quelles sont leurs secteurs d'activité ? Qui sont les personnes touchés ?
Réponse du Guichet

Si certains délits comme le trafic de drogue sont présents dans les campagnes, la pègre ne semble pas s'y être implantée.
Bonjour,
La presse - dont nous présentons d’ailleurs quelques extraits - relaie abondamment les crimes perpétrés dans les campagnes. Ces informations s’accompagnent d’un sentiment croissant d’insécurité. Est-il fondé ? Rien de moins certain car les divers rapports émanant du ministère de l’Intérieur montrent que la criminalité dans les zones rurales demeure marginale. Les augmentations constatées concernent en majorité des « affaires » intrafamiliales » : violences sexuelles et coups et blessures ; les constats émanant de la presse manquent parfois de nuances. Pour tenter de répondre à votre question, nous commencerons par étudier les divers rapports ministériels, les articles de presse puis reviendrons sur un exemple, celui du trafic de drogue.
Le Rapport d’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » 2023, victimisation - délinquance et sentiment d’insécurité dresse un constat de la sécurité sur le territoire national :
Des disparités territoriales sont observées. Dans les zones rurales, la proportion de personnes victimes d’une atteinte à la personne, à l’exception du harcèlement moral et des atteintes à la vie privée, ou celle de victimes d’un vol avec ou sans violence ou menace est moindre que dans les unités urbaines de 100 000 habitants ou plus. Par exemple, 3,4 % des habitants vivant en dehors d’une unité urbaine déclarent avoir subi des injures en 2022 contre 4,9 % des habitants vivant dans une unité urbaine de 100 000 habitants ou plus et 5,2 % des habitants de l’unité urbaine de Paris. Les différences de prévalences en termes de taille de territoires sont particulièrement notables concernant les atteintes aux biens. C’est le cas en particulier des atteintes visant les véhicules pour lesquelles les habitants des grandes unités urbaines (dont Paris) sont concernés
(…)
3,6 % des habitants vivant dans une unité urbaine de 100 000 habitants ou plus et 4,0 % des habitants de l’unité urbaine de Paris déclarent un vol ou une tentative de vol d’objets dans ou sur la voiture en 2022 contre 2,7 % de la population des 18 ans et plus et 1,5 % des habitants vivant dans les zones rurales.
Interstats Analyse donne une Géographie de la délinquance à l'échelle communale en 2023 :
En 2023, comme les années précédentes, la délinquance commise à l’échelle communale et enregistrée par les services de police et de gendarmerie nationales est concentrée dans un nombre limité de communes. Pour ce qui concerne les treize grandes catégories des crimes et délits enregistrés suivies ici, 1 % des communes les plus touchées (environ 350 communes) concentrent entre 43 % des violences sexuelles ou des cambriolages de logements et 83 % des vols violents sans arme. À l’inverse, aucun fait n’est enregistré en moyenne en 2023 dans 62 % des communes : de 29 % pour les destructions et dégradations volontaires à 95 % pour les vols avec armes.
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Quel que soit l’indicateur, la délinquance enregistrée pour mille habitants ou logements est inférieure dans les communes rurales par rapport aux communes urbaines depuis 2016. En 2023, ces dernières enregistrent en moyenne 32 % de victimes de violences sexuelles pour mille habitants de plus que les communes rurales et jusqu’à 18 fois plus pour les vols violents sans arme. Pour la moitié des atteintes présentées ici, dont les atteintes violentes et les destructions et dégradations volontaires, l’évolution depuis 2016 est moins favorable aux communes rurales qu’aux communes urbaines.
(…)
Entre 2016 et 2023, les 600 communes les plus fréquemment présentes parmi ces 1 % sont presque toutes des grands centres urbains ou des centres urbains intermédiaires, notamment dans les unités urbaines de plus de 200 000 habitants.
Le rapport mentionne :
Parmi les plus petites communes, 80 % concentrent seulement 18 % de la population. En comparaison, les communes les moins concernées par la délinquance (au seuil de 80 %) concentrent une part de faits de délinquance au plus égale à 11 % dans le cas des cambriolages de logements. Cette part est nulle pour les vols violents avec ou sans arme et le trafic de stupéfiants
(...)
En 2023, l’assassinat d’un adolescent à Crépol (Drôme) a suscité de nombreux débats sur la comparaison de la délinquance entre zones rurales et urbaines. (…)
En 2023, la France compte 30 752 communes rurales, représentant 33 % de la
population. Les 4 193 communes urbaines représentent, quant à elles, 67 % de la population.
(…)
Entre 2016 et 2023, pour l’ensemble des indicateurs suivis ici, les communes rurales enregistrent moins d’atteintes pour mille habitants (ou logements) que les communes urbaines. Cet écart est minimal pour les violences sexuelles : les communes urbaines
enregistrent en moyenne 32 % de victimes supplémentaires pour mille habitants par rapport aux communes rurales. Cet écart est maximal pour les vols violents sans arme, 18 fois plus fréquents pour mille habitants dans les communes urbaines.
(…)En 2023, les catégories de communes urbaines les moins touchées par chacun des types d’atteinte (communes des ceintures urbaines pour presque tous les indicateurs) sont plus
affectées que les communes rurales les plus touchées (bourgs ruraux). Seuls les cambriolages et les violences sexuelles se distinguent puisqu’il y a un peu plus de victimes de violences sexuelles enregistrées pour mille habitants dans les bourgs ruraux que dans les
ceintures urbaines (1.3 ‰ contre 1.1 ‰) et à peine plus de cambriolages enregistrés pour mille logements dans les bourgs ruraux que dans les petites villes (4.8 ‰ contre 4.7 ‰(…)
Entre 2016 et 2023, pour les coups et blessures volontaires, dans le cadre familial et en dehors ainsi que pour les violences sexuelles, le nombre d’atteintes enregistrées dans les communes rurales augmentent plus vite que dans les communes urbaines.
En ce qui concerne les destructions et dégradations volontaires, les vols d’accessoires sur véhicules, les vols avec armes et sur les années les plus récentes les vols de véhicules et les vols violents sans arme, ces atteintes reculent moins vite dans les communes rurales que
dans les urbaines.
À l’inverse, la délinquance enregistrée augmente moins vite (trafic et usage de stupéfiants) ou baisse plus vite (vols dans les véhicules) dans les communes rurales
Nous vous laissons consulter les chiffres de l’insécurité et de la délinquance 2023, au niveau national ainsi que l'Analyse conjoncturelle des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie à la fin du mois d'octobre 2024.
Revenons maintenant à quelques articles de presse :
Le lundi 20 novembre 2023 suite à la rixe qui conduisit à la mort d’un adolescent dans la Drôme, Le Figaro consacre un article à ce sujet : «L’attaque mortelle à Crépol signe l’extension de la criminalité jusqu’aux zones rurales» dont voici un extrait:
elle met en lumière un phénomène grave et nouveau : l'apparition de la violence dans les zones rurales et périurbaines, soit les territoires traditionnellement les plus calmes de France.
La Creuse, l'Allier, ou la campagne bretonne : dans l'imaginaire collectif français, il reste une France où il est, a priori , inutile de fermer sa porte à clé en pleine journée. Et en effet, les statistiques confirment que la délinquance et la criminalité sont largement plus élevées à mesure que la taille d'agglomération augmente. Par exemple, les «vols violents sans arme» par habitant sont 24 fois plus nombreux à Paris qu'en communes rurales. Les coups et blessures volontaires sont deux fois et demie plus nombreux dans les zones de plus de 200.000 habitants que dans les communes rurales, etc.
Mais, cela fait déjà plusieurs années que cette donne change, et il y a fort à parier que, d'ici quelques années, toute la France soit obligée de verrouiller ses portes. Ce qui change, ce sont les dynamiques. Dès 2020, une note du ministère de l'intérieur l'avait révélé : la criminalité augmente désormais plus vite dans les zones gendarmerie (environ 10.000 habitants et moins) que dans les zones police. Une nouveauté, par exemple, de l'année 2022 est le nombre de cambriolages par habitant, désormais plus important dans les aires urbaines de 5.000 à 10.000 habitants que dans celles de 10.000 à 50.000 habitants. Impensable il y a peu !
Enfin, le trafic de drogue, inséparable de la délinquance, est un autre indice éloquent de la montée de la marée délinquante. Le politologue Jérôme Fourquet notait ainsi en janvier 2022 comment la France s'est littéralement couverte de points de deal. Pas un département de France qui en soit sauvegardé, y compris l'Ardèche et ses 14 points de deal, ou l'Allier et l'Indre-et-Loire qui en comptent 15 chacune.
Sur cette actualité Le Chasseur Français, le vendredi 29 décembre, "Insécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?" dresse un constat plus nuancé que Le Figaro :
Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser des tensions politiques et sociales. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du racisme anti-blanc et des tiraillements civilisationnels.
Des violences avant tout intrafamiliales
La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la délinquance ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.
Les zones de gendarmerie (en opposition avec les zones de police) représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des violences sexistes et sexuelles avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.
Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec 0,08 ‱ contre 0,19 ‱ pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.
Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment à la suite du mouvement #MeToo.
Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité (…)
Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le zonage des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d’insécurité.
Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des espaces ruraux.(…)
Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.
Par ailleurs, Le Chasseur français fait clairement la différence entre urbain, ruralité et périurbain. Les diverses études montrent que le trafic de drogue touche le périurbain et les villes moyennes plutôt que les campagnes. Il n'en est néanmoins pas totalement absent. Le Sénat dresse un bilan pour Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic - Rapports de commission d'enquête :
La consommation de stupéfiants n'est pas l'apanage des habitants des grandes agglomérations. Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, note que « la consommation de drogues est démocratiquement répartie sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales »
En outre, la présence des trafics de drogues n'est pas nouvelle dans les communes rurales ou les villes moyennes. Concernant cette implantation ancienne du trafic dans les campagnes, lors de son audition par la commission, le juriste Yann Bisiou indiquait justement que « si l'on fait une recherche historique, aussi bien les articles de presse que la jurisprudence le montrent : dès les années 1960, il existe un trafic en zone rurale. Qu'est-ce qui a changé ? À l'époque, la zone rurale est utilisée comme lieu de production : on y trouve des laboratoires clandestins et des cultures clandestines. Aujourd'hui, elle est devenue un marché. La distribution au détail s'est développée dans les campagnes, où l'on trouve 800 000 ou 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis, un nombre suffisant pour intéresser les trafiquants. La question des drogues dans les villes moyennes et dans les campagnes a toujours existé - au moins, je le redis, depuis les années 1960. Néanmoins, la nature des pratiques de trafic est nouvelle sur ces territoires».
Sur ce dernier point, Frédéric Ploquin, auteur d'un documentaire diffusé par France Télévisions en 2023 et intitulé La Drogue est dans le pré, met notamment en lumière « un déplacement du marché des stupéfiants vers les petites villes et les zones rurales ».
Cette analyse est confirmée par la gendarmerie nationale lors de son audition par la commission, au cours d'une table ronde consacrée aux zones rurales : « Nous constatons que le sujet de la consommation et des trafics de stupéfiants est aussi très prégnant dans les zones périurbaines et rurales ».
Ismaël Baa, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale d'Alençon-Argentan, se fait lui aussi l'écho de ce constat lorsqu'il indique à la commission que « le département de l'Orne, pourtant rural et éloigné des grandes villes, n'est donc pas exempt du trafic de stupéfiants. L'an passé, nous avons saisi 4 kg d'héroïne et 20 kg de cannabis, le double de l'année précédente ».
Cette observation est partagée par de multiples acteurs, y compris hors du milieu judiciaire, à l'instar d'Auguste Charrier, président de la fédération Entraid'Addict : celui-ci note que, « dans la ruralité la plus reculée, les produits toxiques sont désormais là. Ils ont envahi tout le territoire. C'est indéniable ».
En outre, concernant les produits présents dans les territoires ruraux ou les villes moyennes, la cocaïne et le crack sont de plus en plus fréquents. Frédéric Sanchez, chef d'escadron et commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Quentin, relève qu'« on trouve certes du cannabis, mais nos enquêtes et nos contrôles sur la voie publique montrent que la cocaïne prend le pas sur les autres produits ».
Lors de son déplacement à Verdun et Commercy, la commission a pu directement mesurer, notamment auprès des acteurs judiciaires et des forces de l'ordre, le poids considérable du trafic d'héroïne dans ce territoire. En effet, depuis la fin des années 2010, des points de deal se sont installés en plein coeur du centre-ville de Verdun
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Le commandant Ismaël Baa indiquait également lors de son audition qu'en prenant son poste dans un département rural comme l'Orne, il ne s'imaginait pas être confronté à une délinquance liée aux stupéfiants d'une telle ampleur (étant rappelé qu'Alençon, chef-lieu du département, dispose depuis janvier 2023 d'un plan de lutte contre le crack).
Présent partout sur le territoire, le narcotrafic y apporte aussi sa violence débridée. Pour reprendre les mots de l'Ofast, « les violences s'étendent désormais aux villes de taille moyenne. Une multiplication de faits y est observée dans le cadre d'un narco-banditisme de cité pour la préservation d'un monopole, mettant ainsi en exergue un marché dynamique et concurrentiel. Des équipes plus modestes opérant depuis des villes implantées dans des départements ruraux peuvent animer des filières d'envergure, comme à Niort ou Brive-la-Gaillarde. Sur l'ensemble du territoire national, plusieurs quartiers sensibles de villes moyennes, sont le théâtre d'affrontements avec usage des armes. C'est le cas notamment de Belfort, Montbéliard, Verdun, Troyes, Valence, Cavaillon, Le Creusot. De la même manière, des faits d'enlèvements et de séquestration ou de tentatives d'homicides sont constatés à Angoulême ou Poitiers »148(*).
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Dans Le Monde, le 9 mai 2024, Robert Richardon mène l'enquête avec l'article "La drogue, omniprésente et invisible en milieu rural" :
En milieu rural, la drogue est là sans être là. Dans les petites communes du Cotentin, elle se fait discrète, contrairement aux grandes villes, où les points de deal et les consommateurs peuvent parfois se repérer facilement.
(…)
Pas de gros trafics, donc pas de règlements de comptes qui agitent le Cotentin. Mais certains réseaux peuvent tout de même prendre un peu d’importance.(..) tout le monde s’accorde pour dire qu’aujourd’hui, il est très facile d’obtenir n’importe quelle drogue, même dans le plus petit village reculé du Cotentin. « Vous commandez sur internet ou les réseaux sociaux et vous avez votre cocaïne qui arrive dans la boite aux lettres deux jours plus tard (…) Les structures complexes sont relativement rares
(.. ) plus que le développement de gros réseaux locaux, ce qui inquiète les autorités, c’est la pénétration de la consommation dans l’ensemble de la population.