Quel équipement a été utilisé pour réussir la première ascension du Mont Blanc en 1786 ?
Question d'origine :
Bonjour le Guichet du Savoir,
Je m'interroge sur la première ascension du Mont Blanc réalisée par Jacques Balmat et le docteur Michel Paccard, et plus précisément sur l'équipement utilisé lors de cette expédition. J’ai trouvé peu d’informations concernant le matériel employé : les vêtements de l’époque pour se protéger des conditions de la haute montagne, la quantité et le type de nourriture pour se ravitailler, les outils nécessaires à l’ascension, ou encore les objets utilisés pour le bivouac réalisé à mi-chemin... Cela me fascine, car avec notre regard d’hommes du XXIe siècle, où les équipements d’alpinisme sont toujours plus performants, il semble presque improbable qu’avec les moyens techniques de l’époque (il n'existait pas de chaussettes thermiques, de veste Gore Tex, de lunettes de glacier, de kit de sécurité crevasse, ou de sac de couchage confort -10°…), une telle prouesse ait été possible.
Ainsi, ma question est la suivante : quel équipement Jacques Balmat et Michel Paccard ont-ils réellement utilisé pour réussir cette ascension en 1786?
Merci de votre retour.
Bien cordialement
Réponse du Guichet

C'est principalement grâce à leur courage, leur endurance et une incroyable condition physique que le Dr Paccard et Jacques Balmat ont réussi cet exploit : la première ascension du Mont-Blanc en 1786. Leur équipement était plutôt sommaire : un bâton, une couverture, un peu de pain et de viande ; pas de corde ni de crampons et encore moins d'échelle pour passer les crevasses... Leur retour fut difficile, les deux hommes subirent quelques gelures et des brûlures aux yeux.
Bonjour,
Pour connaître l'équipement des deux alpinistes, nous vous proposons des extraits de deux documents relatant cette incroyable aventure :
"Nous partîmes tôt dans l'après-midi, chacun de notre côté, pour n'éveiller aucun soupçon. En effet, toute nouvelle tentative d'ascension suscitait un grand intérêt dans la vallée ! Je passerais du côté droit de l'Arve tandis que Balmat emprunterait la rive gauche. Notre rendez-vous était fixé vers les 6 heures du soir au hameau du Mont.
J'emportai avec moi une couverture, des provisions, des instruments scientifiques : baromètre avec son trépied, thermomètre, boussole et bien sûr de quoi écrire (plume, encre et carnet). Nous n'avions ni corde, ni hache à glace, ni crampons ; seul notre bâton de frêne à bout ferré serait notre compagnon de route.
Nous nous rejoignons au village. Balmat, arrivé peu après moi, est lui aussi coiffé d'un chapeau de feutre noir à larges bords qui nous protégera de la forte réverbération de la neige. Je porte comme lui des guêtres et des chaussures armées de pointes. [...]
Lors du retour, le froid et la réverbération ont eu raison de ce faible équipement :
N'ayant été nullement incommodé la veille au soir, j'avais néanmoins remarqué que la neige fraîche est infiniment plus fatigante à l'oeil que la vieille.
N'y voyant plus, je suis obligé de me faire mener par Balmat pour revenir au prieuré. Arrivés vers 8 heures nous nous couchons sans tarder, souffrant de nos visages brûlés, de nos paupières enflées et de nos lèvres gercées formant par endroits des cloques blanchâtres. [...]
Dès leur retour, Paccard et Balmat se mettent au lit, les doigts gelés, le visage brûlé, les yeux incapables de supporter la moindre lumière.
Nous ne saurions trop vous recommander de vous faire offrir pour Noël (il n'est peut-être pas trop tard...) l'ouvrage de Thomas Graham Brown et Gavin de Beer, adapté par Yves Ballu : Mont-Blanc : la véritable histoire de la première ascension. S'appuyant sur les travaux d'historiens, il nous révèle la véritable histoire de l'ascension de Mont Blanc du 7 août 1786 mais aussi de celles qui l'ont précédée et succédée. Quelques extraits :
page 33
L'ascension
7 août 1786
[...] A 15 heures, en rayant le verre avec un diamant, le médecin marqua le niveau de mercure sur son baromètre italien non gradué, et releva la température ambiante avec thermomètre Réamur. Peu après il quitta Chamonix en direction du hameau de Mont au pied de la montagne de la Côte. Il n'avait pas de corde mais il emportait par précaution un long bâton de trois mètres en cas de chute dans une crevasse dissimulée par un pont de neige. Il portait aussi son baromètre et certainement son support. Ses poches étaient bien pleines : de la nourriture, un flacon d'encre, une plume et un carnet de notes, une boussole, un thermomètre et peut-être encore d'autres accessoires. [...]
C'est sans doute au Mont que se sont donné rendez-vous le docteur Paccard et Jacques Balmat. Ce dernier emportait son propre bâton, un sac avec du pain et de la viande, et peut-être des couvertures, à moins que Paccard n'en ait pris une, ou qu'ils en aient prévu une pour deux.
Plus loin, il est expliqué que le Dr Paccard perd son chapeau qui, "bien que muni de cordons, fut emporté par le vent" (page 40). Une fois au sommet, les conditions sont rudes (p. 41) :
Le vent du nord cinglant et le froid les obligèrent à rester en mouvement presque tout le temps. Ils ont dû manger un peu, mais la viande rôtie portée par Balmat dans son sac était congelée et ils durent sans doute se contenter de pain très dur.
Au sommet, la température était de - 7,5°C, et Paccard, habitué au froid, ne pensait pas que cela leur causerait des gelures aux mains. Mais plus bas, le médecin fut contraint d'appuyer ses mains sur la glace, manifestement dans l'Ancien Passage inférieur. Ses gants de cuir se mouillèrent et il eut tellement froid qu'il échangea un de ses gants contre un de ceux, fourrés, de Balmat. Dans la nuit au bivouac, ils constateront leurs gelures, heureusement bénignes.
[...] Ils découvrirent qu'ils avaient chacun une main gelée. Celle de Paccard était noire et insensible, celle de Balmat, également insensible, était blanche. Ils se frictionnèrent mutuellement les mains avec de la neige pour qu'elles retrouvent une couleur naturelle. Ensuite, ils mangèrent avant de s'allonger l'un contre l'autre sous les couvertures, Paccard occupant le côté le plus exposé et le plus froid entre Balmat et le glacier. Ils ne semblent pas avoir souffert du mal des montagnes et s'endormirent.
9 août 1786
Mais quand ils se réveillèrent le lendemain à l'aube, la situation avait évolué. Lors de leur ascension, ils avaient longtemps progressé sous un soleil radieux et dans une neige fraîche suite à de récentes précipitations. Dès lors, leurs visages étaient sérieusement brûlés et Paccard souffrait d’inflammation des yeux. Une irritation telle qu'il ne supportait plus la lumière, et quand ils entamèrent la descente de la montagne de la Côte, Balmat dut guider le docteur comme un aveugle.
Plus loin, en page 44, les auteurs expliquent :
L'endurance et le courage qui rendirent possible le succès de cette grande expédition comptent parmi ses traits les plus frappants. Et avec le recul du temps, nous avons encore plus de motifs d'admiration que Saussure à son époque. Les dénivelés surmontés et les altitudes atteintes par les alpinistes sont très utiles pour comparer l'engagement (ou l'effort) mis en œuvre dans leurs ascensions ; pour autant qu'on puisse faire abstraction des conditions variables de la neige, du manque de maîtrise en escalade rocheuse, des détours, des pertes de temps, des différences de charges portées et d'autres facteurs complexes.
Depuis leur dernier bivouac, Paccard et Balmat ont remonté 2500 mètres de dénivelé le jour de leur ascension. Toutes proportions gardées (ce qui n'est pas le cas), cela demande une dépense d'énergie supplémentaire de 40% par rapport à ce que fournissent les ascensionnistes actuels du mont Blanc pour remonter les 1756 mètres de dénivelé depuis le refuge des Grands-Mulets, où ils passent la nuit sur la voie depuis Chamonix. [...]
Paccard et Balmat furent pénalisés en laissant beaucoup de forces dans la Jonction avec leurs charges lourdes et encombrantes, mais aussi dans une neige fraîche et molle sur un parcours vierge. La première ascension a bien sa place parmi les plus grands exploits de l'histoire des Alpes et les plus beaux exemples de détermination. En outre, à la simple endurance physique requise pour les deux hommes, en particulier pour Paccard, il faut ajouter un effort mental pour vaincre doutes et angoisses, et pour s'en tenir à la décision courageuse d'aller de l'avant malgré l'heure tardive et les risques inconnus propres à l'altitude, toujours susceptibles de menacer leur vie.
Cet ouvrage remarquable que nous vous invitons à venir consulter à la Bibliothèque de la Part Dieu (département de la Documentation Régionale, 4e étage), relate d'autres expéditions, dont certaines assez folkloriques en matière d'équipement. Nous ne résistons pas à l'envie de vous faire partager quelques extraits.
page 82 :
Deux récits, en 1783, soulignèrent la forte température susceptible de régner lors de cette traversée. En 1775, peu après avoir quitté les Grands-Mulets, Couteran et ses guides trouvèrent la chaleur si lourde et éprouvante qu'ils remplirent leurs chapeaux de neige, un système ingénieux et alors nouveau, souvent évoqué dans les récits de cette tentative. Lombard, avec sa proposition d'ombrelle et de flacon de sels en 1773, apporte une belle touche de couleur au tableau, et Saussure confessa franchement que cela suffit à le persuader que l'ascension était absolument impossible pour quelqu'un qui ne possédait ni le mental ni les mollets d'un bon guide de Chamonix.
page 103 concernant l'expédition de H.-B. de Saussure M.-T Bourrit et son fils : 1785
[...] le groupe au complet, soit les trois clients, le domestique de Saussure, neuf guides et au moins cinq porteurs se mit en marche, Saussure à dos de mulet, et Bourrit (qui était bon marcheur et n'avait sans doute pas les moyens de s'offrir ce supplément) à pied. Ils transportaient deux lourds matelas (près de vingt-cinq kilos chacun), quatre-vingt-dix kilos de bois à bruler, six draps, cinq couvertures, trois oreillers, au moins un chargement de paille, une faîtière pour la cabane, deux chargements de provisions, plusieurs instruments scientifiques, soit baromètre, thermomètre, hygromètre, électromètre, niveau, et un appareil ingénieux de mesure du point d'ébullition ne nécessitant pas un feu de bois. [...]
L'ascension était sans doute difficile pour des clients inexpérimentés. Mais également dangereuse, car faire progresser un groupe aussi important dans du rocher pourri, c'était courir un risque déraisonnable, notamment pour les hommes en queue de cordée. De temps à autres, Saussure s'agrippait à la jambe de son guide, Pierre Balmat, comme à une poignée. Le jeune Isaac Bourrit, malade durant la nuit, s'accrochait fermement au manteau du guide François Cuidet qui le précédait. Marc-Théodorer Bourrit était en fâcheuse posture car ses chaussures fourrées, spécialement conçues pour le protéger du froid, perdaient leurs talons.
La redescente fut tout aussi insolite. Les guides durent assister leurs clients à l'aide de cordes. C'est l'occasion, pour les auteurs de parler de cet équipement :
Depuis bien des décennies, on utilisait des cordelettes en crin de cheval pour la sécurité en plus des cordes de plus fort diamètre pour l'aide à la progression - tel était le cas, par exemple, des fameux grimpeurs de Saint-Kilda en Ecosse.
L'usage de la corde était répandu depuis longtemps dans les Alpes bernoises, mais seulement pour s'assurer sur glacier. Et c'était bien la première fois que l'on employait des cordes dans le massif du Mont-Blanc, où cette technique deviendra courante après les ascensions de Saussure et du colonel Mark Beaufroy en 1787. Une tradition tellement bien ancrée que la méthode Saussure, dans laquelle le guide n'est pas encordé mais tient son client à bout de corde, resta en usage jusqu'en 1864 chez les guides de Chamonix.
A noter : le bâton de Balmat est exposé au musée alpin de Chamonix d'après cet article du Dauphiné Libéré : Le bâton du premier mont Blanc réapparaît... 232 ans après
À l’époque, ni crampons, ni cordes ni aucun matériel n’existent encore. Le bâton est à la pointe de la technologie. « Jacques Balmat s’en servait tout à la fois pour sonder les ponts de neige, garder son équilibre, fabriquer des ponts de fortune au-dessus des crevasses, se laisser glisser le long des glaciers “en ramasse”* », explique-t-on au musée alpin de Chamonix..
Bonne journée.